Les algériens restent dubitatifs face au processus de la révolution tunisienne en cours. Il est vrai qu'au sortir d'une dictature impitoyable, la Tunisie se devait de se chercher une nouvelle voie. Mais la montée d'un parti islamiste en Tunisie est loin de constituer un fait anecdotique en Algérie qui a eu à subir les affres du terrorisme islamiste. La première question qui vient tout de suite à l'esprit de nombreux algériens : où passer désormais les vacances, la Tunisie étant, depuis de longues années, la destination favorite des algériens. En effet, quelque deux millions de nos compatriotes visitaient régulièrement ce pays voisin dont les habitants ont toujours été présentés comme des citoyens tolérants, modérés et ouverts sur le monde. Les élus d'Ennahda se veulent aujourd'hui rassurants en promettant la promulgation prochaine d'une loi qui gèrera la nature de l'activité hôtelière et garantira «la liberté de s'habiller, de manger et de boire». Les professionnels du secteur touristique tunisien qui ont appelé, pour leur part le parti islamiste tunisien, vainqueur des élections de l'Assemblée constituante, à clarifier sa position concernant les libertés individuelles estiment que la reprise tant attendue de l'activité touristique reste tributaire d'un regain de confiance des touristes, notamment européens qui, à l'instar des algériens, auraient «une image erronée» de la situation sécuritaire en Tunisie. Ces interrogations prennent toute leur pertinence en Algérie lorsque l'on sait que le leader d'Ennahda, Rached Ghanouchi, n'est pas un inconnu en Algérie. Et pour cause ! Il y a résidé au début des années 90, invité par le FIS dissous. Beaucoup se souviennent encore de Ghannouchi à Alger et de ses prêches plutôt critiques à l'endroit de la démocratie qu'il considérait alors, à l'instar de ses homologues du FIS, comme une chose «impie», c'est-à-dire «kofr» ! Il existe même en Algérie des cassettes vidéo où l'on voit et où l'on entend le leader d'Ennahda tenir clairement des propos incendiaires. Aujourd'hui, les algériens, qui en ont vu d'autres, ne s'étonnent presque pas que le discours radical de Ghannouchi se soit quelque peu accommodé «à la sauce turque» de l'AKP et ce, pour des raisons de conjoncture évidentes. Enfin, il est utile de rappeler que Ghannouchi a eu tout le loisir d'étudier de près, en Algérie, les erreurs stratégiques commises par ses amis du FIS. A cette époque, l'Algérie était confrontée, souvenons-nous-en, à une insurrection islamiste armée. Si Ghannouchi évite, pour l'instant, le discours qu'il a si bien manié auparavant, c'est qu'il sait très bien où ça pourrait le mener. Donc, bien sûr, il n'a pas intérêt à dévoiler aujourd'hui son jeu tant qu'il n'a pas encore obtenu le pouvoir. Et tout le pouvoir ! Il sait donc très bien que des déclarations intempestives et attentatoires aux libertés pourraient contrarier très vite son intronisation. «Chat échaudé craint l'eau froide» : les algériens ne sont pas dupes !