Nombreux sont ceux qui ont cru, en 1989-90, que la disparition du bloc socialiste - et donc, par défaut, la « victoire » du capitalisme à l'échelle mondiale - signifierait la fin de quatre décennies de tension et le début du désarmement général. C'était faire preuve d'un optimisme excessif. En fait, c'est l'inverse qui s'est produit. En moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, le spectre du communisme a cédé la place aux abominables dictateurs, aux monstres génocidaires, aux terroristes et autres islamistes, plus dangereux encore que le défunt péril rouge. De là, la nécessité de ne pas se découvrir, de renforcer au contraire sa « défense » afin de pouvoir « riposter » de façon adéquate à la nouvelle « menace ». Si l'argent est le nerf de la guerre, la guerre à son tour permet - à certains - de gagner de l'argent, beaucoup d'argent. Avec la guerre du Golfe en 1991, Bush père inaugurait cette ère nouvelle. Depuis, les théoriciens et les stratèges ne sont pas restés inactifs. La plate-forme de politique étrangère du candidat George Bush fils, publiée en juillet 2000, quelques mois avant les élections présidentielles, donne déjà une idée des ambitions stratégiques de la Maison Blanche. Par Bush il faut entendre bien entendu l'ensemble de l'équipe présidentielle. Que prévoit cette plate-forme ? -Abattre les régimes des Etats « voyous »: Irak, Iran, Afghanistan, Syrie, Libye, Yémen, Soudan, Somalie, Corée du Nord, Cuba. -Entreprendre la mise en place d'un bouclier anti-missiles (cette mesure dirigée surtout contre la Russie, entraîne la résiliation du traité ABM que Bush qualifie de caduc). -Relever le « défi chinois », la Chine devant être considérée comme le principal concurrent stratégique des USA en Asie. -Elargir radicalement l'OTAN pour y englober toute l'Europe de l'Est (sans la Russie), le Caucase, l'Asie centrale et le Proche-Orient. Même sans lire entre les lignes, on s'aperçoit que ce programme est principalement dirigé contre deux adversaires de taille: la Russie et la Chine. Les autres « ennemis » désignés sont en fait secondaires - pièces mineures sur l'échiquier mondial. Zbigniew Brzezinski, qui fut conseiller du président Jimmy Carter et initiateur de l'aide aux « moudjahiddines » afghans, puis maître à penser de tous les stratèges américains, dit aujourd'hui sans ambages que « l'Oc-cident devrait créer un environnement qui décourage tout effort de la Russie pour remonter le cours géopolitique du temps, et détruise chez elle toute illusion ou nostalgie quant au statut de grande puissance qu'elle avait jadis. » Samuel Huntington, professeur à Harvard et auteur du livre Le Choc des Civilisations, est également un doctrinaire très suivi aux Etats-Unis. Il préconise la refonte de l'ordre mondial à la faveur de « conflits tribaux à l'échelle globale » et d'un « état de guerre prolongé en Eura- sie ». Il ajoute que « l'émergence de la Chine comme puissance dominante en Asie serait contraire aux intérêts américains » et que « la prochaine guerre mondiale opposera la civilisation judéo-chrétienne à la collusion islamo-confucéenne ». (à suivre)