David Cronenberg a proposé à Cannes de liquider le capitalisme avec l'aide de Robert Pattinson dans «Cosmopolis» vendredi, balade sombre et post-moderne à l'avant-veille du palmarès et de la clôture du festival. Enfermé dans une stretch-limo blanche à la dérive dans les rues de New York livrées au chaos, l'ex-vampire de «Twilight» endosse un costume de trader et les mots de l'écrivain américain Don DeLillo, dont Cronenberg a tiré son miel amer pour écrire le scénario. L'acteur de 26 ans confie avoir lu le script «comme un long poème mystérieux» auquel il n'a pas compris grand chose, déjà étonné que le réalisateur canadien ait pensé à lui. «Je n'ai pas changé un seul mot, pas même la ponctuation» au texte, a-t-il raconté après la projection. Avant d'ajouter, en riant : «Mais les acteurs ne sont pas censés être intelligents !» Petit génie de la finance doté d'une forme d'extra-lucidité sur les chiffres, Eric Packer, son personnage, qui semble vivre avec toujours un coup d'avance (même ses maîtresses sont nettement plus vieilles que lui), se moque de braver les embouteillages, l'état de siège dans lequel la visite du président des Etats-Unis a plongé la ville. Son agenda à lui, son obsession du jour, est de traverser Manhattan pour se faire couper les cheveux. En chemin, tandis que défilent sur les panneaux lumineux de Time Square les premiers mots du Manifeste du Parti Communiste - «Un spectre hante le monde...» - il convoque à bord de sa stretch-limo ses conseillers et ses maîtresses, croise sa femme, avec laquelle l'histoire est morte avant d'avoir été vécue, et des manifestants qui jettent des rats et de la peinture rouge sur la carrosserie de sa voiture. Il rencontre aussi deux Français glissés dans l'aventure, Juliette Binoche, l'une de ses amantes, et Mathieu Amalric, pâtissier entarteur. Pour Cronenberg, qui retrouve la Croisette seize ans après son Prix spécial du jury en 1996 pour «Crash», le personnage «a inventé cette limo pour créer un environnement totalement sous contrôle, coupé du monde et qui contraint quiconque travaille avec lui à rejoindre son univers». «Mais il est emprisonné dans cette limo et toute sa journée est une tentative de libération ; il essaie d'échapper à sa propre vie», juge-t-il. A mesure que la situation se dégrade dans les rues, le wonderboy est entraîné vers le fond par un coup sur le yuan qu'il n'avait pas vu venir. Le coup de grâce lui sera donné par un amoureux du bath thaïlandais, Paul Giamatti, perdant magnifique, ultime reliquat d'humanité. «Pour moi, l'essence du cinéma c'est une personne, un visage qui parle, ce n'est pas épique, pas le Grand Canyon, mais un être humain qui s'exprime», a encore dit le réalisateur, qui n'a mis «que six jours pour écrire le scénario tellement le bouquin était fantastique». Sombre, oppressant, le film a paru au contraire «plein d'espoir» à Pattinson : «Je crois vraiment que parfois le monde a besoin d'un bon nettoyage à fond». Pour la deuxième fois de la sélection officielle, la grande limo blanche de six à huit mètres, de celles qu'on loue pour les photos de mariages chinois, est à l'honneur chez Cronenberg après avoir véhiculé Denis Lavant toute la nuit dans «Holy Motors» de Léos Carax. «Je suis vraiment fasciné par le spectacle de ces énormes voitures tournant au coin des rues, a raconté Don DeLillo. J'ai décidé de partir de là pour mon roman. Juste un homme dans une voiture.»