Vieillissement des élites politiques issues de la guerre de Libération nationale, gestion volontariste, obsolescence du système politique et enjeux de pouvoir internes, crise économique, sociale et culturelle et, enfin, contraintes externes de plus en plus pesantes ont révélé une réalité bien amère. En raison des crises internes qui les secouent périodiquement, du discrédit qui frappe la majorité d'entre elles, de la défiance nourrie à leur égard et à l'endroit du militantisme partisan, les formations politiques actuelles sont dans l'incapacité aujourd'hui de faire un travail de mobilisation et d'encadrement efficient, de contribuer significativement à la socialisation politique et donc d'apporter une contribution efficace à l'œuvre de redressement national. Pour preuve les dernières élections législatives du 10 mai 2012. Les bulletins nuls ont représenté 7,87% par rapport aux inscrits (une nette progression par rapport à 2007), ce qui nous donne 100 moins 43,14%, soit un taux d'abstention de 56,86% plus 7,87% de bulletins nuls, donnant le nombre de personnes n'ayant pas fait un choix de 64,73% environ les deux tiers de la population algérienne. Mais pour une analyse plus fine, il faut aller plus loin. Les abstentionnistes, suivis des partis n'ayant obtenu aucun siège et ceux ayant opté pour un bulletin nul sont majoritaires, représentant 16.112.799 voix, soit 74,44% du nombre d'inscrits. Si l'on ajoute les personnes en âge de voter ne s'étant pas inscrites, selon l'enquête de l'ONS de janvier 2012, environ 1,7 million, ce taux se rapproche de 80%. Ainsi, plus des 3/4 de la population algérienne ne sont pas représentés. Le parti FLN - à ne pas confondre avec le FLN historique, propriété de tout le peuple algérien, qui devrait, après 50 années, ne plus être instrumentalisé à des fins politiques, certains clans utilisant honteusement la mémoire des héros de la Révolution comme une rente - est en nette régression au sein de la population algérienne, malgré environ 3 millions de nouveaux électeurs. Par rapport à 2007, si l'on fait un calcul en valeur relative, nous avons 6,11% contre 7,01% en 2007 et majoritaire au nombre de sièges de députés, 47,83% contre 34,96% en 2007 pour un total de 136 sièges sur 389. Aussi faut-il revoir profondément ce mode de scrutin, ce qui supposera à l'avenir de donner une dose de proportionnalité. La question stratégique est la suivante : le parti FLN avec 6,11% de voix par rapport aux inscrits, 8,53% inclus le RND, peut-il engager l'avenir du pays ? Mais la question stratégique est la suivante : ira-t-on vers un réel changement salutaire en réorganisant la société, du fait des bouleversements géostratégiques mondiaux annoncés entre 2015/2020, ou simplement du replâtrage, différant les tensions sociales inévitables à terme grâce à la distribution passive de la rente? Ce sont là des raisons suffisamment importantes pour envisager sérieusement de réorganiser le système partisan pour qu'il puisse remplir la fonction qui est la sienne dans tout système politique démocratique. D'où l'urgence de sa restructuration loin des injonctions administratives. En effet, le discrédit qui a frappé les formations politiques nationales doit laisser la place à des formations crédibles non créées artificiellement, supposant une appréciation objective du statut et du rôle qui doivent être les leurs dans une société qui ambitionne de rejoindre le rang des sociétés démocratiques. Afin de mobiliser la société d'autant plus que pour les années à venir, les réformes différées pour une paix sociale fictive, transitoire, seront très douloureuses. Quant à la société civile, force est de constater qu'elle est impotente. La confusion qui prévaut actuellement dans le mouvement associatif national rend malaisée l'élaboration d'une stratégie visant à sa prise en charge et à sa mobilisation. Sa diversité, les courants politico-idéologiques qui la traversent et sa relation complexe à la société et à l'Etat ajoutent à cette confusion et rendent impérative une réflexion qui dépasse le simple cadre de cette contribution. En raison de la jeunesse très grande de la société civile, des conditions historiques qui ont présidé à sa naissance et des événements tragiques qu'a connus notre pays et auxquels elle a été directement ou indirectement associée, la question qui touche à sa mobilisation doit être traitée avec une attention et une vigilance soutenues. Héritière, dans une certaine mesure, des anciennes organisations de masse du parti unique - puisqu'elle y puisera une partie substantielle de ses cadres et de ses militants - elle va littéralement exploser dans les tout premiers mois qui ont suivi l'avènement du multipartisme. Paradoxe : malgré un contexte sécuritaire particulièrement difficile et dissuasif, dans les années 1990, elle va connaître, à l'instar du système des partis, un développement intensif et débridé durant la décennie écoulée. Constituée dans la foulée des luttes politiques qui ont dominé les premières années de l'ouverture démocratique, elle reflètera les grandes fractures survenues dans le système politique national. Ainsi la verra-t-on rapidement se scinder en deux sociétés civiles fondamentalement différentes et