En cinquante ans d'existence, l'Algérie peut se targuer d'avoir atteint des seuils de développement –économique et humain- que très peu de nations auraient atteint en si peu de temps. Cela dit, le parcours n'a pas été sans embûches, loin s'en faut. En effet, des périodes difficiles ont entravé sa marche vers le progrès et la démocratie : la décennie 1990 restera, pour les Algériens, une page noire dans leur histoire contemporaine, mais qui les rendra plus immunisés contre toute tentative de déstabilisation, à l'image de celles qui broient actuellement nombre de notre région. Reste, en ce cinquantenaire historique, à consolider les réformes démocratiques et à parachever la construction des institutions. Car, sur ce registre, beaucoup reste à faire. Pour mieux cerner la question des réformes en Algérie, il y a lieu de la situer dans son contexte historique, en suivant les différentes étapes qu'a traversées le pays depuis son indépendance en 1962 : de Ben Bella à Bouteflika, en passant par Boumediene, Chadli et le HCE, des progrès ont été enregistrés, mais le pays a toujours connu des périodes de régression plus ou moins dangereuses. Un bilan s'impose. Du monolithisme politique au multipartisme Première option adoptée lors du congrès de Tripoli en juin 1962, par le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) : pour la réalisation de la «révolution démocratique populaire», calqué sur le modèle socialiste en vogue. Une révolution socialiste d'essence collectiviste allait donc inspirer des institutions régentées, dès 1963, par un parti unique, le FLN qui veille à l'application du programme et de ce qui était appelé « les tâches de la révolution démocratique », qui se traduit essentiellement par une politique sociale au profit des masses pour élever le niveau de vie des travailleurs, et une démocratisation de l'enseignement, l'accès au logement et aux soins, et la libération de la femme. » Les réformes démocratiques ont commencé réellement en 1967, avec l'organisation des premières élections municipales, qui seront suivi dix ans plus tard des premières élections législatives. D'autres rendez-vous politiques, comme le référendum sur la Constitution de 1976, auront parmi un large débat sur les différentes préoccupations citoyennes, dans les limites de ce que pouvait autoriser le système politique en place. Cela dit, l'ère Boumediène était beaucoup plus tournée vers la consolidation du développement économique, à travers notamment les politiques d'industrialisation et de nationalisation et le renforcement de l'indépendance nationale. Sous le règne de Houari Boumediène, toute opposition politique était réduite à néant ; mais des mouvements politiques de gauches, tels que le PAGS, ont pu trouver des brèches pour s'exprimer et activer, notamment dans les syndicats et les médias. Même si le dirigisme du FLN empêchait encore toute ouverture démocratique réelle. L'avènement de Chadli Bendjedid, en 1979, allait ouvrir une nouvelle ère à tous les niveaux de la vie nationale, en engageant le pays sur la voie du libéralisme économique, mais avec le maintien du monolithisme politique. Le pays connut alors ses premiers soubresauts populaires, avec les manifestations de 1980 en Kabylie, et de 1986 à Constantine, qui sonnaient comme de sérieux avertissements. En 1986, les débats largement médiatisés sur la Charte nationale permettront pour la première fois à des voix «discordantes» d'avoir droit de cité. Mais ce qui va marquer sérieusement cette période, c'est le nouveau cap économique pris par le pouvoir, avec la fameuse campagne de «restructuration» des entreprises nationales, piloté par l'ex-Premier ministre, Abdelhamid Brahimi, aujourd'hui en exil, et qui, aggravé par le crash pétrolier de1986, plongera l'Algérie dans une crise inédite. Incapable de se redresser, le pays se trouve rapidement confrontée à une explosion populaire incontrôlable. L'Algérie, sortie du «cauchemar» Spontanés ou manipulé, les événements d'octobre 1988 imposeront de nouvelles ruptures déchirantes : fin du parti unique, autorisation d'une presse privée et partisane. Cela appelait l'adoption d'une nouvelle Constitution. Une Constitution qui fixait tout un train de réformes politiques, institutionnelles et économiques, mais qui manquait d'un vrai consensus national. Pour preuve, les premières élections pluralistes, de juin 1990, donnaient la majorité à un parti fasciste qui menaçait de remettre en cause tous les acquis arrachés de haute lutte. Une deuxième expérience, les législatives de décembre 1991, accentueront le danger d'un ordre intégriste fatal pour la démocratie et la souveraineté du pays. L'interruption du processus électoral qui suivit la démission de Chadli Bendjedid mettra fin au «cauchemar», mais posera vite le problème de légitimité politique à pourvoir aux nouvelles institutions conçues sous la pression des événements. La création d'une instance suprême –le Haut comité d'Etat-, et du conseil consultatif pour se substituer respectivement à la présidence déclarée vacante et une Assemblée populaire nationale arrivée à sa fin de mandat, ne se fera pas sans difficultés : le premier président du HCE, Mohamed Boudiaf, sera assassiné au bout de trois mois. S'en suit une décennie de violence terroriste qui a menacé la République dans ses fondements même. C'est sous la menace permanente d'un terrorisme déchainé, aidé par des organisations internationales influentes, et dans un contexte de crise économique accrue, que l'armée algérienne reprend l'initiative pour organiser des élections présidentielles qui porteront, en 1995, l'ancien ministre de la Défense Liamine Zeroual à la tête de l'Etat. L'Algérie commençait à redresser la barre en continuant à lutter sur deux fronts : la lutte contre les groupes islamistes armés qui, aculés, pratiquaient la politique de la terre brûlée, et la consolidation du processus de reconstruction des institutions. C'est alors que seront organisées les deuxièmes élections législatives pluralistes, en 1997, suivi des élections locales durant la même année, alors que le terrorisme continuait son entreprise macabre. En 1999, le président Zeroual cède sa place à Abdelaziz Bouteflika pour permettre la mise en œuvre du projet de la réconciliation nationale, qui sera adopté par voie de référendum. Ce projet va permettre la reddition de milliers d'islamistes armés. En parallèle, Bouteflika initie des réformes structurelles et politiques profondes, dont certaines, comme la réforme de l'éducation et celle du statut personnel, ont rencontré une farouche résistance dans les milieux conservateurs. La relance économique qui bénéficie de recettes pétrolières exceptionnelles, se traduit par le lancement de grands projets –l'Autoroute Est-Ouest, Tramway, Métro, modernisation des voies ferroviaires, trois nouvelles villes en construction...-, mais aussi par une nette amélioration du niveau de vie des Algériens, et d'efforts soutenus pour relancer la vie culturelle, pour laquelle d'importants budgets sont alloués. De nouvelles réformes institutionnelles et politiques sont également prévues pour le restant du troisième mandat du président, lesquels sont censés impulser plus de démocratisation dans les institutions, tout en veillant à la stabilité du pays, dans une conjoncture régionale instable. Les dernières élections législatives ont montré la voie.