Vingt ans d'aveuglement. L'Europe au bord du gouffre. C'est le titre du troisième ouvrage des Economistes atterrés. Le premier de la série intitulé Le Manifeste des économistes atterrés «lançait un cri d'alarme contre ceux qui tentent de nous faire croire que la seule solution à la crise est libérale», a déclaré Benjamin Coriat, professeur d'économie à l'Université Paris 13 et coprésident des Economistes atterrés. Levons des protections douanières ! Mais alors, pourquoi ne pas imposer des barrières tarifaires et taxer les importations chinoises, indiennes, asiatiques pour les rendre plus onéreuses et les empêcher d'entrer sur nos marchés étranglés ? Impossible, ce sont les impérialistes occidentaux eux-mêmes qui ont imposé l'élimination progressive des barrières tarifaires et qui imposent aujourd'hui le ‘libre-échange' et le ‘libéralisme' économique aux Asiatiques. L'Organisation mondiale du commerce (OMC), mise sur pied par les pays occidentaux, a pour tâche de surveiller les récalcitrants et de sanctionner les protectionnistes qui ferment leurs frontières à l'invasion des produits asiatiques et chinois. Cent cinquante pays sont membres de l'OMC et vivent sous les diktats de cette organisation pour la mondialisation, sans compter les édits du FMI et de la Banque mondiale. Pourquoi les capitalistes occidentaux ont-ils creusé ainsi leur propre tombe en abolissant les protections douanières, se plaçant à la merci de la concurrence étrangère ? C'est tout simplement que vers les années 1975 les capitalistes d'Occident ont pris modèle sur leurs concurrents impérialistes soviétiques qui eux délocalisaient en partie leur production vers les pays de leur sphère d'influence, pays aux salaires plus bas qu'en Union soviétique. C'est ainsi que la Tchécoslovaquie, l'Allemagne de l'Est, la Pologne, la Hongrie sont devenues des pays ateliers de l'impérialisme soviétique. Chaque pays satellite avait sa spécificité industrielle, certains pays de la sphère d'influence tiers-mondiste n'avaient pour tâche que de fournir certaines matières premières (Cuba le sucre, Angola le pétrole, Vietnam le riz), d'autres des produits usinés ou semi-usinés. À partir de 1975, les impérialistes occidentaux ont appliqué ce modèle d'exploitation aux pays sous leur domination en Asie, en Amérique latine et en Afrique, et ils ont commencé à fermer leurs usines en métropole et à les relocaliser dans les pays néocoloniaux. C'est alors qu'ils ont eu l'idée d'abolir les barrières tarifaires et de préconiser le «libre-échange» de façon que les marchandises de leurs filiales en pays coloniaux puissent entrer en métropole sans être taxées. Pour un impérialiste français, canadien ou américain, encaisser ses profits à partir de sa filiale taiwanaise ou coréenne ou à partir de son usine de Montréal, de Toulouse ou de Pittsburg n'a aucune importance puisque pour ce capitaliste le profit est sa seule patrie. Si demain la France érigeait des barrières tarifaires et imposait des tarifs douaniers aux produits importés, ce sont les entreprises Renault, Peugeot, Vivendi, Lagardère, Veolia ou Michelin qui ne pourraient plus importer en France les marchandises qu'elles font produire en Thaïlande, au Vietnam, en Côte d'Ivoire, en Corée et en Chine. Si un pays capitaliste décidait de quitter l'OMC et d'ériger des barrières douanières à ses frontières, d'abord il ne pourrait le faire sans se doter de sa propre monnaie nationale. Ensuite, il ferait augmenter drastiquement le prix des marchandises importées offertes sur son marché national, ce qui provoquerait une inflation importante et la dépréciation de l'épargne des travailleurs et, par ricochet, la diminution de la consommation domestique; une situation qui entraînerait à son tour la réduction des recettes fiscales de l'Etat et l'augmentation de la dette souveraine, sans parler des mesures de rétorsion que les pays capitalistes voisins seraient en droit de lui imposer sur ses propres exportations. J'entends d'ici clamer les nationalistes-socialistes, dont Ron Paul – candidat libertarien à l'investiture républicaine – : «Mais nous pourrions ainsi à l'abri de la concurrence chinoise réindustrialiser la France, les Etats-Unis, le Canada, la Grèce, l'Italie, et produire nos propres marchandises pour nos marchés domestiques». Que nenni ! Sous la division internationale du travail impérialiste, certains pays produisent des matières premières, d'autres fournissent l'énergie fossile, d'autres la main d'œuvre bon marché, d'autres les usines de transformation primaire, quelques-uns des machines-outils (Allemagne, Japon, Chine), moyens essentiels à la production des outils de production des marchandises. Toutes ces marchandises doivent pouvoir circuler d'un pays à l'autre afin de permettre aux capitalistes de réaliser le plus haut taux de profit; c'est pour cela qu'il importe de ravir à ses concurrents ses matières premières, sa force de travail (plus-value) et ses marchés. La ‘ré-industrialisation' d'un pays impérialiste désindustrialisé est une chimère que colportent les opportunistes en chemises brunes nationales-socialistes à l'occasion des mascarades électorales. Le mécanisme de la crise économique capitaliste Résumons l'ensemble de la mécanique de fabrication des crises économiques sous le régime capitaliste. Pour maintenir leurs profits, les entreprises des vieux pays impérialistes décadents – françaises, canadiennes, américaines, britanniques, espagnoles italiennes – ont fermé plusieurs usines dans leurs pays respectifs et les ont relocalisées dans des pays émergents, semi-coloniaux, aux salaires de misère. Ce faisant, ces entreprises ont provoqué chômage, emploi précaire, diminution des contributions aux programmes d'assurance emploi, aux programmes d'assurance médicale et aux régimes de retraite des employés, et réduction proportionnelle des taxes et des impôts versés à l'Etat, tout en réduisant en parallèle le pouvoir d'achat de leurs clients dans les pays métropolitains, clients que ces entreprises sollicitent tout de même pour acheter leurs marchandises fabriquées en Asie. Moins d'argent à l'Etat et moins de pouvoir d'achat dans les poches des clients métropolitains en chômage ou sur l'assistance sociale amènent les banques à stimuler la demande en offrant du crédit inconsidérément : des millions de maisons ont été achetées à crédit, des automobiles et des appareils électroniques aussi. Que survienne une légère hausse des taux d'intérêt ou une perte d'emploi, les emprunteurs surendettés ne peuvent rembourser. (Suite et fin)