Le général-major à la retraite Brahim Fodhil Chérif est décédé, jeudi, à l'âge 65 ans à l'hôpital militaire de Aïn-Naâdja. Celui qui incarnait “la main de fer” contre le terrorisme était un personnage singulier au sein de l'ANP. À l'évocation de son nom, le général-major Fodhil Chérif ne laissait jamais indifférent. Soit on l'appréciait, soit on le détestait. Car Fodhil Chérif était l'antithèse de la “grande muette” où l'on apprend à ne pas trop s'exprimer et encore moins à donner son opinion publiquement. Le général-major, aux allures de James Coburn, baladait sa silhouette svelte en treillis, sa chevelure argentée et ses Ray Ban sur les terrains d'opérations militaires de la Mitidja en étant l'incarnation physique de la lutte antiterroriste des années 1990. Ancien chef de la 1re Région militaire sous le commandement du général de corps d'armée Mohamed Lamari, son ami et ancien chef d'état-major, avec lequel il partageait une vision tenace de la lutte antiterroriste, le général-major Fodhil Chérif ne faisait pas dans la dentelle. Devant le cadavre d'Antar Zouabri, le dernier chef du GIA en 1999, il se tenait là, avec un cigare, dans une posture de vainqueur, se laissant allègrement photographier après l'opération qui avait décapité définitivement le GIA à Boufarik. Deux ans auparavant, la presse algérienne avait découvert dans son QG des opérations à Sidi Moussa, lors de l'opération de Ouled Allel, ce personnage atypique, au verbe tranchant et aux idées simples quant à “l'éradication” du terrorisme islamiste. S'il mâchait nerveusement son chewing-gum, il ne mâchait pas ses mots pour autant. L'ANP, en pleine tourmente après les massacres de Bentalha, Raïs et Béni Messous, avait un besoin crucial de communiquer et d'expliquer au monde l'horreur qu'elle affronte sur le terrain face aux tueurs du GIA. C'est à Fodhil Chérif que ce rôle ingrat a été dévolu. C'était comme mettre un éléphant dans un magasin de porcelaine. Lui, le baroudeur, l'armée voulait en faire un communicant. L'idée ne lui plaisait guère, et il le faisait savoir aux journalistes en les rabrouant avec sévérité quand les questions étaient “stupides”. Le paradoxe, c'est que les journalistes ont fini par adopter ce personnage qui incarnait magnifiquement l'idée d'un militaire en action. Car son franc-parler n'avait pas d'égal. Quand il menait des opérations, comme dans le maquis de Tala Acha, il ne pouvait supporter l'échec et avait acquis la réputation d'un dur. Ratissages de nuit, opérations commandos avec les forces d'élite, traque des “émirs” du GIA dans la Mitidja, il ne faisait pas les choses à moitié. Alors que la réconciliation nationale s'enclenchait en 1999, et que l'on devinait qu'il n'était pas franchement pour, il s'en est tenu à la discipline du corps, ne s'exprimant que rarement en politique. Les choses se normalisant dans la Mitidja, il passa ces dernières années au commandement (2000/2004), à traquer les nouveaux maquis du GSPC en Kabylie. Les journalistes le retrouvent lors des inondations d'Alger en 2001, toujours aussi prompt à réagir et à encourager la presse à “ne pas écrire n'importe quoi”. 1 000 soldats ont été mobilisés dans les secours à Bab El-Oued, et lui-même, avait installé sa tente dans le quartier Triolley et n'oubliait jamais de rappeler la nuisance de l'islamisme comme pour cette tragédie lorsqu'il accusa l'ex-FIS d'avoir fait construire le marché de Triolley à l'aboutissement du lit de l'oued qui a débordé. À une consœur qui le faisait réagir sur la responsabilité de l'Etat depuis, il réagira sur le terrain politique : “Nous vivons l'intégrisme depuis 1982. Et quelles sont les causes de l'intégrisme si ce n'est la déliquescence de l'Etat ? On est passé de laxisme en laxisme…”. 24 heures avant la visite du président Bouteflika sur les lieux, c'en était trop pour le général-major qui ose braver ouvertement les politiques. Lucide, Fodhil Chérif savait ses jours comptés au sein de la hiérarchie militaire. Etiqueté “éradicateur” en pleine réconciliation nationale, certains voyaient en lui une anomalie dans le nouveau paysage militaire qui se dessinait, et c'est logiquement, après la démission du général Lamari, qu'il quitta son poste pour sombrer dans un anonymat indigne de son rang et des services qu'il rendit à la nation. Mounir B.