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«Gaz de schiste : aux Algériens d'en débattre et d'en décider !»
Publié dans La Nouvelle République le 01 - 07 - 2014

Michel A. Bouchard est professeur associé au Centre McGill-PNUE pour l'évaluation environnementale. Québec-Canada: Strategic Environmental Assessment, professeur associé: Ecole polytechnique de Montréal (Département de génie civil, géologique et mines) (Canada) : Impact des Projets d'ingénierie sur l'environnement. Professeur associé, université Aube Nouvelle (Institut supérieur d'informatique et de gestion), Ouagadougou, Burkina Faso. Professeur titulaire: université de Montréal, département de géologie.
La Nouvelle République : L'Algérie, qui a vu ses accumulations en gaz conventionnel en net déclin, pour éviter le scenario de voir ses exportations en hydrocarbures qui lui captent énormément de pactoles en devises étrangères, s'est réfugiée dans l'exploitation du gaz de schiste où plus d'une dizaine d'avis d'appels d'offres ont été lancés pour ce genre de jeune industrie de gaz et l'huile de schiste. Pourquoi cette folle équipée a été prise dans le tas en un temps record par les actuels décideurs qui sont autour de la table ? Michel A. Bouchard : Je ne peux certainement pas répondre à la place des décideurs algériens. Je souligne cependant les développements récents du contexte géopolitique, et notamment des développements récents en Ukraine, qui pourraient amener la plupart des pays européens à chercher des voies alternatives d'approvisionnement de gaz naturel. L'abandon progressif du nucléaire, notamment en Allemagne, pose également le problème de la «transition énergétique». En ce moment, on utilise surtout le charbon comme suppléant. Le gaz serait de loin préférable sur le plan du bilan de gaz à effet de serre. Il est possible conséquemment qu'une demande importante se développe sur le marché ouest-européen et que, pour y répondre, l'Europe regarde à ses portes, du côté de l'Algérie, le troisième plus grand réservoir de gaz de schiste présentement connu. L'Algérie aura pu choisir de répondre à cette demande extérieure. Des spécialistes et économistes algériens comme étrangers s'alarment des portées graves et négatives sur l'environnement qu'aurait l'extraction de gaz et l'huile de schiste sur les différents sites catalogués à travers le territoire national? À nouveau, je ne peux répondre à cette question par ailleurs incomplète. Toutefois, il est rare qu'un développement industriel de grande envergure - ce serait le cas d'exploitations de gaz par fracking - se fasse sans qu'il y ait une évaluation environnementale sérieuse et approfondie, indépendante et neutre, et que l'on pèse ainsi effectivement les pour et les contre sur les plans environnemental et social. Il faut regarder attentivement du côté de la réglementation et de la pratique (et des moyens) en évaluation environnementale et études d'impact en Algérie, et au besoin, renforcer ce secteur pour qu'il accompagne, les cas échéant, le développement de ces ressources. Les questions discutées sur les additifs du fluide de fracturation utilisés par les industriels dans l'extraction du gaz de schiste sont nombreuses et impressionnantes pour faire craquer la roche et demeurent malheureusement positionnées dans la controverse du secret industriel, donc intraitable à obtenir la potion magique destructrice. Y a-t-il anguille sous roche ? Ces additifs sont de moins en moins secrets et plusieurs études nord- américaines (tout au moins) ont étudié ces mélanges à partir d'essais de laboratoire ou de leur comportement réel en situation de terrain. Les avis restent partagés. Voici un extrait des conclusions à ce sujet de la récente évaluation environnementale stratégique conduite sur les gaz de schiste au Québec : «Selon les critères établis et les données disponibles, les composés les plus fréquemment utilisés dans la fracturation hydraulique se sont révélés pour la plupart relativement peu toxiques, non bioaccumulables et fortement dégradables. Le danger intrinsèque de ces substances deviendra faible une fois qu'elles auront réagi, qu'elles se retrouveront dans les eaux de reflux et qu'elles auront été traitées. Suite à cette analyse, il demeure toutefois quelques composés plus préoccupants. Trois composés présentent à la fois des potentiels de persistance, de bioaccumulation et de toxicité. Il s'agit du solvant naphta aromatique lourd, de l'octaméthylcyclotétrasiloxane et du chlorure d'ammonium triméthylique d'octadécyle. Deux autres composés présentent soit un potentiel de bioaccumulation dans les organismes aquatiques et de persistance dans l'environnement (distillats de pétrole [C9-C16]), soit un potentiel de toxicité et de persistance dans l'environnement (1, 2,4-triméthylbenzène).» (Le gaz de schiste, rapport Joly, Québec, janvier 2014, p.112). Toutefois, il faut rappeler qu'une étude américaine récente a démontré que certains des produits en très fortes concentrations, bien au-delà des concentrations effectivement réalisées, pouvaient tout de même agir comme des perturbateurs endocriniens et conséquemment avoir des effets néfastes sur la santé humaine. Tout cela souligne l'importance d'effectuer des évaluations environnementales approfondies avant l'exploitation, de caractériser complètement les conditions