Dans cet entretien, et outre l'intérêt que porte son pays au développement économique pour l'Algérie, Son Excellence l'ambassadeur de Turquie, Ahmet Necati Bigali, évoque aussi l'incontournable question de l'Union pour la Méditerranée à quelques jours de la tenue du sommet de Paris, en précisant qu'il n'y a pas eu de concertation préalable entre Alger et Ankara, l'affaire relevant de la souveraineté de chaque pays. Liberté : Beaucoup de pays émettent des réserves par rapport au projet de l'Union pour la Méditerranée (UPM). Quelle est la position d'Ankara par rapport à cette initiative, à quelques jours de l'ouverture du sommet des chefs d'Etat prévu le 13 juillet prochain à Paris ? A. Nicati Bigali : Il faut savoir à ce sujet que tout de suite après le lancement de ce projet par M. Sarkozy, nous avions pensé que c'était une initiative comme une alternative à l'adhésion de la Turquie à l'UE. Si c'était le cas, c'était inacceptable pour nous. Nous avons demandé des garanties aux responsables français et à ceux de l'Union européenne. Ces derniers ont donné des garanties publiquement exprimées. Dès lors, nous évaluons cette initiative. Vous savez que la Turquie est une partie du processus de Barcelone depuis sa fondation en 1995. Nous n'avons pas encore, jusqu'à l'heure actuelle, pris de décision par rapport au projet de l'Union pour la Méditerranée. Mais je peux vous dire que nous évaluons cette initiative avec une perspective positive. Des discussions et des concertations ont-elles eu lieu entre l'Etat algérien et la Turquie autour de cette initiative ? Nous n'avons pas eu de concertations spéciales pour la participation à l'UPM. Entre nos deux pays, il y a beaucoup de domaines de concertation, il y a des questions autour desquelles il y a des convergences de points de vue. Aussi, nous avons des valeurs communes qui nous lient, il y a des liens historiques entre les deux pays. Tout comme nous partageons énormément de valeurs communes. Nous collaborons et nous avons des échanges de vue dans beaucoup de domaines et questions intéressant nos deux pays également. Mais la participation à l'UPM relève du domaine souverain de chaque pays, nous n'avons pas eu de concertations spéciales sur la participation au sommet du 13 juillet prochain à Paris. Les pays prennent leur propre décision de participation. La présence d'Israël ne risque-t-elle pas de plomber le projet de l'Union pour la Méditerranée, sachant que les pays arabes demeurent intransigeants sur la question palestinienne ? Je comprends le différend. La question arabo-israélienne est une question fondamentale pour la paix au Proche-Orient. Si cette question se résout, la paix viendra au Proche-Orient. Et c'est une question qui doit être résolue dans le cadre des droits légitimes du peuple palestinien. Nous comprenons et nous respectons les positions des pays arabes, y compris celle de l'Algérie, mais nous avons de bonnes relations avec Israël aussi. Et d'ailleurs à propos de la question palestinienne, nous transmettons nos vues à la partie israélienne. Nous voyons aussi que chaque composante de l'Union européenne a des vues spécifiques à chaque pays que nous respectons aussi. L'Algérie connaît un développement économique. Quelle est la partie du partenaire turc dans ce domaine ? Nous observons depuis des années les efforts de l'Algérie dans le redressement économique. Nous souhaitons que l'Algérie soit un pays fort économiquement et nous voulons prendre part dans les projets de développement lancés par votre pays. Aussi, sachez que nous avons une présence non négligeable en Algérie. À peu près, une centaine de compagnies. Quels sont les créneaux investis par les entreprises turques en Algérie ? C'est dans les domaines de la construction des barrages, des routes, des chemins de fer et des autoroutes. Nous sommes dans ce domaine au deuxième rang, après les Chinois. Les investissements se font encore sur les petites industries. Nous créons des partenariats avec des firmes algériennes. Il y a beaucoup de gens qui viennent et qui demandent des informations à ce sujet pour pouvoir comprendre les possibilités d'investissement. Nous voyons que l'Algérie est un chantier. Nous nous réjouissons de cela et nous incitons les firmes et les hommes