Au-delà de la satisfaction d'avoir obtenu un vote unanime du Conseil de sécurité, la résolution humanitaire sur la Syrie, adoptée samedi 22 février, laisse de nombreux diplomates dubitatifs. Le Conseil exige la libre circulation de l'aide humanitaire «à travers les lignes de front et les frontières», la levée des sièges autour des villes syriennes et l'arrêt des largages aveugles de barils d'explosifs sur la population civile. Mais le texte n'est assorti d'aucunes sanctions précises en cas de non-respect. «Le Conseil évite le déshonneur du silence», a commenté le représentant français Gérard Araud, tout en se disant sceptique sur la mise en oeuvre de cette résolution par le régime syrien. Pour éviter le veto russe, les Occidentaux et la Jordanie ont dû accepter plusieurs concessions. Moscou a préféré le terme «exige» plutôt que «décide», jugé trop contraignant. Surtout, toute référence au chapitre 7 de la charte des Nations unies, qui permet au Conseil d'imposer des mesures coercitives, a été écartée. La résolution prévoit aussi que le secrétaire général Ban Ki-moon rendra compte dans trente jours de son application. Or, si Damas n'obtempère pas, toute tentative de revenir devant le Conseil pour obtenir des sanctions sera inévitablement bloquée par la Russie. Tout dépend donc du poids que les autorités syriennes accorderont à cette rare décision unanime du Conseil de sécurité et de la pression que voudra bien exercer Moscou sur Damas. Le Conseil demande explicitement la levée du siège dans les quartiers encerclés de Homs, Alep et dans certains faubourgs de Damas comme Yarmouk, la Ghouta ou Darayya. La circulation transfrontalière vise les convois humanitaires de l'ONU que la Syrie refuse de laisser passer depuis l'Irak ou la Turquie, directement vers les zones rebelles. «Ces demandes sont précises. Il sera facile d'évaluer si elles ont été satisfaites ou non. Nous avons enfoncé un coin. La barricade érigée par la Russie se fissure», assure un diplomate du Conseil. «Le comportement extrêmement négatif du régime pendant les négociations de Genève a été embarrassant pour Moscou. Assad se fait taper sur les doigts, renchérit Richard Gowan, du centre de coopération internationale de l'université de New York. Mais nous sommes encore loin de voir la Russie soutenir de réelles sanctions contre la Syrie.» La Russie doit aussi composer avec un allié chinois de plus en plus mal à l'aise sur la détérioration du conflit syrien et l'inflexibilité de Moscou. «La Chine est très inquiète. [...] Quels que soient les responsables des obstructions», a déclaré l'ambassadeur chinois Liu Jieyi dans une rare apparition devant la presse à la sortie du Conseil de sécurité. Sur le terrain, la situation humanitaire ne cesse d'empirer. Les demandes formulées en octobre dernier dans une déclaration du Conseil de sécurité sont restées sans effet. Pis, les responsables humanitaires veulent absolument éviter une répétition de la trêve négociée à Homs au début du mois. L'opération a laissé un goût amer. Parmi les personnes évacuées par l'ONU, nombre d'hommes en âge de combattre ont été arrêtés par les autorités en dehors de toute supervision internationale et leur sort reste inconnu. Près de dix millions de Syriens, soit la moitié de la population du pays, ont maintenant besoin d'aide, selon des chiffres donnés par l'ONU. Plus de 200 000 Syriens assiégés dans les zones contrôlées par le gouvernement et 45 000 dans les zones rebelles sont totalement inaccessibles. Dans le reste du pays, l'acheminement de l'aide n'est que sporadique. «Si le Conseil de sécurité échoue à faire obtempérer le régime, alors la communauté internationale doit travailler avec les agences humanitaires pour acheminer de l'aide directement depuis les frontières, sans l'accord du régime», tonne Najib Ghadbian, le représentant de la Coalition nationale syrienne (opposition) à New York, craignant que cette résolution ne soit l'occasion pour Damas et Moscou de gagner encore un peu plus de temps.