hydrogéologiques et de correctement évaluer les risques de contamination des nappes aquifères et enfin, de se doter de techniques fiables et éprouvées de traitement des eaux de reflux. Notre pays a manifestement donné son feu vert pour l'exploitation de gaz de schiste au Sahara algerien, les Hauts-Plateaux et l'Ouest algérien à l'exemple de la wilaya de Mascara, ce qui demeure une inquiétante démarche des décideurs algériens. Pouvez-vous nous révéler en quoi consiste réellement le danger ? Les impacts potentiels sont très nombreux et concernent la sismicité induite, la qualité et la disponibilité de l'eau, la qualité de l'air, la santé humaine et animale, l'esthétique, les conflits d'usage des terrains, les coûts d'opportunités, les émanations fugitives de méthane, etc. Il y a maintenant plusieurs études qui, depuis plus d'une décennie, se sont penchées sur ces effets environnementaux et on peut dire que l'on connaît assez bien la liste des effets potentiels et des risques environnementaux liés à l'exploitation des gaz de schiste et au fracking. Le niveau de ces risques dépend fortement des enjeux spécifiques qui peuvent être déterminés par le contexte local ou régional, le type et de l'état du milieu naturel, les contextes démographiques et économiques, les modes d'utilisation du territoire, les conditions géologiques, et hydrogéologiques et enfin la disponibilité de l'eau ou des conflits d'usage concernant cette eau. Dans certains cas, l'enjeu principal pourra être le conflit avec l'usage agricole des sols, avec la protection du terroir, avec l'urbanisation ou l'occupation humaine (santé, tranquillité), avec la protection de milieux naturels remarquables, avec la contamination potentielle de nappes aquifères stratégiques, ou avec l'usage ou la disponibilité de l'eau. La maîtrise de ces risques demande une excellente évaluation préalable, au cas par cas, une excellente compréhension et définition du ou des enjeux du développement, ainsi que, le cas échéant, une planification soignée de la gestion, de la surveillance et des suivis environnementaux. L'Algérie est-elle devenue la poubelle des compagnies américaines et européennes qui élisent le lobbying avilissant, pour en faire un banc d'essai du gaz de schiste qui ont été invitées par les décideurs à faire de notre pays un veritable cobaye. Quels sont les risques qu'encourt l'Algérie ? Evidemment le plus grand enjeu environnemental en Algérie sera la question de l'eau. Le fracking requièrt de grandes quantités d'eau. Bien que celle-ci soit abondante dans les aquifères sahariens profonds, il faudra tenir compte qu'il s'agit d'aquifères partagées, entre autres avec la Tunisie, que ces aquifères sont en grande partie «fossiles» et que déjà, présentement, le rythme de leur exploitation excède le rythme de leur recharge contemporaine. Est-ce que toute cette eau peut être disponible? Peut-elle être transportée vers les sites de fracking ? Ces aquifères stratégiques peuvent-ils assurément ne pas être contaminés? Ces nouveaux volumes considérables «d'eaux usées» pourront-ils être adéquatement traités? Est-ce que cette eau sera perdue pour des usages agricoles actuels ou futurs? Une grande partie des considérations qui amènent à définir un «développement durable» concerne cet aspect de la disponibilité éventuelle de ressources cruciales pour les générations futures. L'Algérie, pourtant un pays très riche en ressources hydrocarbures et miniers ne veut plus entendre parler d'une quelconque agitation médiatique ou autres collectifs et citoyens anti-gaz de schiste qui est à son premier bourgeon. Quelles seraient les énergies alternatives pour un pays comme le nôtre ? Je laisse aux énergéticiens et aux experts le soin de répondre à cette question. Evidemment, comme dans presque tous les pays, il faut penser à l'efficacité énergétique et à des énergies renouvelables, telle que, entre autres, dans une perspective saharienne, le solaire thermique Avez-vous un message à transmettre aux intellectuels, et ce, au vu de la démission d'une société civile budgétivore, où son implication primordiale dans cette controverse demeure celui de défendre les intérêts moraux de sa société ? Comme pour tout projet d'envergure, l'acceptabilité sociale (la license sociale) est absolument essentielle. Elle ne peut être acquise que par l'information, le dialogue, la consultation, les échanges, l'expression documentée des pour et des contre, les questions aux élus, etc. La presse, les médias, les chercheurs, les universitaires, les citoyens, ont tous un rôle important à jouer. Estimez-vous que l'Algérie dispose d'une sérieuse technologie pour exploiter et explorer le gaz et l'huile de schiste ? Dans le cas contraire, est-il vrai, à l'exemple de ce qui se dit dans les hautes sphères des pays industrialisés, que la feuille de route pour les Français et les Américains vers lesquels les autorités algériennes semblent une incontestable bienveillance est déjà ficelée ? Je reviens plutôt sur les préoccupations et la nécessité pour l'Etat de se doter de pleines capacités en matière d'évaluation, de consultation, de surveillance, de suivi et de gestion environnementales. Enfin, le gaz de schiste est une opportunité ou une menace pour l'Algérie ? Aux Algériens d'en débattre et d'en décider.

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