Si même en France, les hôtels datant du XXe siècle sont aptes à être rénovés, voire à être démolis, à Constantine on s'achemine, avec la nouvelle histoire de Cirta, vers la considération de ces bâtisses érigées durant la même période, comme patrimoine universel intouchable. Le clou est poussé au point où une association exige la fermeture de l'hôtel pour en faire… un musée ! Une confusion des genres inédite, sauf s'il y a d'autres enjeux. Longtemps bénéficiant de situations de monopole sur le segment de l'hôtellerie d'affaires, le Cirta de Constantine se prépare à affronter des lendemains rudes avec l'entrée en exploitation, d'ici une année et demie, de deux enseignes de la chaîne Accor : un Novotel et un Ibis localisés, eux aussi, en plein centre-ville. La mission s'avère des plus difficiles. Le plan de sa rénovation est considéré par une association locale comme une atteinte au patrimoine culturel de la ville. Cette dernière appelle même à sa fermeture. Ainsi l'hôtel, un 72 chambres aussi vieux que la partie coloniale de la ville, est au cœur d'une véritable dynamique de mise à niveau afin de faire face aux nouvelles donnes de la concurrence. L'idée est de combler le retard en matière d'hygiène et de qualité pour assurer une montée en gamme nécessaire pour garantir sa pérennité. Il est question de mettre en évidence ses points forts en prenant en considération les points faibles de la concurrence. Justement, selon son directeur : “ Les points forts du Cirta sont son style andalou, ses chambres spacieuses aptes à devenir de véritables suites, son entrée semblable à un hall de palace et son restaurant de même style que la salle des réceptions du Palais du peuple, pour peu que le parterre soit rénové.” Lors du dernier déplacement du Président de la République à Constantine, accompagné de son homologue français, on avait un problème pour assurer la restauration de la délégation VIP, alors que le Cirta s'y prête avec le minimum d'efforts dans la qualité. L'association de défense du patrimoine craint que ces travaux, qui ciblent les parties directement liées à l'exploitation, donc soumises à l'appréciation du client, amputent l'établissement de son cachet historique et culturel. Les animateurs de l'association appellent les dirigeants du Cirta à des travaux de restauration à effectuer par des spécialistes... en restauration. Les contestataires en appellent au ministre de la Culture et au wali de Constantine. Le directeur de l'hôtel Cirta, lui, parle d'ingérence dans des affaires internes d'une entreprise. “Il y a beaucoup de fausses idées qui sont savamment distillées telle celle qui donne le Cirta pour un établissement classé patrimoine universel. Le site est un hôtel construit en 1912, appelé à offrir le gîte et le couvert à une clientèle de plus en plus exigeante en matière de qualité et d'hygiène. Pour le cachet, on est les premiers à le défendre, et on le fait actuellement devant les tribunaux pour déloger les squatteurs, car il est ce plus qu'on offre par rapport à la concurrence. Que la dite association dénonce l'état avancé de délabrement de la salle de cinéma, tenue par une association, fermée depuis vingt ans, alors que la ville n'a pas de salle de conférence digne de sa place !” Pour un syndicaliste, “un hôtel, on le rénove, on ne le restaure pas ; sinon il fallait, dès le départ, l'appeler musée ou mausolée. Toutefois, pour le Cirta les dirigeants ont tout intérêt à sauvegarder certains éléments anciens de la bâtisse lors des perpétuelles et inévitables mises à niveau pour en faire des éléments de différence avec la concurrence. À ce stade, d'ici vingt ans on considérera l'hôtel El Aurasssi patrimoine historique à forte valeur culturelle et politique, donc intouchable. Une hérésie qui confond les genres. En tout cas, au Cirta, soit on rénove, soit on perd la clientèle.” Ces deux points de vue sont confortés par l'avis d'un expert en hôtellerie. Ce dernier est catégorique : “Le tourisme est une économie. Le seul classement d'un hôtel est sa catégorie, ses étoiles. On peut classer comme patrimoine son jardin, une terrasse, une salle annexe, mais jamais la bâtisse abritant les services d'exploitation. Ces derniers sont en perpétuelle quête de la montée en gamme, donc de mise à niveau”. Notre spécialiste rappelle que, par définition, un hôtel classé est appelé à être réaménagé de fond en comble, tous les dix ans, voire cinq ans. C'est dans l'esprit même de sa définition. “Dommage pour le Cirta, on intervient une fois tous les quinze ans”, conclut-il. Pour les clients, le Cirta est un excellent hôtel sauf que la bâtisse, vétuste, doit répondre aux attentes des clients de 2008. Rencontré dans le hall de la réception, un expatrié français est catégorique. “Je descends au Cirta à cause de son cachet particulier inspiré d'Andalousie et ses chambres spacieuses. Son défaut reste sa vétusté. À l'heure du défaut qualité zéro, il est inadmissible que le parterre d'un trois étoiles soit dégradé soulevant même de la poussière par certains endroits”. Ainsi, les intérêts des deux parties sont préservés si les motivations de chacune sont saines et loin des spéculations… immobilières surtout. Mourad KEZZAR