Jeune combattant de l'ALN, au cauchemar de la guerre, je n'espérais pas survivre et rester en vie jusqu'à l'indépendance de notre chère Algérie. Invalide de guerre, je n'osais pas espérer rester vivre jusqu'au cinquantenaire de l'indépendance de notre cher pays. Peut-être faut-il que toute notre génération disparaisse pour que la norme soit banalisée entre nos deux pays ? A ce niveau du constat, il nous faut construire de nouvelles relations méditerranéennes. Et pour cela, rappeler tout ce que nous avons en commun et non pas ce qui nous divise, sans oublier ce qui nous a divisés. C'est en assumant la totalité du passé que nous pourrons donner à nos enfants une vie de paix dans l'équilibre et le respect. Mais la vraie amitié entre les peuples exige que l'on abandonne la langue de bois et que l'on se dise tout ce qu'on a sur le cœur. L'émir Abdelkader, qui est le plus grand héros de notre histoire, disait : «La miséricorde universelle découle de la présence du Clément : Al-Rah'mân.» Al Rah'man, nous indique que rendre la haine par la haine la multiplie, ajoutant de l'obscurité à une nuit déjà dépourvue d'étoiles. Les ténèbres ne peuvent dissiper les ténèbres – seule la lumière le peut. La haine ne peut dissoudre la haine – seul l'amour le peut. La haine multiplie la haine, la violence multiplie la violence, et la brutalité multiplie la brutalité dans une spirale de destruction sans fin. L'amour est la seule force capable de faire d'un ennemi un ami. Jamais nous ne triompherons d'un ennemi en rendant la haine pour la haine. Nous triomphons d'un ennemi en triomphant de l'inimitié. De par sa nature même, la haine déchire et détruit ; de par sa nature même, l'amour crée et construit. L'amour transforme par sa puissance de rédemption. Nous devons développer et nourrir notre capacité à pardonner. Quiconque est dépourvu d'une telle aptitude est dépourvu de la capacité d'aimer. On ne peut commencer à aimer si l'on n'a pas d'abord compris la nécessité de pardonner, encore et toujours, à ceux qui nous font du mal. Il est tout aussi nécessaire de prendre conscience que l'acte de pardonner doit être l'initiative de celui à qui l'on a fait du tort, de la victime profondément blessée, de l'opprimé. L'auteur peut faire un cheminement intérieur, prendre conscience de son acte, et ressentir au fond de son cœur un immense désir d'être pardonné et demander à être pardonné. Pardonner, ce n'est pas forcément oublier. Pardonner ne signifie pas ignorer l'offense, ni camoufler d'une étiquette trompeuse un acte répréhensible. Pardonner signifie plutôt que le méfait n'est plus un obstacle à la relation. Le pardon est le catalyseur qui crée les conditions nécessaires à un nouveau départ. Qui permet qu'entre le nécessaire pardon et l'apologie de la haine, «l'être pourra surmonter les traumatismes pour établir des rapports d'amitié». Le traité d'amitié franco-algérien Les événements que les banlieues «difficiles» et que de nombreuses villes françaises ont connu durant les années écoulées ont été, en réalité, une preuve supplémentaire de ce que le fait colonial reste un fait très complexe. Il ne saurait être réduit à une simple domination, puis confrontation, plus ou moins dramatiques, entre le colonisateur et le colonisé — avec un inévitable affranchissement en perspective — mais produit aussi des défis auxquels il faudra, de part et d'autre, faire face pendant des générations. La formule du traité Il est sans doute inutile de s'attarder sur le fait que les présidents algériens et français veuillent inscrire leur nom dans l'histoire, à l'instar de Charles de Gaulle et du chancelier Konrad Adenauer qui, en 1963, ont conclu le Traité de l'Elysée. En effet, un chef d'Etat n'a-t-il pas le droit de vouloir inscrire son nom dans l'histoire de son pays ? N'est-il pas justement censé le faire ? Cependant, la comparaison entre les deux événements devrait sans doute s'arrêter là. En revanche, ce qui devrait inciter à la réflexion, c'est plutôt la pertinence de l'initiative. Même si l'on consent à ce qu'une amitié entre deux pays puisse faire l'objet d'un traité (étant entendu qu'une amitié normalement ne se prête guère à ce genre d'exercice), ne faudrait-il pas dans ce cas d'espèce faire précéder le traité en question par un traité de réconciliation ? Surtout à un moment