Dans un retour au dessin d'anthologie, le bédéiste algérien Djillali Defali, après être passé par un album léger appelé Les blagues du bled, avec aussi, chez les éditeurs Delcourt, Editions 12 bis et Glénat, les opus Asphodèles en compagnie de l'auteur Corbeyran, La loi des 12 tables, Le syndrome de Hyde, Pulsions, New-York, Uchronies et, enfin, une aventure canadienne sous les traits du célèbre jeu et albums dédiés à Assassin creed's aux millions d'exemplaires vendus dans le monde, nous gratifie cette fois-ci d'une délicate alchimie réalisée en compagnie d'Azouz Begag qui revient, lui aussi, aux fondamentaux historiques algériens. Leçons coloniales est en fait un album écrit par Azouz Begag dans un juste retour des choses. Ou comment interpeller un pan de notre histoire à travers les leçons d'une enseignante française Marie Delmas, fraîchement débarquée de sa France bien confortable pour se retrouver toute naïve et encline à apprendre aux petits enfants du cru (arabes compris !) le français, le calcul… et des rudiments de la langue arabe. Cet album porte les stigmates de la mémoire familiale d'Azouz Begag qui a puisé dans ses héritages mémoriels, suite aux souvenirs de sa mère, pour aboutir à un scénario de cinéma en premier lieu et condensé dans un album de bande dessinée qui aura accompli le cycle entre le fils d'Algériens de Mostaganem et de Sétif, dans une communauté de pensée et de devoir de mémoire sur cette histoire encore prégnante, avec en filigrane, le sombre grondement morbide des massacres du 8 Mai 1945. Edité chez Delcourt, éditeur fidèle de l'artiste Defali, l'histoire court sur quelques 72 pages très bien dessinées et mises en couleurs par Albertine Ralenti, Madi Zombi, assistée de Marie Galopin. Leçons coloniales — qu'il faut prendre au second degré — évoque les six mois avant les tristement célèbres massacres du 8 Mai 1945, avec en toile de fond, cette initiative du gouvernement français en 1944 qui, suite à un décret, avait décidé de créer quelques milliers de classes pour emmener à l'école un million d'enfants. Le fil conducteur est porté par Marie Delmas, humaniste qui retrouve aussi une part de ses racines dans ces contrées sétifiennes. Sur un enchevêtrement de situations diverses, l'héroïne va connaître l'amour et la haine dans un malstrom de situations aux dénouements irrévocables. Tout est mis dans cet album qui se veut initiatique quelque peu didactique par une sensibilisation à l'histoire coloniale subie par l'Algérie, avec ce souci de revenir aux origines pour Defali et un devoir de partage pour Begag à travers un travail qui essaie de mettre sur feuilles un pan de cette histoire, dont il est encore très difficile d'évoquer certaines vérités à nos jours. C'est dire que ce travail a été abouti suite à de longues recherches historiques précises pour Azzouz Begag avec un essai d'imagination accru pour Djillali Defali, qui a dû puiser dans de longues plages d'imagination et de documentations chiches pour restituer avec fidélité les décors de l'époque et l'atmosphère qui caractérisait les lieux de ces événements immortalisés dans le panthéon sanglant de ce théâtre commun entre la France et l'Algérie. Azouz Begag dans son écriture a veillé à garder un pied dans la neutralité, de mise pour un historien, créant une histoire dans un vrai substrat vécu par ses parents. Le scénario ne vient pas du néant, il exprime un ensemble de situations vécues dans le cru paysan avec tous les protagonistes entre militants algériens, harkis, colons, militaires et un arbitrage insolite du soldat américain caricaturé dans ses goûts immodérés pour l'alcool et les femmes. Des passions vont se nouer autour de Marie et tout un nœud d'intrigues va se composer jusqu'au dénouement final qui, contrairement à ce que l'on croirait, ne se fera pas le 8 Mai 1945. Nous laisserons au lecteur le soin de se délecter de ces Leçons coloniales avec nos propres guillemets dès qu'elles seront prises en charge par un éditeur algérien. Des contacts sont en cours, gageons que cela se concrétise. En attendant d'autres opus du genre, juste pour mettre sur la table ces conflits permanents entre la France et l'Algérie, une leçon des choses… Jaoudet Gassouma Leçons coloniales de Azouz Begag et Djillali Defali, éditions Delcourt, février 2012.