antagoniques, porteuses chacune d'un projet de société spécifique : une société civile ancrée franchement dans la mouvance islamiste, particulièrement active, formant un maillage dense et d'une efficacité redoutable; une société civile se réclamant de la mouvance démocratique, faiblement structurée, en dépit du nombre relativement important des associations qui la composent, et minée par des contradictions en rapport, entre autres, avec la question du leadership. Sollicitée à maintes reprises, et à l'occasion d'échéances parfois cruciales, cette dernière manifestera souvent sa présence d'une manière formelle et ostentatoire, impuissante presque toujours à agir sur le cours des choses et à formuler clairement les préoccupations et les aspirations de la société réelle. Aujourd'hui, l'état de désorganisation et de léthargie dans lequel se trouve la société civile nécessite une action vigoureuse de réorganisation et de redynamisation qui ne pourra être que salutaire pour elle. Cette action permettra, entre autres, d'offrir un cadre adéquat d'expression collective à des centaines de milliers de jeunes et de moins jeunes qui ne sont pas structurés et qui ne demandent qu'à être utiles et à mettre au service de la communauté leur bonne volonté et leur générosité. Dans cet ordre d'idées, l'Etat doit encourager la création d'associations dans des secteurs qui sont porteurs mais qui restent vierges et complètement ignorés du mouvement associatif, de faire de ce cadre un instrument efficace d'encadrement de forces vives qui agissent dans la société de manière dispersée et un levier puissant de leur mobilisation en vue de leur implication active dans l'œuvre de redressement national. Mais cette politique n'a de chance de réussir que si le mouvement associatif est assaini et que si les associations qui le composent ne sont pas au service d'ambitions personnelles inavouables et parfois douteuses. L'assainissement en question peut se faire sur la base d'une évaluation objective de l'ancrage réel de ces associations dans les milieux où elles sont supposées agir. Le soutien multiforme qu'accorde l'Etat au mouvement associatif peut s'avérer un puissant levier de promotion pour peu que son utilisation se fasse sur la base de critères objectifs. La dialectique contradictoire rente/réformes En conclusion, il n'est plus permis aujourd'hui de faire l'impasse sur le rôle que des acteurs résidents, mus puissamment par des intérêts organiquement liés à la distribution de la rente, ont pu à un moment ou à un autre peser dans un sens franchement défavorable sur les réformes politiques et économiques. De même qu'il n'est plus possible, du point de vue de l'analyse aussi, d'occulter le rôle que d'autres acteurs, externes ceux-là, ont pu jouer dans un sens tout aussi défavorable, motivés qu'ils étaient eux aussi par la défense d'intérêts de groupes ou de personnes que la poursuite d'un commerce hautement lucratif rendait allergiques à toute velléité de changement et de réforme. Des acteurs internes aussi bien que des acteurs externes ont agi clairement dans le sens contraire, encourageant et défendant, par des moyens divers, la mise en œuvre de réformes dont la nécessité n'échappe à personne. Comme il n'est plus permis d'ignorer la nécessaire intégration maghrébine, et plus globalement de l'Afrique du Nord, ont entre l'Europe et l'Afrique, face aux nouvelles mutations mondiales. Aussi les réformes en profondeur du fonctionnement de la société algérienne et non des replâtrages organisationnels, impliquent d'analyser avec lucidité les relations dialectiques réformes et les segments de la production de la rente (Sonatrach) et celui de sa redistribution (système financier) qui bouleversent des intérêts, les gagnants de demain n'étant pas forcément ceux d'aujourd'hui. Lorsque la valeur de la rente des hydrocarbures s'accroît, paradoxalement les réformes sont freinées et l'on assiste à une redistribution passive de la rente pour une paix sociale éphémère avec l'extension de la corruption et une concentration excessive du revenu national au profit d'une minorité rentière. Ce couple contradictoire rente/réformes explique fondamentalement l'instabilité juridique et le manque de cohérence et de visibilité dans la réforme globale. Il semble bien que le pouvoir actuel est tétanisé par ce que l'on appelle «le printemps arabe», des événements actuels en Syrie, des tensions au niveau du Sahel, des remous sociaux qui se généralisent qui ont un impact sur son devenir. Pourtant l'Algérie, qui traverse une phase cruciale de son histoire et qui a d'importantes potentialités, a besoin qu'un regard critique et juste soit posé sur sa situation, sur ce qui a déjà été accompli et sur ce qu'il s'agit d'accomplir encore au profit exclusif d'une patrie qui a besoin de se retrouver et de réunir tous ses enfants autour d'une même ambition et d'une même espérance : un développement harmonieux conciliant efficacité économique et une profonde justice sociale, conditionné par de profondes réformes économiques et politiques, le statu quo actuel étant suicidaire pour le devenir de la Nation. Aussi, pas de changement en Algérie sans de profondes réformes structurelles économiques et politiques. (Suite et fin)