où, justement, nous nous attachant à faire de la réconciliation nationale (avec certainement des répercussions outre-mer), la clef de voûte pour assurer à l'Algérie la stabilité politique et la relance économique. La logique voudrait donc que l'on mette à plat un certain nombre de problèmes liés à un passé commun bien lourd avant de se déclarer amis et définir ensemble et sur un pied d'égalité dans la mesure du possible, la nature des «relations exceptionnelles» que les gouvernements des deux pays semblent appeler de leurs vœux. Même si la revendication de reconnaissance relative au méfait coloniale, que l'Algérie attend de la France, survient avec intensité et quelques retards, elle n'en est pas moins légitime du point de vue politique et même du point de vue méthodologique. Il est certain qu'en l'absence d'une réconciliation franche, les spectres du passé continueront de hanter les relations entre les deux pays pour les empêcher de se développer normalement. Après tout, n'a-t-on pas demandé pardon aux juifs au nom de la France tout en sachant que c'est le gouvernement de Vichy, c'est-à-dire celui de la capitulation, qui a persécuté les juifs et non le gouvernement de la «France libre», triomphant et dont tout le monde en France se réclame aujourd'hui ? Admettre son erreur permettrait à la France de mieux entrer dans la discussion de la colonisation et de faire face à la tromperie des rapatriés et à l'exigence de la reconnaissance du tord formulée par les nationalistes. Alors la réconciliation sera une victoire pour les deux peuples, algérien et français. Les perspectives du traité Une série de signaux nous faisaient penser que le traité n'allait pas être conclu dans les délais prévus. Et il est fort probable qu'il ne le sera pas encore, tant le contentieux est lourd et les blessures profondes. Ce qui est surprenant, c'est qu'au moment où un début de changement dans l'attitude de l'opinion publique algérienne, notamment dans la jeunesse, se dessine dans le sens d'une compréhension plus rationnelle de l'histoire du pays, nous assistons en France à un retour en force des «nostalgiques de l'Algérie française» qui vont jusqu'à ériger des plaques commémorant l'action de la frange la plus extrémiste des pieds-noirs. Ceux-là mêmes qui ont opté pour la politique du sang et de la terre brûlée, c'est-à-dire la politique du désespoir. Même si le maire de Paris a, de son côté, pris sur lui d'ériger une plaque rendant hommage aux victimes algériennes d'Octobre 1961. Côté algérien, nous observions qu'au fur et à mesure que l'échéance approchait, un changement de ton dans le discours politique officiel, caractérisé par une nette radicalisation depuis la promulgation de la loi française du 23 février 2005. Cette radicalisation est restée sans écho au niveau de l'Hexagone, hormis les quelques déclarations d'apaisement enregistrées de temps à autre. Mais comme nous l'avons noté plus haut, cette loi, aussi condamnable soit-elle, ne saurait à elle seule expliquer ce changement de ton. L'explication pourrait aussi tenir à la difficulté qu'auraient les Algériens et les Français à s'entendre sur le contenu et la forme du traité. Les propos des officiels algériens ont fait comprendre que la France n'a pas encore réussi à se débarrasser de sa vision passée de l'Algérie, comme si ce pays n'a obtenu son indépendance que pour devenir tout simplement un Dom Tom. Autrement dit, la France aurait besoin d'une seconde «victoire sur elle-même». Mais honnêteté oblige ! Il faudrait peut-être ajouter que la légèreté avec laquelle la classe politique française a jusqu'à maintenant mis dans ses relations avec l'Algérie devrait fournir matière à réflexion de ce côté-là de la Méditerranée. Cela dit, il faut se rendre à l'évidence : des forces, aussi bien en France qu'en Algérie, tentent d'entraver la conclusion du traité, et l'ont déjà retardé, en utilisant, parfois pour des raisons tactiques ou de pure forme, pour les uns les enfants de chouhada en Algérie et pour les autres les enfants de harkis en France (entre autres, car il ne faut pas oublier les extrémistes des deux pays.) Dans tous les cas, ces forces ne devraient, en aucune manière, être ignorées afin que le traité soit bâti sur des bases solides dès le départ, même si on a besoin de plus de temps. (A suivre)