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Le faux procès
Publié dans La Nouvelle République le 27 - 09 - 2011

A l'inverse, on finirait par devenir fou ou par mourir de rire face au ridicule qui ne tue pas. L'un ne va pas sans l'autre. Il n'y a pas de médaille qui n'a pas de revers. Prenons, par exemple, l'affaire Ben Laden et l'affaire Dominique Strauss-Kahn.
Dans la première affaire, le 2 mai 2011, les forces spéciales des Etats-Unis, lors d'un raid qui a duré quarante minutes, ont encerclé puis abattu sans sommation Ben Laden qui se morfondait dans un refuge sordide à Bilal dans la périphérie d'Abbotabad au Pakistan. La logique et la loi — surtout la loi américaine — voudraient que celui-ci soit arrêté puis remis à la justice à l'effet d'y être jugé avec toutes les garanties que de droit, et notamment le droit à la défense qui est un droit sacré. Il n'en fut rien. Ben Laden a été abattu et jeté en pâture aux poissons sans autre forme de procès. Et le président Obama de déclarer avec le plus grand sérieux face au monde entier : « Justice a été faite » (sic !). C'est une façon pour le moins singulière de rendre la justice. Voilà un monsieur qui est accusé d'avoir fomenté et commandé une attaque à l'encontre des deux tours jumelles situées au quartier de Manhattan à New-York le 11 septembre 2001 et à l'encontre du siège du Pentagone, attaque qui a provoqué des milliers de morts et des centaines de blessés en plus de la destruction des deux tours. Et c'est ce qui servira de prétexte à l'agression de l'Afghanistan par les Etats-Unis et leurs alliés, pays dans lequel Ben Laden s'était prétendument réfugié et à partir duquel il était censé avoir planifié l'attaque. Soit dit en passant, la guerre étant ce qu'elle est en Afghanistan, il n'est pas exagéré de dire que Ben Laden n'a pas fini de tuer. Etant donné les faits qui lui étaient reprochés, la moindre des choses eût été de l'arrêter et de le présenter à la justice à l'effet d'y être jugé et non pas d'appliquer la loi du talion, de se faire justice soi-même, sans donner la possibilité à l'auteur présumé des attentats du 11 septembre 2001 de se défendre. Pis encore, d'empêcher les victimes survivantes et les ayants droit des victimes décédées de connaître la vérité, de faire valoir éventuellement leurs droits. Cela relève ni plus ni moins de la barbarie. En effet, se faire justice soi-même n'est pas la justice. Il n'est point question ici de présomption d'innocence, ou d'une justice de type accusatoire dans laquelle l'accusé et la victime sont sur un pied d'égalité, chacun apportant des preuves à l'appui de ses allégations, à charge et à décharge, mais bien d'une condamnation sans jugement suivie d'une exécution. En fait, il s'agit bel et bien de la violation du sixième amendement de la Constitution américaine du 17 septembre 1787 qui dispose : « Dans toutes les poursuites criminelles l'accusé jouira du droit d'être jugé promptement et publiquement par un jury impartial de l'Etat ou du district où le crime aura été commis, lequel district aura été auparavant déterminé par la loi, et d'être informé de la nature et de la cause de l'accusation, d'être confronté avec les témoins à charge, de faire citer, par toutes voies légales, des témoins à charge, et d'avoir l'assistance d'un avocat pour sa défense ». Tout cela n'a pas été respecté alors et surtout que le crime a été commis sur le territoire des Etats-Unis. Mais il s'agit aussi de la violation de la Déclaration universelle des droits de l'homme à laquelle les Etats-Unis ont souscrit, ainsi que la résolution adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU le 18 décembre 2009 relative à la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste. Cette résolution souligne la nécessité de défendre et de protéger aussi bien les droits des victimes du terrorisme que les droits des auteurs des actes terroristes. Elle exhorte les Etats à leur garantir le droit à une procédure régulière, de respecter l'égalité de tous devant la loi et les tribunaux ainsi que le droit à un procès équitable tout en sauvegardant leur intégrité physique. A cela s'ajoute le fait que le pouvoir exécutif s'est immiscé dans un domaine réservé à la justice par la Constitution américaine, qui a mis en place une séparation stricte des