L'objet de cette contribution reprend mon analyse parue dans un ouvrage collectif sous ma direction en 2005 à Casbah Editions intitulé «Les enjeux de l'Algérie : réformes et démocratie», suivi de plusieurs conférences aux universités de Constantine, Annaba, Alger (ENA), Tizi-Ouzou, Sidi Bel-Abbès et Oran et toujours d'une brûlante actualité à une année de l'élection présidentielle (1). Vieillissement des élites politiques issues de la guerre de libération nationale, gestion volontariste, obsolescence du système politique et enjeux de pouvoir internes, crise économique, sociale et culturelle et, enfin, contraintes externes de plus en plus pesantes ont révélé une réalité bien amère : l'absence dramatique d'une véritable stratégie nationale d'adaptation tant aux mutations internes qu'externes, une diplomatie non adaptée aux nouvelles réalités mondiales se croyant encore aux années 1970, le tout aboutissant à des incohérences au manque de visibilité dans la démarche. La conjonction de facteurs endogènes et exogènes et l'intervention massive – parfois directe et par moment insidieuse – d'acteurs internes et externes a abouti finalement à une crise systémique d'une ampleur inattendue et à une transition chaotique qui se traîne en longueur depuis au moins 1986. 1) L'absence volontaire ou préméditée d'une élite organique agissante, capable d'élaborer des idées structurantes et peser par ses analyses sur les tendances et les choix majeurs qui fondent et marquent le lien social, s'est fait ressentir particulièrement face à la déferlante des idéologies peu crédibles et souvent impertinentes. La logique des alliances et la sémantique des discours politiques en vogue expriment actuellement cette sorte d'égarement intellectuel qui frappe de plein fouet l'action politique et particulièrement son rapport avec la société. Les Algériens veulent vivre leurs différences dans la communion et non dans la confrontation que leur imposent les idéologies réfractaires et à tous points de vue fragmentaires. La refondation de l‘Etat doit saisir les tendances réelles de la société algérienne en mutation. Le rôle de la recherche et la nécessité de nouvelles idées s'imposeront comme incontournables pour sortir du volontarisme populiste qui a empoisonné nos choix antérieurs. Le renforcement de l'Etat de droit avec la limitation du mandat présidentiel et une option claire entre le régime parlementaire ou présidentiel devient alors plus urgent quand on sait que la démocratisation des institutions et l'autonomisation vont encourager l'éclosion de nouvelles identités qu'on croyait mortes et qui exigent le pilotage d'un Etat et d'un pouvoir fort de sa légitimité et crédible de sa compétence. La refondation de l'Etat, pour ne pas dire sa fondation comme entité civile, passe nécessairement par une mutation profonde de la fonction sociale de la politique. La fin de l'Etat de la mamelle et celle de la légitimité révolutionnaire signifient surtout que le pouvoir bienfaisant ou de bienfaisances inaugurées comme contrat politique implicite par les tenants du socialisme de la mamelle afin de légitimer l'échange d'une partie de la rente contre la dépendance et la soumission politiques et qui efface tout esprit de citoyenneté active, ce pouvoir doit céder la place à un pouvoir juste, justicier et de justice. C'est la norme du droit qui reprend sa place pour légitimer le véritable statut de la citoyenneté nationale. Le passage de l'Etat de «soutien» à l'Etat de justice est, de mon point de vue, un pari politique majeur, car il implique tout simplement un nouveau contrat social et un nouveau contrat politique entre la nation et l'Etat. La construction politique passe nécessairement aujourd'hui par la dialectique de l'alternance politique. L'Algérie ne peut revenir à elle-même que si les faux privilèges sont bannis et les critères de compétence, de loyauté et d'innovation sont réinstaurés comme passerelles de la réussite et de promotion sociale. La compétence n'est ni synonyme de postes dans la hiérarchie informelle ni d'un positionnement dans la perception d'une rente, elle se suffit à elle-même et son efficacité et sa légitimité se vérifient surtout dans la pertinence des idées et la symbolique positive qu'elle ancre dans les corps et les acteurs sociaux. Et la compétence n'est pas uniquement un diplôme mais une conscience et une substance qui nourrissent les institutions et construisent les bases du savoir et la référence privilégiée des pouvoirs qui, sans elles, resteront alors prisonniers des schémas sans impact réel sur la dynamique sociale globale. Sans cela, les grandes fractures sont à venir. La refondation de l'Etat ne saurait se limiter à une réorganisation technique (changement de gouvernement ou de ministres), elle passe par une nouvelle gouvernance, une transparence totale et une clarté sans nuance dans la pratique