Après avoir cosigné en 2012 la musique de la première comédie musicale algérienne intitulée La Place, pour laquelle il a été récompensé, Hocine Boukella et son incarnation musicale Sidi Bemol prennent le large avec «Âfya», un disque sous influence indienne. D'emblée, il faut préciser que la librairie Media Book, au niveau de la rue Terminé grâce au financement participatif qui s'impose de plus en plus comme une alternative pour boucler des projets musicaux hors des sentiers (re)battus, « Âfya » est un album qui s'apparente à la fois à un instantané et, paradoxalement, à une résultante de forces musicales, une somme d'expériences et d'influences que le chanteur s'amuse à relier entre elles. Il y a d'abord la volonté de donner une suite concrète, matérielle, à la rencontre en 2012 avec les musiciens indiens du Rajasthan dans le cadre du Festival Gitans, Origines organisé à Alger. L'homme qui se cache derrière le patronyme inventé de Sidi Bemol (affublé depuis ses débuts d'un titre de «cheikh» dont il a décidé de se passer dorénavant) était venu présenter son spectacle Berbéro drom, lui-même déjà le fruit d'un dialogue entre sa culture et celles d'Europe de l'Est et de Turquie. Si ces multiples données expliquent ce neuvième disque et la direction musicale suivie pour l'occasion, il ne faut pas longtemps pour se souvenir qu'il existe aussi chez Sidi Bemol une dimension berbéro-celtique cultivée depuis Thalweg en 2000. Pas de biniou ni de bombarde ici, mais l'auteur des deux volumes des «Chants de marins kabyles» donne la parole au couple sax soprano-violon, joués par deux anciens élèves de l'école du jazzman Didier Lockwood. De quoi brouiller ainsi les pistes, comme sur «Oylum». L'attaque du morceau pourrait faire penser à une rengaine bretonne dont Alan Stivell se régalerait, alors qu'il s'agit en réalité d'un thème traditionnel turc ! Plus loin, après une escapade aux couleurs jamaïcaines (Viraj), surgit une adaptation de «The Face of Love», rebaptisée «Âfya». Interprétée à l'origine, en 1995, par le Pakistanais Nusrat Fateh Ali Khan, elle donne l'occasion aux invités indiens du groupe Dhoad de s'illustrer avec leurs tablas. Dans son périple, Hocine Boukella revient aussi chez lui pour honorer la mémoire de Slimane Azem, figure de la musique kabyle des années 60 et 70, avec une reprise de « Saa ». L'exil l'amène aussi à faire un détour par son propre passé avec « Apatride », qui s'appelait « Ballade apatride » au temps du premier album de Cheikh Sidi Bemol sur lequel elle figurait en 1998. Un texte en français, des mots forts, une émotion qui traverse les instruments, le micro, avec une voix et un chant qui prennent par moment des accents «aznavouriens» aussi vibrants qu'inattendus. Hocine Boukella est un compositeur, musicien, dessinateur et caricaturiste né à Alger, le 24 novembre 1957. Il a suivi des études de biologie d'abord en Algérie, puis en France. C'est là qu'il a commencé à s'intéresser à la musique et qu'il a créé le groupe de musique Cheikh Sidi Bémol. Il est le frère de Youcef Boukella (fondateur et compositeur de l'Orchestre national de Barbès). Il a travaillé en tant que caricaturiste pour plusieurs magazines algériens. Plusieurs titres de cet artiste ont laissé leurs traces dans le gnawi, parmi lesquels on peut citer par exemple: «Gourbi rock», «La faute diali», ou encore «Izlan Ivahriyen» (les chants marins), sorti à l'été 2009 et interprété en kabyle.