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L'imposture Onfray
Publié dans La Nouvelle République le 21 - 08 - 2012

L'entreprise néocoloniale de Michel Onfray a démarré sa machine en Algérie. Dans l'entretien qu'il a accordé au quotidien El Watan du 10 août 2012, il récidive par la mauvaise foi, le mensonge et une connaissance approximative de l'histoire de l'Algérie. Sa haine de Jean-Paul Sartre est à la taille de sa fascination pour les puissants.
Onfray est libertaire seulement dans sa proclamation. Il est l'expression du néolibéralisme, pour lequel l'émancipation des peuples anciennement colonisés, est une défaite à surmonter. La coqueluche des médias force la lecture des œuvres de Albert Camus pour en faire un homme qui ne fut pas pour la colonisation. Onfray fait d'ailleurs dans l'esprit camusien par sa posture d'apparence ni pour la colonisation, ni contre la colonisation. Outre ses attaques répétées contre Sartre et les intellectuels français qui défendirent l'émancipation du peuple algérien, notamment dans son dernier livre, «L'ordre libertaire : la vie philosophique d'Albert Camus», Onfray arrive au summum de la bêtise en accusant Edouard Saïd d'une «lecture raciale et raciste» des œuvres de Albert Camus. Attaque-t-il par ricochet la cause palestinienne ? Il n' y a aucun doute. D'une pierre deux coups. En tout cas, il n'a jamais caché son sionisme. Onfray n'hésite aucunement à défendre le journaliste Eric Zemmour, pourtant condamné par la justice française pour propos racistes, en lui témoignant respect lors d'une mission télé (émission On n'est pas couché ce soir, du 17 mars 2012, de Laurent Ruquier). Edouard Saïd, universitaire palestino-américain, qui n'a aucune relation avec le pouvoir algérien, a seulement fait analyse de l'œuvre, sans tirer de jugements sur l'homme. Onfray n'a rien à envier aux curés de l'inquisition. Pour lui, aucun Algérien n'a compris Camus et les sartiens. Pour Onfray, les intellectuels algériens qui critiquent Camus n'ont pas, à coup sûr et forcement, lu les œuvres du romancier. Ils sont mêmes de «prétendus intellectuels», qui devraient «se libérer de l'esclavage mental», à la solde du pouvoir. Si Onfray ne le sait pas, il est temps de lui apprendre que Camus a enseigné en Algérie, que le régime n'a jamais interdit aucun de ses livres et aucune déclaration officielle n'a été prononcée à son encontre. Un nombre incalculable de mémoires, de thèses universitaires et d'études comparatives en littérature lui ont été consacrés, diverses et divergentes de point de vues. Il devrait savoir que parmi les intellectuels qui critiquent Camus, certains sont mêmes opposants au régime algérien. Il oublie que Yasmina Khadra, défenseur de Camus, est un représentant officiel d'une institution algérienne. Il oublie aussi que ses positions peuvent être lues dans les colonnes d'un journal algérien, alors qu'en France aucun des intellectuels algériens attaqués n'est sollicité pour exprimer son opinion. Onfray s'improvise ensuite historien pour livrer sa lecture du mouvement national. «Depuis le 8 mai 1945 et la répression de Sétif et Guelma, il est même prouvé que les militants de l'indépendance nationale ont souhaité tout s'interdire qui soit du côté de la paix, de la négociation, de la diplomatie, de l'intelligence, de la raison. Je vous rappelle à cet effet que ce sont les Algériens qui ont choisi la voie de la violence et sont à l'origine du plus grand nombre de morts du côté... algérien !». La conquête coloniale n'est pas en soi, dans son essence même, de la violence. Onfray ne donne pas de preuves. Sa parole est l'évangile. Onfray, ignorant de l'Histoire de l'Algérie, s'imagine ce pays comme un havre de paix avant le massacre de mai 1945. Il ne connaît pas l'existence – il ne veut pas le savoir, lui qui aime tant lire et réfléchir, contrairement aux intellectuels algériens ! – des enfumades (pratique qui consiste à brûler des villages entiers ou des populations qui fuient dans des grottes), les multiples formes de violence, la torture et les massacres avant même mai 1945. Il ne peut comprendre la radicalisation de la lutte de libération nationale. Onfray ignore aussi que le FLN n'a pas cru à la victoire militaire, mais plutôt à une victoire politique, qui nécessite un sacrifice à la mesure de la violence coloniale. Il a fallu attendre plusieurs années pour qu'enfin la France reconnaisse la qualité de belligérant au FLN et