Le président du Pakistan Pervez Musharraf a annoncé, hier, qu'il démissionnait, à la veille du lancement par le gouvernement d'une procédure de destitution à son égard. Une première dans la sphère musulmane. Sa succession n'est pas simple. “Après avoir considéré la situation et consulté divers conseillers en droit et alliés politiques, sur leurs conseils, j'ai décidé de démissionner”, a déclaré le chef de l'?tat pakistanais, qui avait pris le pouvoir le 12 octobre 1999 à l'issue d'un coup d'?tat militaire, sans effusion de sang, dans un discours télévisé à la nation hier. “Je laisse mon avenir dans les mains du peuple”, a-t-il ensuite lâché, la mine très sombre, accusant la coalition gouvernementale, l'ancienne opposition sortie vainqueur des législatives de février, “de saper les fondements du Pakistan, seule puissance nucléaire militaire du monde musulman”. Le gouvernement avait annoncé dimanche qu'il déposerait devant le Parlement une motion visant à engager une procédure de destitution contre l'ancien général, qui avait démissionné du poste de chef d'état-major des armées avant les élections. Ces dernières avaient été largement remportées d'abord par le parti de l'ex-Premier ministre Benazir Bhutto, assassinée fin décembre dans un attentat-suicide, puis par celui de l'ancien chef du gouvernement Nawaz Sharif, évincé du pouvoir en 1999 lors du putsch du général Musharraf. Depuis la formation du gouvernement de coalition en mars, Musharraf était contraint à une cohabitation houleuse. Pourtant, jusqu'à son annonce, les proches de Musharraf le donnaient comme restant au pouvoir quitte à dissoudre la Chambre des députés. Mais le Pakistan ne pouvait pas se payer une nouvelle crise institutionnelle déjà qu'il est lourdement frappé par une crise sécuritaire et une crise socioéconomique. Ce constat a été également dressé par les alliés de Musharraf, notamment les Etats-Unis. Son retrait aurait été négocié par le chef des services de renseignements saoudiens, discrètement appuyé par les ?tats-Unis, lequel a été aperçu à Islamabad après la décision de la coalition gouvernementale d'engager la procédure d'empêchement. Washington n'a lâché le président général que face à la détermination de son gouvernement. La Maison-Blanche ne pouvait ne pas s'aligner, d'autant que Bush n'est pas en odeur de sainteté ni dans le pays, ni dans les régions limitrophes, ni même ailleurs dans les opinions musulmanes. Bush a fini par exiger que son protégé parte dignement. Les ?tats-Unis redoutent cependant l'avenir du Pakistan et même le gouvernement pakistanais dans la lutte contre Al-Qaïda et les talibans, décrypte un journaliste politique pakistanais. Ils vont certainement chercher à le remplacer par un nouvel “homme fort” qui leur soit acquis. La perte de Musharraf est pour les Américains incommensurable. ? plusieurs reprises, le président américain affirmait : “Le Pakistan est un allié vital dans notre guerre contre le terrorisme.” Depuis fin 2001 et l'intervention des forces de la coalition menées par les Américains en Afghanistan, de hauts responsables d'Al-Qaïda ont été tués ou arrêtés au Pakistan, notamment Khalid Cheikh Mohammed, cerveau présumé des attentats du 11 septembre. Et, début août 2008, une opération militaire en zone tribale pakistanaise entraînait la mort d'un ?gyptien proche d'Oussama Ben Laden. Pour la CIA et le Pentagone, la frontière avec l'Afghanistan est aujourd'hui l'une des zones “les plus dangereuses de la planète”. Les attentats dans ce pays ont fait plus d'un millier de morts dont Benazir Bhutto. Selon des observateurs, Washington, qui affirme “ne pas souhaiter s'immiscer dans les affaires internes d'Islamabad”, jouerait la carte Kayani, un homme-clé, aux yeux des Américains. Ce militaire, qui a fait des études militaires aux ?tats-Unis, est proche de l'establishment et surtout partage la vision des Américains dans la guerre contre le terrorisme. Officiellement, l'armée pakistanaise s'était tenue à l'écart de la procédure d'exclusion proposée par Nawaz Sharif et Asif Ali Zardari, les deux principaux responsables de la coalition au pouvoir que en qui les Américains ne font pas entièrement confiance. Sans Pervez Mucharraf, les Etats-Unis ont besoin du Pakistan car, sans Islamabad, impossible de lutter contre le terrorisme, qui s'est désormais complètement et solidement implanté dans ce pays, préviennent les diplomates occidentaux en poste au Pakistan. D. B.