d'affaires turcs à venir investir en Algérie. À cet égard, il faut savoir qu'il y a de plus en plus de présence de compagnies turques en Algérie. Lors de la visite du Premier ministre turc en mai 2006 en Algérie, il y a eu la signature d'un traité d'amitié entre les deux pays. Où en est-on de la mise en œuvre de ce traité ? Le président de la République algérienne Abdelaziz Bouteflika a effectué une visite officielle en 2005 en Turquie. Cette visite a ouvert la voie aux perspectives et au développement des relations bilatérales entre les deux pays. Il a donné une accélération aux relations entre les deux pays. Et le Premier ministre turc, Erdogan, a effectué une visite en Algérie en 2006. Durant cette visite, il y a eu la signature d'un traité d'amitié et de coopération. Ce genre de traité est très important. Et je constate que la partie algérienne lui accorde plus d'importance. Votre pays d'ailleurs n'a signé ce traité qu'avec quelques pays. Nous, également, nous lui accordons de l'importance. Dans ce contexte, nous devons effectuer énormément de visites de haut niveau. Et nous attendons la fin de l'année en cours pour annoncer une visite officielle de notre Président en Algérie. Sa visite dans votre pays entre dans le cadre de ce traité d'amitié et de coopération signé en 2006 à Alger. Sa visite en Algérie sera-t-elle couronnée par des annonces concrètes ? Il y a la possibilité de signer certains agréments lors de cette visite. Peut-on penser que la question des visas sera réglée lors de cette visite d'Etat que vous annoncez pour la fin de l'année en cours ? Je ne peux pas répondre à cette question. Je constate à cet égard qu'il y a énormément d'Algériens qui se rendent en Turquie. Je voudrais ajouter qu'avec ce traité, les deux pays sont devenus des partenaires stratégiques dans de grands domaines : culturel, gouvernemental, économique. L'ambassadeur qui vous a précédé a dit que la Turquie souhaite que l'Algérie soit la fenêtre qui lui permettra d'accéder à l'Afrique. De quelle manière cela peut-il être possible ? C'est vrai. Nous avons initié une politique d'ouverture sur l'Afrique depuis dix ans. Nous avons douze ambassades en Afrique et nous comptons en ouvrir encore quinze. Vraiment, nous avons besoin des conseils de l'Algérie sur notre politique d'ouverture sur l'Afrique. Nous procédons à des échanges de point de vues sur notre politique africaine et nous profitons des précieux conseils du ministère algérien des Affaires étrangères. À cette occasion, j'annonce la tenue d'un sommet de coopération Turquie-Afrique entre les 18 et 21 août à Istanbul. Notre Président a convié son homologue algérien à cette rencontre. Beaucoup de chefs d'Etat ont confirmé leur participation à ce sommet et notre Président attend chaleureusement la confirmation de la participation de Monsieur Bouteflika à ce sommet. Nous attachons une importance primordiale à la participation de Bouteflika à cette rencontre. C'est un grand homme d'Etat maghrébin et africain, et nous souhaitons bénéficier de ses conseils précieux. Peut-on évoquer la coopération militaire entre l'Algérie et la Turquie ? Oui. Il y a une coopération militaire entre les deux pays et les chefs d'état-major des deux pays ont effectué des visites mutuelles par le passé. Il y a des contacts, il y a des accords entre les deux parties et nous avançons dans ce domaine également. Que peut-on faire pour promouvoir les relations entre nos deux pays et mieux asseoir les relations entre nos deux pays ? Il faut accélérer et multiplier les visites et les rencontres de haut niveau entre nos deux pays. Du point de vue politique, économique, culturel, militaire et autres. Le parti politique du président et du Premier ministre turcs est menacé de dissolution par la Cour constitutionnelle. Peut-on avoir votre point de vue à ce propos ? Le procureur général de la République a initié un procès, le 14 mars dernier, prétendant que ce parti est devenu le centre des activités anti-laïques. J'ai des opinions personnelles à ce sujet. Mais il y a un procès en cours. Et selon notre législation, quand il y a un procès en cours, il n'est pas possible pour nous de faire des commentaires ou de déclarations. Mais dans deux mois à peu près, on peut réagir par rapport à cela. N. M.