Les Algériens accueillent, chaque année, le mois de Ramadhan dans une ambiance de piété et de profond respect des coutumes et traditions, affichant, sur fond de fraternité et d'entraide, leur attachement à la manière de se conduire et d'accomplir le jeûne, tout en puisant le meilleur du patrimoine culturel et religieux pour agrémenter leurs soirées en ce mois béni. L'extraordinaire mouvement qui caractérise ce mois, c'est cette vivacité particulière des sens, des ambiances, des rues, des couleurs, couronné par l'élégance lumineuse des minarets. Chaque jeûneur trouve sa place pendant ce mois, les contrastes ne s'opposent plus mais s'harmonisent. Cela se ressent dans le paysage et dans les familles, toutes générations confondues. Toutes les couleurs et toutes les saveurs se donnent ainsi rendez-vous dans chaque foyer, faisant de ces trente jours de jeûne un mois de fête. Il fut un temps, le bon vieux temps… Entre hier et aujourd'hui, le ramadhan n'est plus le même et l'assertion ne vient pas de nous mais de nos aînés qui ont vécu d'autres ambiances ramadhanesques. Que ce soit dans les préparatifs pour accueillir ce mois sacré, dans l'accomplissement du devoir religieux ou encore dans le comportement de chaque musulman au quotidien, tout était différent. Nos aînés ne peuvent se remémorer ce passé sans nostalgie. Ils disent tous que, par le passé, l'atmosphère était si particulière. C'était une autre époque. Une belle époque ! Jadis, dès l'arrivée du mois de chaâbane, la maison était nettoyée à grande eau et la peinture de la cuisine rafraîchie au pinceau. Les ménagères changeaient parfois rideaux, nappes mais surtout ustensiles. Quant aux provisions, elles étaient faites maison et on trouvait de tout au fond de leurs placards. Si, aujourd'hui, certaines femmes ont su préserver cette tradition, d'autres n'y accordent plus grande importance, arguant mille et un prétextes. Toutefois, tous les Algériens veillent à préserver l'essentiel, à savoir «rihet ramdan» (l'odeur du ramadhan), sans quoi tout serait sans saveur. L'ambiance chamarrée des marchés Dans les marchés, l'opulence de légumes et de fruits envahissait les étals, l'ambiance festive était vraiment de rigueur. L'odeur des épices en tous genres et des herbes aromatisées embaumait l'atmosphère, au grand plaisir de tous ceux qui fréquentaient les allées des marchés. Les échanges entre commerçants et acheteurs se mêlaient dans un joyeux brouhaha. Aujourd'hui encore, les marchés et souks des villes algériennes prennent des couleurs variées et dégagent des senteurs et des parfums particuliers qui attirent de nombreux visiteurs venant faire leurs achats. Les marchés se caractérisent également par l'émergence d'activités «saisonnières», proposant un éventail de produits dont différentes épices et autres ingrédients, des variétés de dattes, des fruits, légumes, gâteaux, pains, diouls et autres sucreries traditionnelles. Traditions culinaires en mutation Si les fameuses chorba et h'rira ont su résister au temps qui passe, de même que certains plats traditionnels comme le mtaouem, elham lahlou, ch'itha djedj, les boureks ou les tadjines, qui caracolent toujours en tête des menus des cuisinières algériennes, en revanche, beaucoup de mets modernes ont trouvé leur place sur la meïda du ramadhan en raison de la richesse et de la diversité culinaires et autres habitudes alimentaires qui ont gagné toutes les régions du pays, notamment les grandes villes. Par le passé, la consistance du repas du Ramadhan tournait invariablement et systématiquement autour de la chorba, h'rira ou djari lesquels étaient accompagnés d'un seul plat de résistance Les temps ont bien changé et, aujourd'hui, les femmes se donnent beaucoup de mal pour garnir la table du ramadhan de plusieurs mets succulents. Mais il faut préciser qu'en voulant satisfaire les envies des uns et des autres, on finit par gaspiller la nourriture. C'est ce qu'on appelle avoir les yeux plus gros que le ventre. Avant, des nécessiteux pouvaient à l'heure de l'iftar frapper à votre porte et partager sans protocole votre repas. Aujourd'hui, la charité n'a plus le même visage. Veillées ramadhanesques : dehors ou à la maison ? A peine la dernière bouchée avalée, les hommes quittent la maison pour aller fumer cette cigarette rêvée de toute la journée ou boire un café bien serré au café du coin. Les femmes, une fois la vaisselle faite et la maison rangée, se préparent pour sortir veiller dehors. Il faut dire qu'il y a de l'animation pendant les soirées ramadhanesques. Qu'en est-il des visites familiales qui rapprochaient jadis frères et sœurs, cousins et cousines, grands-parents et petits-enfants, amis et voisins ? Beaucoup d'Algériens ont su préserver cette coutume mais bien souvent la rencontre familiale a lieu autour d'un poste de télévision qui, s'il ne capte pas toute l'attention de l'assemblée, parvient parfois à combler le vide de certaines discussions. Eh oui, la modernité règne sans partage dans de nombreux foyers. Avant, racontent nos aînées, les soirées Ramadhanesques avaient une saveur unique. L'aspect marquant et prédominant de ces veillées est cette omniprésence de l'animation nocturne à l'intérieur des foyers. Les femmes choisissaient souvent de se retrouver autour d'un ouvrage manuel comme la broderie ou le crochet ou encore autour d'une bouqala. D'autres organisaient de véritables petites fêtes à la maison avec musique, chants, danses. Les joyeuses convives dégustaient alors, entre deux déhanchements, des douceurs aux amendes et au miel et un bon thé à la menthe ou aux clous de girofle. Les soirées qui se passaient sur les terrasses des maisons embaumaient de l'odeur suave des jasmins ou des chèvrefeuilles qui agrémentaient chaque demeure. La gent masculine, après la prière des tarawih, se retrouvait, elle aussi, autour de qaâdate où fusaient des notes de chaâbi ou, pour les moins mélomanes, autour d'une meïda bien garnie. Là, ils palabraient jusqu'à une heure tardive de la nuit. Ya hasrah aâla zmen !