négocie avec lui. Le comble des propos mensongers d'Onfray, c'est sa comptabilité macabre qui considère que le FLN a fait plus de victimes côté algérien que la répression coloniale. «Camus n'a pas à se justifier de choisir ses sujets de romans», dit-il. C'est le seul crédit qui peut être accordé au philosophe du confort. Quoi qu'il recourt aux mêmes œuvres pour justifier ses positions. L'absence des indigènes dans l'œuvre de Camus donne une idée de son ignorance de l'univers indigène. Camus est l'écrivain des «pieds-noirs», comme le pensent d'ailleurs Kateb Yacine, Mouloud Mammeri et autres écrivains algériens qui l'ont côtoyé et lu ses œuvres. Ces dernières donnent un aperçu de ce monde qui adore le soleil, mais déteste croiser l'arabe dans la rue ou sur la plage. Meursault, personnage de L'Etranger, allongé sur le sable doré d'une plage algéroise, tire cinq balles sur l'arabe qui lui cache le soleil. Dans La Peste, intrigue qui se déroule à Oran, le personnage du médecin préfère parler des rats que des indigènes, périphériques et insignifiants. Il coupe court à la question du journaliste, qui n'insiste pas. C'est certainement de la littérature. Or Michel Onfray, philosophe de son état, peut comprendre l'imaginaire et les symboliques d'une œuvre littéraire, à l'image d'un Nietzsche qui a beaucoup appris d'un Dostoïevski. Il est ridicule de demander à un écrivain la présence d'une thématique ou d'un personnage. Cependant, une absence peut avoir une signification. Les arabes sont absents des œuvres de Camus et lorsqu'ils sont présents fugacement, ils dérangent, agacent, déclenchent la haine. En ce sens, Albert Camus, à l'image des œuvres de tout autres écrivains de talent, peut nous apprendre beaucoup sur l'Algérie coloniale, sur l'état d'esprit d'une époque, à l'exemple des œuvres de Balzac qui offrent une importante connaissance sur la France des XIXe siècle, de Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline sur les affres de la guerre, de A la recherche du temps perdu de Marcel Proust sur la décadence de l'aristocratie, de Germinal de Emile Zola sur l'atroce condition ouvrière, etc. Dans Chroniques algériennes, Camus développe un discours humaniste sur la Kabylie, en demandant l'amélioration de la condition des indigènes. Il estime que la France n'a rien à gagner en opprimant les indigènes. Il veut gagner leurs cœurs. Mais son récit est digne des ethnologues qui ont participé à la mission coloniale. Il évoque l'utilité de l'école, la libération de la femme, la différence entre les arabes et les kabyles et implicitement la mission civilisationnelle que pourrait apporter la France. Il n'est jamais question d'une remise en cause du système colonial. Albert Camus qui refusat la violence des deux côtés, quand il fut question de l'Algérie en sachant que les adversaires n'étaient pas à armes égales, comme dans toute situation coloniale, ne fut pas toujours contre les armes. Il fut pour la résistance armée contre le nazisme et s'engagea avec les républicains lors de la guerre civile espagnole. En évoquant donc l'attachement à la paix par Camus, il faudrait aller jusqu'au bout du raisonnement. Sartre eut au moins le mérite d'avoir été constant. Le voyage en Algérie d'Onfray lui fait rencontrer l'esprit de Camus et le bon Dieu. Athée en France, il semble découvrir les vertus du «christianisme africain». Syndrome des pionniers lors de la découverte de l'Amérique ! Céline, Balzac, Camus, de grands talents, ont toute leur place dans le champs littéraire algérien ou d'ailleurs. Mais Camus le politique a droit au regard critique et sans concession à la lumière de l'Histoire. Quant à Michel Onfray, qui se veut de gauche en France mais est de droite en Algérie, à l'image de son «capitalisme libertaire», mariage forcé de conceptions irrémédiablement opposées, il devrait nous expliquer, lui le grand savant, comment le peuple aurait pu se libérer sans la lutte. Dans le cadre de «Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture», grandiose événement, l'organisation de l'importante exposition sur Albert Camus, retirée récemment à l'historien Benjamin Stora, est confiée à Michel Onfray et suscite des polémiques. Ce qui donne d'avance une idée de la teneur de cette exposition et de son orientation politique à ne pas déplaire aux nostalgiques de l'Algérie française. Mohamed Yefsah Journaliste et universitaire

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