Lettre en partage Dialoguer, échanger et s'amuser autour du livre, voilà une belle mission que s'attelle le Féliv à transmettre à l'esplanade de Riad El Feth jusqu'au 22 juin. Ils s'appellent François Mespero, Jérôme Lindon et Nils Anderson. Ce sont trois éditeurs qui se sont engagés dans la lutte anticoloniale et au plus fort de la guerre de Libération nationale, ils ont pris fait et cause pour l'Algérie. Autour de la thématique «Résister à la guerre par le texte», L'éditeur suisse Nils Andersson et les universitaires français, Julien Hage et Nichol, invités au Féliv, ont souligné, lundi dernier, lors d'une table ronde modérée par Sofiane Hadjadj, coéditeur de Barzakh, le rôle important des éditeurs européens pour soutenir la guerre de Libération algérienne en se faisant le «relais» de l'information, mais aussi par l'action politique. Pour Nils Andersson, la position de Maspero a été la sienne, à savoir mettre son engagement en adéquation avec ce qu'on édite. «C'est un engagement naturel qui n'est pas obligatoire.» évoquant aussi la question de l'insoumission en tant que citoyen suisse, il fera remarquer que «c'était un choix dans le droit à la liberté en Algérie». Pour Julien Hage, quand la censure de la presse fait rage, c'est le livre qui prend le relais non pas comme propagande, mais pour relayer l'information et la faire circuler dans des revues, notamment au-delà des intimidations qui pouvaient surgir. «Ce travail est l'essence même du militantisme» et d'ajouter à propos de son travail de recherche sur les éditeurs de gauche: «J'ai choisi ces éditeurs car ce sont des stucateurs qui dans leur position pensaient que le monde ne sera pas le même avec la décolonisation et la fraternisation. Ils ont vu dans le tiers-monde un vent de refus et de défi dans le contexte aussi des indépendances». Pour sa part, Nicholas Hubert précisera que durant la guerre de Libération, environ un millier de livres sur le sujet a été publié, le nombre allant crescendo à mesure qu'elle se prolongeait. «Pour un livre paru en Algérie, une centaine l'était dans la métropole.» Aussi, la majorité des écrivains était «favorable» à l'indépendance de l'Algérie, néanmoins, les éditeurs étaient, pour leur part, minoritaires, peu soutenus et pas assez financés alors que ceux qui «dominaient» le champ éditorial étaient plutôt «conservateurs», a-t-il encore noté. Dans un second temps a été étrennée la première rencontre littéraire baptisée «Auteurs en dialogue». Celle-ci qui fera rencontrer jusqu'au 21 juin des auteurs algériens et étrangers, a mis à l'honneur lundi, deux auteurs confirmés. Habib Ayyoub et Abdourahman A. Waberi. Deux auteurs liés particulièrement à la mer, l'un originaire de Dellys et l'autre de Djibouti, bien que partageant aujourd'hui sa vie entre Paris et les Etats-Unis où il enseigne la littérature. Deux écrivains intéressants, l'un au parcours zigzagant entre sociologie, cinéma et littérature et l'autre, nomade ayant quitté tôt son Djibouti natal pour la France et devenu malgré lui un romancier qui «redonna à l'échelle internationale corps à une nation...» Mais le fait d'être édité trois fois en Algérie fera de ce pays, confiera en préambule, avec le sourire, Abdourahman A. Waberi «ma deuxième patrie littéraire, après la France, premier centre éditorial et l'Algérie a dépassé mon pays d'origine. Nous avons tous quelque chose du complexe de Dib, c'est pour vous dire combien je me sens Algérien»... Arrivé en France à l'âge de 20 ans en tant qu'étudiant, ses écritures, des nouvelles vont vite tourner autour des questionnements politiques sur un fond de poétique. «Je n'écrivais pas à l'ancienne. Mes écrits étaient ceux d'un homme qui s'interrogeait sur son être... Ce qui m'a aidé c'est de connaître les autres trajectoires. La dictature à Djibouti a fait que je ne me sente pas vraiment responsable ou le porte-parole de Djibouti... Questionné par Meziane Ferhani, le modérateur de la table ronde sur la notion de guerre et de violence, point commun aussi chez les deux auteurs, Habib Ayyoub dira avoir entamé cette tentative d'abord dans son premier texte Le Gardien, publié en 2001, puis dans Le Palestinien, ensuite dans C'était la guerre. (prix Mohamed Dib) avant de souligner, fantasque que «nous sommes des spécialiste de l'inutile» et Wabéri d'abonder dans le même sens, en affirmant: «Il faut se tenir bien à l'écart du sérieux. C'est parce que la littérature est inutile que c'est beau.....» et de préciser: «La guerre civile et la dictature viendront plus tard dans le roman Transit». De l'humour dans le propos et du détournement du solennel que l'on retrouve bien en effet dans son célèbre et succulent roman Aux Etats-Unis d' Afrique. Un point donc qui rapproche ces deux auteurs tout comme cette relation transversale qui les fera osciller entre la nouvelle et le roman. Pour Waberi: «Certains écrivains ont besoin de valoriser intellectuellement la fulgurance. Moi, il faut que ça soit court et fort. Je suis tout le temps dans le court. Si je suis dans le délayé je coupe comme dans le cinéma...». Pour Habib Ayyoub, faire le vide autour de soi est souvent nécessaire pour écrire, avouant que c'est «la frustration» qui l'a poussé à se remettre à écrire en passant du cinéma à la littérature. A propos de la transmission, Abdourahman A. Waberi révélera le besoin de transmettre cette fonction esthétique, politique, sociale, ou éducative du livre, de les célébrer et les transposer pour quelqu'un d'autre. «Il faut faire don de ce don qui m'a été donné». Pour Habib Ayyoub «si vous avez envie de dire des choses, grattez où ça démange. Si vous avez de la matière à toucher les autres, faites-le...». A propos des auteurs qui écrivent sur leur pays alors qu'ils vivent à l'étranger, Waberi donnera l'exemple patent de Mohamed Dib dont l'essentiel de son oeuvre a été rédigé en exil. «Je n'ai pas cessé d'écrire sur Djibouti sauf un seul livre sur le Rwanda. Mes sensations, odeurs, etc. viennent de là-bas (Djibouti). Avant, quand j'écrivais ailleurs que Djibouti j'avais l'impression de tricher. Mais je ne prétends pas être dans le réel. L'art c'est de l'artifice et la littérature aussi...»