Le front éditorial européen hostile à la colonisation de l'Algérie, minoritaire et sujet à des pressions, n'en était pas moins influent et déterminant, ont témoigné lundi à Alger des conférenciers dans le cadre du 6e Festival international de la littérature et du livre de jeunesse (Feliv). L'éditeur suisse Nils Andersson et les universitaires français Julien Hage et Nicholas Hubert se sont accordés à relever, lors de leurs interventions autour de la thématique «Résister à la guerre par le texte», le rôle important des éditeurs européens pour soutenir la guerre de libération algérienne en se faisant le «relais» de l'information mais aussi par l'action politique. Un «choix» qui supposait parfois une «prise de risque», a souligné le modérateur de la table ronde et par ailleurs éditeur, Sofiane Hadjadj, citant en cela François Maspéro, Jérôme Lindon, Giangiaocomo Feltrinelli et Nils Andersson. Fondateur de la Cité-Editeur, Nils Andersson qui a été le relais de centaines d'écrivains français, comme le rappela Hadjadj, évoque un engagement par deux actions : l'un consistait à soutenir le peuple algérien et l'autre à appuyer les éditeurs français favorables à la cause nationale. Pour Nils Andersson, il s'est agi de faire correspondre «ce qui était édité avec l'engagement politique», une vision qu'il précisera avoir partagé avec François Maspéro, même si cela n'était pas forcément une «obligation» pour un éditeur de s'inscrire dans «l'insoumission», a-t-il noté. Durant la guerre de libération, environ un millier de livres sur le sujet a été publié, le nombre allant crescendo à mesure qu'elle se prolongeait, fera savoir Nicholas Hubert, qui précise que pour un livre paru en Algérie, une centaine l'était dans la métropole. La majorité des écrivains était «favorable» à l'indépendance de l'Algérie, néanmoins les éditeurs étaient, pour leur part, minoritaires, peu soutenus et pas assez financés alors que ceux qui «dominaient» le champ éditorial étaient plutôt «conservateurs», a-t-il encore noté. Citant le cas des éditions Gallimard, il précisera que certains éditeurs ont eu une attitude qui consistait à ne pas s'engager à publier des textes anticoloniaux mais à le faire pour des livres de «la 25e heure». Les éditeurs les plus résistants ont dû assumer les conséquences de la censure comme une «sanction économique», a-t-il poursuivi, avant de rappeler la pratique de la saisie des publications, laquelle peut retourner contre les censeurs. Julien Hage a rappelé, pour sa part, que le rôle engagé des éditeurs français est intervenu dans un contexte marqué par la censure des médias audiovisuels et de la presse écrite contrôlés par l'Etat. Evoquant Maspéro pour qui le travail d'information était «l'essence» même du militantisme, le conférencier dira que l'éditeur a été le premier à publier des œuvres où était cité le FLN, et se considérait comme un «militant» et non comme un «intellectuel». Le combat en faveur de la décolonisation était ainsi le fait d'une poignée d'avant-gardistes, dira-t-il, Maspéro, Feltrinelli et Andersson, paraphrasant ainsi Nicholas Hubert qui a rappelé que ces derniers étaient «particuliers» et «héritiers de la résistance». L'éditeur Nils Andersson avait réédité pendant la guerre de libération «La Question» d'Henri Alleg et «La Gangrène» de Bachir Boumaza après leur saisie, et a publié notamment «La Pacification» de Hafid Keramane et «Naissances» de Mohamed Boudia. Né en 1977 à Lille, Julien Hage est doctorant en histoire et prépare une thèse sur «Fetrilleni, Maspéro, Wagenbach : une nouvelle génération d'éditeurs d'extrême gauche en Europe occidentale, 1955-1983». Né en 1977 à Dreux (France), Nicholas Hubert a consacré sa thèse d'histoire aux éditeurs français pendant la guerre de libération et a rédigé quelques contributions collectives à ce sujet. La 6e édition du Feliv ouverte le 13 juin, se poursuit jusqu'au 22 du même mois par un programme comprenant des conférences littéraires, des ateliers d'écriture et des spectacles musicaux.