politique et les hommes chargés par la nation de la faire, une moralité sans faille de ceux qui auront à diriger la Cité avec cette corruption qui prend des tendances dangereuses pour l'avenir de l'Algérie car étant facilitée par une économie totalement rentière. La bonne gouvernance est une question d'intelligence et de légitimité réelle et non fictive. Cela implique des réaménagements dans l'organisation du pouvoir devant poser la problématique stratégique du futur rôle de l'Etat largement influencé par les effets de la mondialisation dans le développement économique et social, notamment à travers une réelle décentralisation. Les exigences d'un Etat fort de sa droiture et de son droit, si elles constituent un outil vital pour la cohésion nationale et le destin de la nation, ne doivent pas occulter les besoins d'autonomie de pouvoirs locaux qui doivent être restructurés en fonction de leur histoire anthropologique et non en fonction des nécessités électoralistes ou clientélistes. La cohésion de ces espaces et leur implication dans la gestion de leurs intérêts et de leurs territorialités respectives enclencherait alors une dynamique de compétitions positives et rendront la maîtrise des groupes loin de la centralité politique largement dépassée. Les récents événements du Sud montre l'inadéquation de l'organisation institutionnelle actuelle. L'autonomie des pouvoirs locaux ne signifie pas autonomie de gouvernement mais un acte qui renforce la bonne gouvernance en renforçant le rôle de la société civile. Cellule de base par excellence, la commune algérienne a été régie par des textes qui ne sont plus d'actualité, autrement dit frappés de caducité. «L'objectif central est de transformer la commune providence en commune entreprise.» Cela suppose que toutes les composantes de la société et les acteurs de la vie économique, sociale et culturelle soient impliqués, sans exclusive, dans le processus décisionnel qui engage la configuration de l'image de l'Algérie de demain qui devra progressivement s'éloigner du spectre de l'exclusion, de la marginalisation et de toutes les attitudes négatives qui hypothèquent la cohésion sociale. L'implication du citoyen dans le processus décisionnel qui engage l'avenir des générations futures est une manière pour l'Etat de marquer sa volonté de justice et de réhabiliter sa crédibilité en donnant un sens positif à son rôle de régulateur et d'arbitre de la demande sociale. L'image de la commune-manager doit reposer sur la nécessité de faire plus et mieux avec des ressources restreintes. Il n'y aurait donc plus de place pour le gaspillage et le droit à l'erreur, ce qui exclut obligatoirement le pilotage à vue au profit des actions fiabilisées par des perspectives de long terme, d'une part, et les arbitrages cohérents, d'autre part, qu'implique la rigueur de l'acte de gestion. Ce qui nous amène à aborder les fondements politico-institutionnels démocratiques et la refonte du système partisan et de la société civile. Une enquête de l'ONS publiée officiellement le 10 août 2012 montre clairement que le tissu économique national est fortement dominé par les micro-unités dont les personnes physiques à 95% alors que les personnes morales (entreprises) représentent seulement 5% et que le secteur commercial et les services concentrent 83% des activités de l'économie algérienne en 2010, soit 88% du total, ce qui dénote clairement le caractère tertiaire de l'économie. Aussi, grâce à cette aisance financière artificielle, dépenser sans compter et importer au lieu de privilégier la production locale en se fondant tant sur l'entreprise locale ou étrangère créatrice de richesses, telle est la situation de l'actuelle gouvernance. C'est le syndrome hollandais. (A suivre) Abderrahmane Mebtoul (1) Voir ouvrage collectif toujours d'une brûlante actualité sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul «Les enjeux de l'Algérie : réformes et démocratie», deux volumes chez Casbah Editions, Alger, 2005 (520 pages). Comment ne pas rappeler que dans un proche passé (2005), j'ai eu l'honneur de coordonner un ouvrage pluridisciplinaire d'une brûlante actualité car ayant abordé les réformes politiques, sociales et économiques, fruit d'un travail collectif à la rédaction duquel ont contribué des collègues spécialistes en anthropologie, en économie et en sciences politiques des universités d'Oran et d'Alger. A cette époque j'ai donné plusieurs conférences aux universités de Constantine, d'Annaba, de Tizi Ouzou, de Sid Bel-Abbès et d'Oran avant de clôturer à l'Ecole nationale d'administration d'Alger (ENA) qui a vu la présence de représentants de la présidence de la République, des membres du gouvernement, des ambassadeurs accrédités à Alger, de hauts cadres de l'Etat et des professeurs d'université et ce, pour expliquer notre démarche de la transition fondée sur l'alternance démocratique.