En signant avec le russe Gazprom, l'espagnol Gas Natural cherche à contourner l'écueil des prix demandés par Sonatrach et espérer, par là même, influer sur la position de principe de la compagnie algérienne. L'Espagne signe avec la Russie un contrat de gestion du GNL. Le rapprochement entre Gas Natural et Gazprom devrait donner lieu au plus grand ensemble gazier du monde. L'information aurait pu être considérée comme “normale” si elle n'était pas prise dans son contexte véritable. L'Espagne est liée à l'Algérie par un contrat de livraison de gaz, qui a rapporté à l'Algérie 7 milliards de dollars en 2007. L'Algérie avait, pour rappel, demandé la révision à la hausse des tarifs de gaz livré à l'Espagne, à hauteur de 20%, sur deux étapes. Le désaccord entre les deux pays sur cette question, mais aussi sur la commercialisation, par Sonatrach, de son gaz sur le sol espagnol devrait être réglé par l'arbitrage international. L'autre litige opposant les deux pays a trait au grand projet gazier du champ de Gassi Touil, où Gas Natural est accusé de n'avoir pas respecté ses engagements contractuels. Cette volte-face espagnole fait voler en éclats les déclarations de bonne foi des officiels espagnols et risque de jeter un froid sur la coopération énergétique entre Madrid et Alger. L'Algérie, qui assure jusque-là plus de 34% des besoins énergétiques espagnols, devrait s'attendre à davantage de restrictions sur le marché espagnol. Déjà empêchée de suffisamment commercialiser son gaz sur le sol espagnol, et empêchée d'augmenter sa participation dans le capital du gazoduc Medgaz, Sonatrach devrait s'attendre à une rude concurrence sur le marché ibérique. Le rapprochement entre Gazprom et Gas Natural pourrait pousser Sonatrach à durcir sa position, et à refuser tout compromis possible, en dehors de l'arbitrage international pour ce qui est des affaires pendantes avec ses partenaires espagnols. La hantise de l'Espagne, tout comme les autres pays européens consommateurs de gaz, est d'être à la merci des pays producteurs, que ce soit au niveau des prix, mais aussi celui des quantités mises à leur disposition. Les consommateurs européens gardent en mémoire l'épisode du rationnement d'approvisionnement par le gaz russe, suite aux différends avec les pays de transit, notamment l'Ukraine et la Géorgie. L'Algérie, qui assure jusque-là 20% des approvisionnements de gaz de l'Europe, constitue un partenaire sûr, d'autant plus que les deux gazoducs existants, en plus de ceux en cours de construction vers l'Espagne et l'Italie, devraient permettre l'augmentation de ces approvisionnements et une plus grande présence du gaz algérien sur le marché européen. Les Européens veulent diversifier leurs sources d'approvisionnement en gaz naturel et s'assurer ainsi une certaine marge de manœuvre. Les réactions en chaîne suscitées par l'idée d'une Opep du gaz défendue par la Russie renseignent sur les craintes des pays européens de voir les producteurs de gaz imposer leurs conditions, notamment en matière de prix. Avec la flambée actuelle des cours de pétrole, les Européens, qui disposent de contrats de longue durée en matière d'approvisionnement de gaz, veulent maintenir le statu quo et obliger les pays producteurs à brader leur gaz, en faisant jouer la concurrence. Il va sans dire que Gazprom fait là une bonne affaire, lui qui joue sur les deux registres : négociations bilatérales avec des clients européens et négociations multilatérales avec les pays producteurs de gaz en vue de créer un cartel. Une façon, pour le géant russe, de faire monter les enchères et de s'imposer comme un acteur incontournable sur le marché gazier mondial. Il reste à connaître la réaction algérienne par rapport à ce rapprochement qui menace ses intérêts. Va-t-elle pousser vers l'accélération de la mise en place d'une Opep du gaz ? Ou va-t-elle se contenter de riposter, par les voies légales, à ce drible espagnol ? Azzeddine Bensouiah