pouvoirs. Comme on le voit, dans l'affaire Ben Laden, la justice américaine a été bafouée, la loi violée et les droits des partis ignorés, en l'occurrence les droits du commanditaire présumé des attentats ainsi que les droits des victimes et de leurs ayants droit . Il va sans dire que l'assassinat de Ben Laden sans jugement a terni l'image de marque et la crédibilité de la justice américaine. Mais ce qui va sans dire va encore mieux en le disant. Dominique Strauss-Khahn, quant à lui, a fait l'objet d'accusations d'agressions sexuelles, de séquestration de personne et de tentative de viol, crimes commis le 14 mai 2011, soit douze jours après l'assassinat de Ben Laden, à l'encontre de Nafissatou Diallo, employée comme femme de chambre à l'hôtel Sofitel situé dans le quartier de Manhattan à New York. D'origine guinéenne, musulmane, la victime est âgée de trente-deux ans, et elle réside dans le Bronx, un quartier pauvre de New York. Alors que l'auteur présumé des faits s'apprête à quitter New York pour Paris, il est arrêté le même jour par la police, menotté, et placé en garde à vue au commissariat de Harlem. Le bureau du procureur du comté de New York décide alors d'engager une procédure pénale à son encontre. Trois jours après les faits, soit le 17 mai, Dominique Strauss-Kahn est placé en détention préventive, puis, le 17, un grand jury l'inculpe formellement des chefs d'accusation sus-indiqués. Le même jour, le juge de la Cour suprême de l'Etat de New York accepte, malgré l'opposition du procureur du comté, sa mise en liberté sous caution avec plusieurs conditions : le versement d'une caution d'un million de dollars avec un dépôt de garantie de cinq millions de dollars, le retrait de son passeport, une assignation à résidence à New York avec présence de caméras de surveillance, une présence permanente de gardes armés, le port d'un bracelet électronique muni d'un GPS, des conditions de contact et de sortie draconiennes. Et après des péripéties rocambolesques sur lesquelles il est inutile de s'attarder, le prévenu est placé en résidence surveillée dans une maison située dans un quartier cossu de la ville en attendant une première comparution devant le tribunal le 6 juin. La belle affaire ! Une femme de ménage contre le président-directeur général du FMI. Comme on le voit, ici les parties en présence, que ce soit l'auteur présumé de ces crimes ou la victime, ont eu droit à un procès équitable avec toutes les garanties prévues par la loi américaine. Leur intégrité physique a été sauvegardée, la procédure pénale qui est le type accusatoire a été respectée à la lettre, ainsi que les droits de la défense puisque les deux protagonistes ont eu droit depuis le début de l'affaire de se faire assister par des avocats de leur choix. Ici, les poissons peuvent attendre ! Il est inutile de s'attarder également sur les rebondissements actuels ou à venir dans cette affaire et même sur l'issue du procès tant il est vrai que dans les hôtels du monde entier, les femmes de ménage ne peuvent pénétrer dans une chambre qu'après son évacuation par l'occupant. Ce qu'il faut remarquer, et c'est le plus important, c'est que dans l'affaire Dominique Strauss-Kahn, les formes ont été respectées et la justice a exercé le pouvoir qui lui est dévolu par la Constitution en toute indépendance, sans interférence du pouvoir exécutif. Bref, cette affaire a permis de redorer le blason de la justice américaine qui a été terni par le meurtre de Ben Laden, de la réhabiliter alors qu'elle avait été déchue de son pouvoir. Mais bien au-delà, il n'en demeure pas moins que Ben Laden a été innocenté des crimes qui lui étaient reprochés du fait même qu'il n'a pas eu droit à un procès équitable. De ce fait aussi, la vérité n'a pas été dire sur les véritables commanditaires des attentats du 11 septembre 2011 et justice n'a pas été rendue aux victimes et à leurs ayants droit. Le dossier est clos. Ainsi, le seul viol qui apparaît ici c'est le viol de la loi dont la justice est victime. Evidemment on ne peut que louer la volonté des démocrates américains d'effacer les traces de la gestion catastrophique de George W. Bush mais on peut tout aussi bien déplorer que cela se fasse au détriment de la vérité et de la justice.

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