Oubliées des médias internationaux, à cause de la situation chaotique en Libye, la Tunisie et l'Egypte, premiers pays à avoir «réussi» leur mue, semblent incapables de sortir de leurs circonvolutions post-insurrectionnelles, où la violence diffuse se greffe à une instabilité politique qui tend à devenir chronique. Si d'aucuns parlent déjà de désillusion, quatre mois après la «révolution», l'enjeu pour la classe politique aujourd'hui, dans ces deux pays, est d'éviter le chaos, et surtout d'endiguer le péril islamiste qui est bien réel. En Egypte, le relâchement de l'ostracisme de l'Etat, après la chute du régime de Hosni Moubarak, semble propice pour le retour des vieux démons. Les affrontements interconfessionnels qui reprennent de plus belle, augurent d'un glissement dangereux, estiment aujourd'hui les observateurs égyptiens. Des heurts entre musulmans et coptes ont fait au moins neuf morts et plus d'une centaine de blessés, samedi soir, dans un quartier de l'ouest du Caire. A l'origine de ces nouveaux affrontements, de vieilles rivalités à caractère intégriste, à propos de reconversion de musulmans au christianisme, souvent alimentées par des groupes obscurantistes et amplifiées par la rumeur, d'après la presse cairote. La situation est telle que le Premier ministre, Issam Echaraf, a appelé, hier soir, à une réunion de crise pour trouver une solution. Mais encore une fois, le gouvernement a dû faire appel à l'armée pour restaurer le calme, en procédant à des arrestations massives et donc en revenant à la logique répressive. L'armée a promis d'agir fermement contre les responsables de ces violences et qu'elle «ne permettra pas à quelque courant que ce soit d'imposer son hégémonie en Egypte». Un porte-parole a demandé à «toutes les communautés en Egypte, les jeunes de la révolution et les théologiens musulmans et chrétiens de s'opposer fermement aux tentatives de groupes obscurantistes de torpiller l'unité nationale». A cette dégradation de la situation sécuritaire, de plus en plus menaçante, s'ajoute, pour les Egyptiens, la hantise islamiste. Les Frères musulmans qui avaient au début préféré –tactique oblige- rester en retrait, aiguisent à présent leurs armes et préparent déjà leur conversion en parti politique, dans la perspective des prochaines courses électorales qu'ils ont toutes les chances de remporter. Du benalisme sans Ben Ali La situation chez nos voisins semble plus problématique. Quatre mois après l'installation d'un nouveau pouvoir, la violence continue à rythmer la vie politique du pays, et, le comble, les Tunisiens renouent avec le couvre-feu, alors qu'il a été levé le 15 février dernier Les autorités ont justifié la mesure en déclarant que des pillages et violences s'étaient produits dans la capitale tunisienne et sa banlieue au cours des deux derniers jours. Des manifestations anti-gouvernementales se sont déroulées chaque jour depuis jeudi à Tunis et ont été parfois durement réprimées par les forces de l'ordre. Samedi, des échauffourées ont opposé à Tunis des policiers armés de grenades lacrymogènes à des centaines de manifestants qui réclament la démission du gouvernement de transition. La tension est remontée d'un cran en Tunisie après les propos tenus jeudi par l'ancien ministre de l'Intérieur, Farhat Rajhi, sur un possible coup d'Etat de fidèles du président déchu Zine ben Ali en cas de victoire des islamistes d'Ennahda aux élections législatives prévues le 23 juillet prochain. Or, d'après les observateurs tunisiens, le mouvement dirigé par Rachid El Ghanouchi est bien parti pour remporter le scrutin. Le gouvernement a essayé de riposter et de remédier à cette «provocation», en limogeant Farhat Rajhi de son poste de directeur du Haut Comité sur les droits de l'homme et les libertés fondamentales, un organisme financé par l'Etat, mais d'aucuns en Tunisie estiment que cette première confrontation pose un vrai problème pour la classe dirigeante, qui auront à gérer une transition porteuse de tous les dangers. Car, en l'absence de garde-fous, une éventuelle montée des islamistes au pouvoir est déjà vécue comme une hantise. Les Tunisiens auraient à choisir entre un scénario à l'algérienne –avec ses frayeurs- et un retour à l'ostracisme, autrement dit à du benalisme sans Ben Ali. (Lire aussi en page 10) Mussa A.