Pour la première fois depuis l'indépendance nationale, les habitants de la paisible localité de Kef Laârous, distante de 3 kilomètres des fameux balcons de Ghouffi et de 10 kilomètres de Ghassira (daïra de T'kout), ont rendu dernièrement hommage et reconnaissance à la mémoire des neuf premières victimes de la Révolution de novembre 1954. C'est sur le territoire de ce triangle géographique que s'est produit, dans les gorges de Tighanimine, l'interception et l'assassinat de l'instituteur Moreno et de son épouse par un groupe de moudjahidine de la première heure (nuit de la Toussaint). Deux mois et treize jours après les actions de déclenchement de la lutte armée, les forces armées coloniales ont fait fonctionner leur machine répressive en commettant un massacre collectif à Toukhribt (Baniane). Neuf nationalistes ou fidayine opérant à Kef Laârous et servant d'appui aux combattants des djebels, y ont été emmenés après un tri parmi les populations : Salah Benabdelkader, Yahia Mohamed, Yahia Ali, Boultif Ahmed, Boultif Messaoud, Boultif Belkacem, Benmeddour Belkacem dit Harrouda, Yekken Ahmed et Mazouzi Makhlouf. En fait, c'est tout le douar Ghassira, Tifelfel et les Kalaât (forteresses) des archs des Ouled Mansour et des Ouled Yahia qui ont été déclarés «zone militaire fermée». Cette vaste action coloniale avait pour nom «Opération nettoyage des Aurès» qui a aussi touché le djebel Ahmar-Kheddou. Des rafles et des perquisitions prirent pour cibles les demeures des citoyens. Ces derniers furent sommés de remettre les armes qu'ils détenaient aux forces militaires françaises afin qu'elles ne tombent pas entre les mains des maquisards. Les renseignements militaires savaient que certains habitants de Kef Laârous disposaient d'armes de guerre, récupérées lors du passage des troupes américaines en Algérie à la fin de la Seconde Guerre mondiale. C'est ce transit des troupes américaines qui aurait finalement permis aux militants du PPA d'acquérir et de stocker des armes et des munitions en vue de la lutte pour la libération nationale. La sauvagerie coloniale dans toute son horreur C'est suite à un mouchardage («Mohamed dénonce Moha- med», devise stratégique des SAS) que cette vague de répression coloniale fut déclenchée à Kef Laârous où les militaires français s'en prirent à toutes les populations locales puis isolèrent les localités de Ghassira, Tifelfel et même Taghit d'où les Ouled Hellal furent déportés, ainsi que les Ouled Mansour et les Ouled Yahia de Kef Laârous. L'administration coloniale voulait couper tout soutien des populations aux maquisards. Même les épouses des moudjahidine du maquis eurent leur lot de souffrances : elles furent torturées et même «internées», c'est-à-dire totalement coupées du reste de leurs familles et de la population pour être privées de tout contact avec les combattants. Les forces coloniales ramenèrent tous les autochtones âgés de 16 à 77 ans de Kef Laârous jusqu'à Ghouffi puis les acheminèrent à Baniane pour y être interrogés. Ramenés à T'Kout, ces captifs de la horde coloniale subiront l'enquête terminale dans une école de Baniane. Au terme du travail de filtrage, neuf personnes de Kef Laârous furent accusées d'être des collaborateurs des maquisards, de la «rébellion». Le mouchardage ayant fait au préalable son œuvre. Tentant de fuir, Benmeddour Mohamed dit Harrouda fut abattu d'une rafale, et ses huits compagnons furent assassinés à Toukhribt par des éléments de la Légion étrangère, puis dépecés à l'aide des baïonnettes. Historiquement, ce furent les premiers martyrs de la Révolution armée de la localité de Kef Laârous. Parmi ces chouhada, Boultif Belkacem fut auparavant intercepté par une patrouille militaire au lieu-dit Semar alors qu'il se trouvait en compagnie de sa mère et de sa sœur, venant de chez cheikh Lembarek. Son fils Hadj Boultif Mohamed, un des actuels entrepreneurs de Batna, n'aura vécu à ses côtés que trois années seulement, devenant orphelin précocement. Ainsi, la date du 13 janvier 1955 restera à jamais gravée de sang et d'or et cette commémoration à l'initiative du jeune Benmeddour Ahmed, électronicien et président d'une association locale ayant décroché en 1995 à Sidi Belabbès le premier prix national en électronique, confirme que les Algériens n'ont pas oublié. Et le président de l'APC, M. Belkacemi Djamel, n'a pas oublié lui non plus de faire l'éloge des jeunes de Kef Laârous, qui compte au total 120 chahid de la lutte armée pour le mérite de ce rappel par trop significatif de l'histoire. «Si nous tombons au Champ d'honneur, défendez nos mémoires», disait Didouche Mourad, citation accrochée à l'occasion au fronton du portail de l'école fondamentale de Kef Laârous.