Ceux qui se gargarisent du mot «rente», allant jusqu'à voir dans les ressources en hydrocarbures une malédiction pour l'Algérie, tout en profitant largement du bien-être qu'elles leur procurent, doivent se trouver dans tous leurs états en entendant parler du gaz de schiste présent, paraît-il, en abondance dans le sous-sol de notre pays. En Algérie, les préoccupations qui accompagnent le gaz de schiste restent encore confinées dans le milieu des écologistes et des spécialistes de l'énergie. Même dans le débat écologique, l'entrée de ce gaz dit «non conventionnel» a été plutôt timide. Le ton est légèrement monté avec l'information, donnée il y a quelques semaines, sur les potentialités de l'Algérie en gaz de schiste qui se situeraient «au niveau de celles des Etats-Unis». Lesquelles, estimées par le bureau américain Advanced Resources International (ARI), sont suffisantes pour satisfaire ses besoins de ce combustible pendant un siècle. Selon les travaux préliminaires réalisés par les experts de Sonatrach, les bassins sédimentaires algériens recèlent un haut potentiel de gaz de schiste. Si les évaluations faites sont vraies, les quantités qui attendent d'être extraites du sous-sol algérien sont donc importantes. On peut déjà imaginer les ressources financières qui seront tirées de leur exportation, le gaz de schiste étant présenté comme devant constituer, à terme, une autre alternative à certains types d'énergie, notamment le nucléaire, en voie d'abandon après la catastrophe de Fukushima. L'objection des écologistes Les écologistes font objection à cette tendance en brandissant les nuisances liées à l'impact, réel et non négligeable, de l'exploitation du gaz de schiste sur l'environnement. Dans un contexte international où le risque de guerre nucléaire n'a jamais été aussi présent, les menaces qui se dessinent avec la perspective d'exploitation du gaz de schiste peuvent être facilement classées «mineures» et se heurter au même mépris que celui rencontré par les menaces des changements climatiques sur la planète. De ce point de vue, réussir à empêcher la ruée vers le gaz de schiste n'est pas évident. Un battage médiatique incessant, appuyé sur les conclusions d'experts internationaux, a sensibilisé l'opinion publique mondiale sur le péril des changements climatique. Aura-t-il le même effet pour le gaz de schiste ? Le grand public ne sait rien sur le gaz de schiste et encore moins sur les risques entraînés par son extraction. En Algérie, dans le flot d'informations que déverse l'actualité, les faits se rapportant à l'énergie n'émergent que lorsqu'ils concernent directement la consommation quotidienne, sans aucune référence à la source d'énergie ni à une quelconque question d'environnement. En février 2012, la vague de froid a mis à la Une des journaux la bouteille de gaz butane parce qu'elle a manqué dans les régions où les habitants en avaient grand besoin pour se réchauffer et cuisiner. Quant au gaz de schiste, la plupart des Algériens n'en ont jamais entendu parler et parmi ceux qui en savent quelque chose, très peu ont approfondi leur connaissance de ce thème. Cette minorité d'initiés se trouve chez les professionnels du secteur de l'énergie, les écologistes et, plus rarement, les journalistes. Et encore, à condition de ne pas trop questionner sur la «fracturation hydraulique horizontale». C'est donc dans une ambiance d'ignorance et d'insouciance que le gaz de schiste fait irruption dans la problématique algérienne de l'énergie. Son intégration dans l'activité économique est précédée par l'idée que son extraction va générer des profits. On sait que face aux considérations économiques, le souci écologique a rarement fait le poids. Un jour ou l'autre, le gaz de schiste… Dernièrement, à la Radio algérienne, parlant du gaz de schiste, le ministre de l'Energie et des Mines, M. Youcef Yousfi a déclaré qu'un jour ou l'autre l'Algérie sera amenée à exploiter les sources d'énergies dont elle a besoin, en tenant compte, a-t-il précisé, des contraintes économiques, environnementales et de sécurité qu'il faut considérer et examiner. Les réserves, en cours d'évaluation, seraient appréciables, selon son estimation. A propos de l'impact sur les ressources en eau, on ne peut pas exploiter les hydrocarbures sans eau, a-t-il rappelé, mais il assure que si, un jour, l'Algérie exploite des gisements d'hydrocarbures non conventionnels, aucune goutte d'eau de la nappe albienne ne sera touchée, c'est la condition qui sera posée. Il insiste, à l'adresse des écologistes, sur les précautions qui seront prises : l'exploitation du gaz de schiste ne sera pas «sauvage» ; une réglementation précise protège les aquifères, les ressources en eau et l'environnement. De toutes les façons, les écologistes seront partie prenante de la décision, a-t-il laissé entendre. Cette prudence est dictée moins par une pression interne que par la vague de protestation soulevée par les écologistes en Europe et en Amérique du Nord où le gaz de schiste est soit déjà exploité soit en voie de l'être. En Algérie, les informations disponibles font état d'un accord de coopération dans le domaine de l'exploration et du développement du gaz de schiste signé entre Sonatrach et Eni Algeria le 28 avril 2011. Selon le communiqué de Sonatrach, cet accord devrait «permettre aux deux compagnies d'unir leurs efforts en vue d'évaluer le potentiel en hydrocarbures non conventionnels et, dans le cas d'intérêt avéré, poursuivre avec un ou plusieurs projets pilotes de forages». Des cadres de Sonatrach ont annoncé le lancement de ces projets pilotes en 2012. Cette information a été donnée à l'occasion d'un séminaire sur le gaz de schiste qui s'est déroulé en mars dernier à Oran et au cours duquel ont été abordés et discutés les aspects technologiques, environnementaux, financiers et juridiques soulevés par son exploitation. La principale conclusion de ce séminaire a été l'urgence d'un débat sur la question. Pas de précipitation dans l'exploitation du gaz de schiste, conseillent les experts algériens. On en est là pour le moment.