La vaste entreprise que s'est fixée notre pays, la recherche d'un passé culturel, la passionnante, l'exaltante tâche de redécouverte et de rénovation n'écartent pas l'hypothèse des véritables découvertes. Découvertes en ce sens que de nobles figures des mondes scientifique et artistique, dont les valeurs furent étouffées pendant de nombreuses années, ne sont connues actuellement que par quelques cercles, le plus souvent d'amis. Leur tâche est aujourd'hui de divulguer ce qu'ils savent. L'un d'eux a voulu rendre un vibrant hommage au cheikh Abderrahmane Ben El-Haffâf... Les Mecquois, malgré leur vigilance, n'apprirent pas sur-le-champ la réunion de l'Akaba. Mais la rage d'avoir perdu l'occasion d'anéantir le Prophète et ses futurs protecteurs les poussa à redoubler leur persécution. Devant les plaintes des musulmans, le Prophète leur ordonna de rejoindre Yathreb. Cette fuite de citoyens abandonnant tout, domaines, propriétés de toutes sortes, bêtes, industries, commerce, provoqua la réunion des Anciens afin d'aviser aux conséquences. La décision de l'Assemblée fut la condamnation à mort de Mohammed ; seulement pour que la responsabilité de toutes les tribus fût engagée, on décida que de chaque tribu un homme prendrait part au meurtre. Dès la séparation des anciens, les conjurés allèrent se poster devant la maison du Prophète. Ici le miracle de Jésus, le pouvoir de se rendre invisible pour la foule, se renouvela pour Mohammed et à partir de ce moment jusqu'à son entrée à Médine, le Prophète fut constamment protégé par la sollicitude divine. Une fois arrivé à Médine, le premier acte du Prophète fut, après délibération avec l'assemblée de la ville, la promulgation de l'inoubliable charte que voici : «Tous les musulmans issus de Koraïche et l'Aouss ou de Khazredj et tous les individus de quelque origine qu'ils soient qui font cause commune avec eux, forment un seul et même corps de nation. «Les Koraïches émigrés se cotiseront entre eux pour payer le prix du sang versé par l'un d'eux ; ils rachèteront ceux des leurs qui seraient faits prisonniers. Il en sera de même de quelques autres tribus ; chacune se cotisera pour payer le prix du sang versé par un des membres et racheter ceux des siens qui seraient faits prisonniers. «Tout musulman qui est dans l'impuissance d'acquitter une rançon ou une amende a droit d'être assisté par ses frères. Un musulman ne tuera point un musulman pour venger la mort d'un infidèle. Un musulman ne prendra point le parti d'un infidèle contre un musulman. «Le croyant puissant doit respecter dans le faible la protection de Dieu qui couvre également tous les musulmans. Les croyants sont tous les alliés les uns des autres, cette alliance est plus étroite que toutes celles qu'ils pourraient avoir avec les hommes étrangers à leur religion. L'état de paix ou de guerre est commun à tous les musulmans, nul d'entre eux n'a droit de conclure de paix particulière avec les ennemis de ses coreligionnaires. «Aucun idolâtre ou juif ne peut protéger à l'encontre des musulmans les biens ou les personnes des Koraïchites idolâtres. Les Juifs qui s'attachent à nous seront à l'abri de toute insulte ou vexation, ils auront droit à notre assistance et à nos bons offices. Les Juifs des diverses branches d'Aouss et de Khazradj, les Chatba, les Taâlebat Ibn-El-Guitoun et tous autres domiciliés à Yathreb forment avec les musulmans un seul et même corps de nation. Ils professeront librement leur religion comme les musulmans la leur. Les clients et amis de ces Juifs jouiront, comme eux-mêmes, d'une entière sécurité. Ceux-là seulement qui se rendraient coupables de quelque crime seront poursuivis et punis. Les Juifs devront se joindre aux musulmans pour défendre Yathreb contre tout ennemi qui viendrait