L'Algérie, à la veille de l'élection présidentielle et de la tripartite, est à la croisée des chemins. Devant assister à des tensions budgétaires entre 2015-2017, il s'agit de se projeter vers l'avenir en en cette ère de mondialisation impitoyable, évitant des promesses chimériques. Pour la réussite tant de l'élection que de cette tripartite, je recense dix axes directeurs interdépendants qui conditionnent la stabilité dynamique de l'Algérie, à ne pas confondre avec le statu quo suicidaire. 1- Les critères de représentativité utilisés aujourd'hui (indépendance, importance des effectifs, montant des cotisations reçues, expérience et ancienneté du syndicat, attitude patriotique pendant la guerre de Libération nationale sont peu adaptés à la réalité actuelle. Les deux critères ajoutés par la jurisprudence (activité du syndicat en termes d'ampleur et d'efficacité d'une part, et influence du syndicat d'autre part, c'est-à-dire sa capacité à mobiliser les salariés) n'ont pas permis de surmonter ces difficultés. Aussi, il s'agit de fonder la représentativité syndicale sur le seul critère de l'élection. L'audience électorale doit devenir le critère incontournable de la représentativité. Elle doit être appréciée au regard des résultats des élections des délégués du personnel et des représentants du personnel au comité d'entreprise, complétés le cas échéant par les résultats aux élections prud'homales. Une meilleure représentativité passe par un choix entre une représentation uniforme et une représentation multiple. Quelle que soit la solution retenue, les règles de représentativité doivent être revues dans le sens «une entreprise – une voix», pour une meilleure représentation. Cette révision des règles de représentativité doit s'accompagner d'une transparence accrue en matière de financement et de certification des comptes des fédérations et confédérations patronales. 2- Lorsqu'un pouvoir agit bureaucratiquement, sans concertation, sans tenir compte de la réelle composante sociale, la société enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner en dehors de l'Etat officiel, se traduisant alors par un divorce croissant Etat/citoyens. On ne relance pas l'activité industrielle par décret ou par le volontarisme étatique, vision de la mentalité bureaucratique rentière. L'objectif est de faire de la négociation collective le moyen privilégié de la transformation du droit du travail et de la maîtrise des évolutions socio-économiques des entreprises. Le dialogue est la seule voie pour trouver un véritable consensus, ce qui ne signifie nullement unanimisme, signe de décadence de toute société afin d'anticiper tout conflit préjudiciable aux intérêts supérieurs du pays avec des coûts faramineux. Pour une meilleure représentativité, les organisations patronales privées doivent avoir un cadre unifié et inclure d'autres organisations non présentes, parfois plus représentatives comme le montre la déconnexion actuelle de l'UGTA, non représentative, par rapport aux mouvements sociaux. Pour un véritable dialogue social, il serait souhaitable de convier d'autres organisations syndicales autonomes avec lesquelles notamment les ministres du Travail, de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Santé sont déjà en contacts permanents. La composante est la même depuis plus de deux décennies alors que l'environnement économique et social algérien a profondément changé, ce qui explique que les anciennes tripartites ont eu peu d'effet face aux tensions sociales. D'autres forces sociales et économiques sont apparues depuis, devant en tenir compte, faute de quoi cela s'apparenterait à un monologue du pouvoir avec lui-même, sans impact pour la résolution concrète des problèmes économiques et sociaux. 3- Le gouvernement doit se démarquer d'une vision culturelle largement dépassée des années 1970, tant sur le plan politique, économique qu'en matière diplomatique. Nous sommes en 2014 avec des mutations géostratégiques considérables entre 2014/2020 qui préfigurent de profonds bouleversements géostratégiques. La mentalité bureaucratique administrative des années 1970 est de croire qu'il suffit de changer de lois pour résoudre les problèmes. Cette vision bureaucratique est une erreur politique qui ne peut que conduire le pays à l'impasse, à une crise multidimensionnelle, voire à une déflagration sociale qu'il s'agit impérativement d'éviter. Il s'agit d'éviter que la tripartite soit un lieu de redistribution de la rente (parts de marché et avantages divers supportés par le Trésor public de ceux présents via la dépense publique) en fonction d'intérêts étroits. Dans ce cadre au vu des derniers rapports de la Banque d'Algérie et du FMI qui prévoit des tensions budgétaires entre 2015-2017 (rapport janvier/ février 2014) sur l'économie algérienne, je mets en garde le gouvernement contre une dérive inflationniste pour des raisons électoralistes par une révision brutale de l'article 87 bis qui remettrait en cause tous les sacrifices de la population algérienne et notamment des couches défavorisées et des couches moyennes (voir interview du Pr A. Mebtoul télévision internationale Africa 24 en date du 20 février 2014 Paris). Tant qu'il y a la rente, la fuite en avant est la distribution de revenus sans contreparties productives, sacrifiant le développement du pays et les générations futures, rentrant dans le cadre d'une stabilité statique suicidaire. 4- La tripartite doit faire un constat sans complaisance afin de solutionner les véritables problèmes. Paradoxe, pour un pays pétrolier, l'Algérie a importé en 2013 environ 3,5 milliards de dollars en carburants et dérivés soit près de 6% de ses recettes d'hydrocarbures. Qu'en sera t-il du financement au rythme de la dépense publique actuelle, lorsque les Etats-Unis seront concurrents directs de Sonatrach grâce à la révolution du pétrole-gaz de schiste où ses recettes provenant de ce pays représentent plus de 20% sans compter les nouvelles découvertes en Méditerranée ? Le tissu industriel algérien, sur lequel tous ces gouvernements souhaitaient fonder la relance économique est en réalité insignifiant. Il est composé d'à peine 1 200 entreprises publiques pratiquement, toutes empêtrées dans de graves difficultés financières et managériales, et d'environ 200 000 petites entreprises privées de production en grande partie très jeunes et sans envergure, qui éprouvent d'énormes difficultés à se maintenir en vie. Exténués par les efforts surhumains que requiert l'activité industrielle soumise à des tracasseries permanentes, bon nombre d'industriels ont de surcroît fait le choix de changer d'objet social pour s'installer dans le confortable créneau de l'importation et de la revente en l'état. La situation risque même d'empirer dans les toutes prochaines années en raison de la désertion du secteur industriel par les quelques opérateurs restants de plus en plus nombreux à investir les créneaux de commerces lucratifs. De 2010 à ce jour, l'Algérie aurait en effet perdu un peu plus de 50 000 PME industrielles pendant que le nombre des sociétés de négoce progressait, passant d'environ 12 000 entités en 2003 à environ 45 000 aujourd'hui. L'enquête effectuée par l'ONS en 2011, confirme cette inquiétante tendance à la désindustrialisation, avec une très nette prédominance (plus de 90%) des petites entreprises de commerce et de services, par rapport aux unités des secteurs de l'industrie et du BTP réduites à portion congrue. Les entreprises industrielles publiques pour la plupart acquises durant les années 1970 et 1980, ont eu le temps de vieillir et d'être passées de mode, au moment où la technologie et l'innovation progressaient à grands pas à travers le monde. La reprise des unités industrielles publiques par des opérateurs privés ne s'étant pas faite comme prévu, les actifs industriels algériens dépassant pour la plupart vingt années d'âge ont fini par être technologiquement déclassés. Les grands pôles industriels publics des années 1970 ont commencé à péricliter dès la fin des années 1980, tandis que le secteur privé, encore fragile et empêtré dans les méandres de la bureaucratique, a du mal à prendre le relais. (A suivre)