Home est le dixième roman de l'écrivaine de 81 ans, première et seule femme noire à avoir obtenu le prix Nobel de littérature en 1993, et déjà couronnée du Prix Pulitzer en 1988 pour son chef d'œuvre Beloved. Celui-ci fut d'ailleurs adapté au cinéma en 1998 par le réalisateur Jonathan Demme, avec une autre figure noire, Oprah Winfrey, dans le rôle principal. Oprah Winfrey qui ne cache pas sa grande admiration pour Toni Morrison, mais qui n'est pas la seule. Barack Obama, qui lui a récemment décerné la Médaille présidentielle de la liberté (la plus haute distinction civile aux Etats-Unis), et qu'elle a par ailleurs soutenu lors de la campagne présidentielle de 2008, compte également parmi ses fervents admirateurs. Le dernier-né de Toni Morrison, Home, est différent de l'ensemble de son œuvre, et pourtant lui ressemble. Différent d'abord parce que le personnage principal est pour la première fois masculin. L'auteure délaisse, en apparence seulement, les héroïnes féminines, pour nous entraîner cette fois dans l'esprit bouleversé d'un jeune homme noir de retour de la guerre de Corée. Un jeune garçon dont le passage de la sortie de l'adolescence à l'état adulte est compliqué par des souvenirs douloureux, des fantômes et des visions obsédantes. Le livre est aussi l'histoire de cette transition : Home est le moment où Frank Money devient un homme. Cet ouvrage est différent par son format aussi. 150 pages. Un roman resserré et concis dans lequel Toni Morrison, poursuivi par l'âge, pressé par le temps peut-être, se débarrasse de l'inessentiel. C'est un véritable travail sur la langue pour dire à chaque fois au plus précis, pour être dans la vérité juste et nue des mots. Et pourtant, le livre est aussi fidèle à la romancière. On y retrouve des thématiques familières : le racisme, la détresse, l'enfance, la folie, la guérison. Dans l'Amérique ségrégationniste des années 50, Home est l'histoire du périple de Frank Money à travers le sud des Etats-Unis pour retrouver sa sœur Cee en danger, et la ramener en sécurité à Lotus, la bourgade de leur enfance. Tout au long du livre, on découvre à travers ses monologues intérieurs que Frank, tout juste démobilisé de Corée, est couvert de blessures plus anciennes que celles héritées de cette guerre : avoir grandi dans un lieu reculé, empoisonné par l'air qu'il y a respiré toute son enfance et son adolescence. Un air infesté par le racisme. Lui, enfermé dans une prison de l'instant accablante. « Rester en vie », voilà la seule devise de Frank Money. Point. Home, le roman de la rémission Home c'est le roman de la rémission. Le retour au berceau amer pour y exorciser à la source toutes les souffrances. L'enfance marquée par l'indifférence ou le rejet, les épreuves, les secrets. Frank combat ses fantômes, les souvenirs violents et obsédants de la guerre qui le conduisent à la lisière de la folie. Sa soeur Cee, enfant maltraitée par sa grand-mère adoptive se délivre de cette faible idée d'elle-même qui l'a conduite à se marier avec le premier venu, puis à laisser naïvement son corps être dévasté par les expériences sordides d'un médecin eugéniste. Tous deux au fond, se retrouvent à travers ce périple dans une quête d'eux-mêmes, qui va leur permettre de répondre enfin aux questions essentielles posées dans ce merveilleux poème par lequel s'ouvre le livre : A qui est cette maison ? A qui est la nuit qui écarte la lumière A l'intérieur ? Dites, qui possède cette maison ? Elle n'est pas à moi. J'en ai rêvé une autre, plus douce, plus lumineuse, Qui donnait sur des lacs traversés de bateaux peints, Sur des champs vastes comme des bras ouverts pour m'accueillir. Cette maison est étrange. Ses ombres mentent. Dites, expliquez-moi, pourquoi sa serrure correspond-elle à ma clef ?