l'attaquer. Tant que les musulmans auront des ennemis à combattre, les Juifs contribueront avec eux aux frais de la guerre. «L'intérieur de Yathreb devient un lieu sacré pour tous ceux qui acceptent cette charte. Les protégés ou alliés des musulmans et des juifs seront respectés comme eux-mêmes. Tous les vrais croyants doivent frapper de réprobation l'auteur d'un crime d'une injustice, d'un désordre. Nul ne doit soutenir le coupable, motif légitime sera soumis à la peine du talion, à moins que les parents du mort ne se contentent de recevoir le prix du sang. Tous les musulmans sont tenus de se réunir contre le meurtrier. Que la malédiction de Dieu tombe sur quiconque donnerait assistance ou refuge au criminel ! Toute contestation qui pourrait surgir à l'avenir entre ceux qui acceptent la présente charte sera soumise à la décision de Dieu et de son Prophète». Pour l'intelligence des faits à venir, nous relèverons deux points de cette charte, savoir : 1° la tolérance de fait que professe l'Islam à l'égard des autres religions, représentées en la circonstance par la doctrine de Moïse ; 2° l'admission des Israéliens comme formant un seul corps de nation avec les Arabes. Cette charte, octroyée pour régir la nation naissante, devait, en soumettant tous ses membres aux mêmes lois, éteindre discordes et luttes intestines. Le Prophète s'employa de toute son énergie à établir la paix entre les diverses tribus de Médine. En outre, il institua l'ordre de la fraternité, en donnant à chaque Yatribien un émigré comme frère. Le Prophète entreprit aussitôt la construction de la mosquée, cette mosquée qui, successivement agrandie, subsiste de nos jours. Puis, Mohammed songea à construire les appartements de ses femmes, Saouda et Aïcha. Le harem du Prophète a provoqué des attaques violentes tant contre sa personne que contre sa doctrine ; même méthode singulièrement imprudente, puisqu'elle fait abstraction d'un élément comparatif indispensable : la vie des Anciens Prophètes. L'analogie nous dispenserait de rechercher les causes du harem de Mohammed. La polygamie est partout admise par l'Ancien Testament. Mais là n'est pas notre but. La multiplicité des épouses du Prophète avait-elle une utilité religieuse, partant sociale, ou non ? En d'autres termes, le sacrifice consenti volontairement par quelques femmes, la plupart âgées, d'être les épouses, les auxiliaires du fondateur d'une doctrine, éminemment philanthropique, est-il en quoi que ce soit blâmable ? Jésus aussi était toujours entouré de femmes et «plusieurs l'assistaient de leurs biens». Durant sa vie privée, Mohammed ne prit qu'une seule épouse et sa réserve était proverbiale. Après la fondation de l'Empire, il reçut l'autorisation de prendre plusieurs épouses : «O Prophète ! il t'est permis d'épouser les femmes que tu auras dotées, les captives que Dieu a fait tomber entre tes mains, les filles de tes oncles et de tes tantes maternelles qui ont pris la fuite avec toi et toute femme fidèle qui aura donné son âme au Prophète, si le Prophète veut l'épouser. C'est une prérogative que Nous t'accordons sur les autres croyants». Un jour, se plaçant sur le terrain purement terrestre, les épouses du Prophète réclamèrent à leur époux leur part des biens de ce monde et cette réclamation amena la définition du concours que Dieu leur demandait pour le bien général de l'humanité. Mais, auparavant, elles eurent le choix entre le divorce ou l'acceptation de leur sort : «O Prophète ! dis à tes femmes : si vous cherchez la vie d'ici-bas avec sa pompe, venez, je vous accorderai une belle part avantageuse et un congé honorable. Mais si vous recherchez Dieu et Son apôtre ainsi que la vie future, Dieu a préparé des récompenses magnifiques à celles qui pratiquent la vertu». (A suivre)