Le procès concernant l'affaire de l'assassinat du chanteur kabyle et chantre de l'amazighité, Matoub Lounès, s'ouvrira demain au tribunal criminel près la cour de Tizi Ouzou avec en toile de fond des assurances données par le procureur général sur le “bon déroulement de ce procès”, d'un côté, et d'un autre côté, une inquiétude tellement profonde chez la famille Matoub et les citoyens qu'un comité nommé “vérité et justice sur l'assassinat de Lounès Matoub” est né en Kabylie et a vite fait de lancer une pétition pour exiger la réouverture du dossier et par conséquence la refonte de toute l'instruction maintes fois qualifiée de “bâclée”. De juin 1998 à juillet 2008, cela fait maintenant 10 ans que le procès concernant l'affaire Matoub est attendu en Kabylie où l'on ne cesse, malgré l'usure du temps de réclamer que justice soit faite à celui qui est toujours considéré comme un des plus importants repères et symboles de la cause identitaire et démocratique, mais pas n'importe quel procès : un procès qui fera plutôt éclater la vérité, toute la vérité, sur ce crime classé depuis le 25 juin 1998 dans le registre des assassinats politiques. Cette vérité sera-t-elle donc enfin connue du grand public ? Il faudrait assurément attendre le déroulement et surtout l'issue du procès pour le savoir. Mais, entre cette attente et l'issue du procès, il y a un arrêt de renvoi élaboré après un peu plus de deux ans d'instruction par la chambre d'accusation mais celui-ci a été contesté, même rejeté, par les membres de la famille Matoub qui disent avoir relevé de nombreuses irrégularités dans le déroulement de l'instruction, particulièrement en ce qui concerne la reconstitution des faits et l'étude balistique. Lors de sa rencontre, le 24 juin dernier, avec les membres de la famille Matoub, le procureur général avait rassuré que “la famille a le droit de formuler toutes les demandes et requêtes qu'elle juge nécessaires à faire éclater la vérité”. Sauf donc élément nouveau, il sera sans doute référé à la première instruction qui a, faut-il le rappeler, révélé certains noms et certains détails liés à cet assassinat perpétré sur la route de Tala Bounane menant vers Béni Douala. 10 noms de terroristes âgés entre 19 et 33 ans au moment des faits sont cités dans ce document de la justice qui mentionne aussi que seuls deux parmi ce groupe qui agissait sous les ordres du sinistre Hacène Hattab qui était à l'époque à la tête des groupes terroristes activant en Kabylie sont arrêtés et emprisonnés. Chenoui Mehieddine, alias Abdelhak, âgé de 33 ans à l'époque de l'assassinat et Medjnoun Malik lui âgé de 24 ans à la même époque sont ces deux mis en cause arrêtés dans le cadre de l'enquête ouverte sur cet assassinat. Quant aux huit autres terroristes, à savoir Kiche Fateh, alias Mohammed Abou Doudjana, Medhmoun Nacer Eddine, alias Abd Enacer, Bachatene Kamel, alias Cherchour, Khettab Arezki, alias Akacha, Ghidouchi Ali, alias Ouassama, Ourdane Abdelouahab, alias Abdellah, Zermout Mohammed, alias Salim, et Boudjnah Mehieddine, alias Azzedine sont déclarés toujours en fuite. Certains d'entre eux, à l'instar de Zermout Mohammed, alias Salim, sont déjà éliminés par les services de sécurité dans le cadre de la lutte antiterroriste. Tout au début de l'instruction, est-il précisé dans l'arrêt de renvoi, les soupçons de la famille Matoub, notamment de sa sœur et sa mère, portaient sur l'épouse de Lounès. Des soupçons qui ont pesé jusqu'au 5 mai 1999, date à laquelle Hacène Hattab, “émir” de la zone II du GIA avait revendiqué l'assassinat de Matoub. C'était là le tournant de l'instruction qui s'est orientée vers la piste terroriste mais l'affaire ne s'arrêtera pas là. La reddition d'un certain Toukoudji Ramdane, alias Mounir, aux services de sécurité, est ce qui a permis, toujours selon le document de la justice, de connaître tous les détails de l'assassinat de Matoub et aussi tous les noms des lâches sanguinaires ayant participé à l'opération. L'arme de type kalachnikov, portant le n° MLK 4354, remise aux services de sécurité par ce repenti tout en précisant que c'était l'arme utilisée par Medhmoun Nacer Eddine, alias Abdenacer, dans l'assassinat de Matoub a aussi donné du grain à moudre aux enquêteurs qui ont conclu, après une expertise balistique, que dix balles sur les quinze dont les douilles ont été récupérées par la gendarmerie juste après l'assassinat ont été tirées avec cette arme. Selon les déclarations de ce même repenti, le lendemain de l'assassinat, Zermout Mohammed, alias Salim, s'est rendu au quartier général du GIA à Sidi-Ali-Bounab, avec une Kalachnikov et un PA de type Tokarev, qu'il disait être les armes de Matoub Lounès. Les déclarations d'un autre repenti, à savoir Abdelaziz Toufik, a permis, selon l'arrêt de renvoi, de confirmer les déclarations de Toukoudji et de préciser que l'assassinat de Matoub a été perpétré par huit terroristes et un autre, à savoir Chenoui Mehieddine, chargé de surveiller puis de donner le signal quant à l'arrivée de la voiture de Matoub. La confrontation entre les deux repentis et les deux mis en cause arrêtés, à savoir Chenoui Mehieddine et Medjnoun Malik, qui ont niés les faits, est ce qui a donné à la justice une conviction sur l'implication de ces deux derniers. Selon le document de la chambre d'accusation, les déclarations et les précis détails fournis par les deux repentis, cités comme témoins, ont permis aussi une reconstitution des faits dans lesquels l'on a pu situer l'emplacement de chacun des auteurs de l'assassinat y compris Chenoui et Medjnoun. Dans l'arrêt de renvoi l'on ne retrouve, toutefois aucun mot sur le mobile de cet assassinat. Pour le commun des citoyens, les raisons ne sont pas étrangères au contexte de l'époque fait de guerre contre le terrorisme et au même temps de lutte politique au sommet du pouvoir. Ce qui n'a pas manqué alors de donner lieu à des lectures et des imaginations. Malika Matoub, la sœur du Rebelle a déclaré, selon le document de la justice, que “Matoub était toujours menacé par les terroristes qui l'ont enlevé en 1994 parce qu'ils lui ont demandé d'arrêter de chanter et d'organiser une conférence pour expliquer à la population de Tizi Ouzou que les terroristes ne sont pas contre le tamazight et la population mais plutôt contre le système, chose qu'il n'a pas voulu faire”. Matoub savait-il donc ce qui l'attendait ? Son épouse Nadia avait déclaré que Lounès n'était pas menacé car, lui aurait-il confié, les terroristes l'ont contacté pour le rassurer en lui disant qu'ils ne voulaient pas lui faire du mal mais, avait-il ajouté, qu'il ne pouvait pas les croire. Selon les témoignages de l'épouse du Rebelle, et aussi de ses sœurs Farida et Ouarda, Matoub, contrairement à ses habitudes, était très inquiet et perturbé ce jour-là. En tout cas, en dix ans beaucoup d'encre a coulé et de nombreuses versions, parfois des plus invraisemblables ont été dites, écoutées et propagées, de nombreuses activités ont été organisées pour préserver la mémoire du Rebelle, aujourd'hui il est peut-être temps d'entendre la vérité. Samir LESLOUS