S'ils ne sont pour l'instant exploités industriellement qu'en Amérique du Nord, de plus en plus de pays aux profils très différents s'ouvrent à l'exploration du gaz ou du pétrole de schiste, laissant les Etats réfractaires, comme la France, de plus en plus isolés. Comme le soulignait dans une étude en juin l'Agence américaine d'information sur l'énergie (EIA), actuellement, seuls les Etats-Unis et le Canada produisent du pétrole et du gaz de schiste en quantités commerciales, mais plusieurs nations ont commencé à évaluer et tester l'exploitation potentielle, à des stades plus ou moins avancés.
Les pays qui se lancent dans l'exploration La POLOGNE est l'une des têtes de pont du gaz de schiste en Europe. Une quinzaine de groupes internationaux prospectent avec plusieurs dizaines de forages déjà réalisés, mais avec des résultats jusqu'ici inférieurs aux attentes des industriels. Des tests de production ont commencé sur certains puits en vue d'une exploitation qui pourrait démarrer l'an prochain. Au ROYAUME-UNI, le gouvernement soutient l'exploration des hydrocarbures de schiste, et une campagne de forages vient de démarrer dans le sud de l'Angleterre. La société Cuadrilla avait dû interrompre ses premiers forages dans le nord-est de l'Angleterre en 2011 après l'enregistrement de légères secousses telluriques, mais en décembre 2012, le gouvernement Cameron lui a donné l'autorisation de reprendre ses activités avec des contrôles renforcés. Le DANEMARK a accordé deux licences d'exploration (co-détenues par Total), mais les forages qui auraient dû démarrer cette année ont été repoussés sans doute à l'an prochain afin de réaliser des études environnementales. L'UKRAINE a conclu en janvier un contrat d'exploration avec Shell. L'ESPAGNE ou encore la ROUMANIE viennent également d'attribuer des permis d'exploration. L'ARGENTINE, qui présenterait l'un des plus grands potentiels mondiaux d'après l'EIA, cherche à développer ses ressources de pétrole et de gaz de schiste. La compagnie nationale YPF a déjà foré des dizaines de puits de pétrole de schiste sur le plateau de Vaca Muerta, région la plus prometteuse, et a signé un accord avec Chevron en juillet pour développer la production de pétrole de schiste. La RUSSIE serait assise sur les plus grosses réserves mondiales de pétrole de schiste, toujours d'après l'EIA, ce qui suscite un intérêt croissant des compagnies pétrolières, dont Total et Shell, laquelle a signé en avril un accord avec une filiale de Gazprom afin d'extraire du pétrole de schiste dans la région de Khanty-Mansiïsk (Sibérie centrale). Autre pays qui disposerait de grosses réserves, la CHINE encourage la prospection. Des forages ont déjà commencé mais avec des résultats pour le moment inférieurs aux espoirs des industriels. En AUSTRALIE, au potentiel là encore important selon l'EIA, des compagnies ont commencé à prospecter. En outre, au CANADA, où l'extraction du pétrole de schiste se développe déjà dans la province de l'Alberta, le Québec, tout en imposant un moratoire sur le gaz de schiste, a laissé la porte ouverte à l'extraction du pétrole de schiste dans le Golfe du Saint-Laurent. Des forages vont bientôt démarrer.
Ceux qui y songent La LITUANIE est sur le point de signer un accord d'exploration des hydrocarbures de schiste avec Chevron, en négociation depuis des mois. En ALLEMAGNE, le gouvernement Merkel avait proposé en février d'autoriser de manière très encadrée l'extraction du gaz de schiste, mais face à de vives oppositions y compris au sein de la majorité, le projet de loi a été provisoirement enterré, en attendant notamment l'issue des législatives qui viennent de se dérouler. L'ALGERIE, producteur majeur de gaz naturel, et qui détiendrait d'importantes ressources potentielles de gaz de schiste, a révisé cette année sa loi sur les hydrocarbures en vue de favoriser l'exploration et la production du pétrole et du gaz non conventionnels, dont le gaz de schiste. L'AFRIQUE DU SUD, après avoir imposé un moratoire, envisage d'autoriser l'exploration du gaz de schiste avant des élections prévues en avril 2014.
Ceux qui résistent La FRANCE a interdit mi-2011 l'emploi de la fracturation hydraulique (quelle que soit la composition du fluide utilisé), fermant de fait la porte à l'extraction du gaz et du pétrole du schiste sur son territoire. L'interdiction a été confirmée l'an dernier par la nouvelle majorité de gauche et plusieurs permis soupçonnés de viser des hydrocarbures de schiste ont été annulés ou rejetés dans la foulée. La BULGARIE et la REPUBLIQUE TCHEQUE ont mis en place des moratoires l'an dernier. Les PAYS-BAS avaient accordé deux permis d'exploration mais ont bloqué les projets de forages en attendant des études.
Un impact environnemental qui met à l'épreuve l'intérêt économique L'exploitation des gaz et pétroles de schiste a de nombreuses implications environnementales, qui justifient pour certains son interdiction, d'autres estimant que des réglementations et des pratiques plus strictes permettront de corriger certaines dérives constatées aux Etats-Unis. Le fracking, ou fracturation hydraulique, est l'un des principaux sujets de discorde. Cela consiste à injecter via les tubes d'un forage et sous très forte pression, un mélange d'eau, de sable et d'additifs chimiques. Ce mélange va fissurer la couche dite de roche-mère dans laquelle se trouvent le gaz ou le pétrole visés, le plus souvent entre 2 000 et 4 000 mètres de profondeur. Le tout est ensuite partiellement repompé à la surface, les fissures créées libérant les hydrocarbures. Le risque de voir ces substances remonter directement des profondeurs à la surface est considéré comme extrêmement faible par les géologues interrogés. Les fissures créées ne font habituellement que quelques dizaines de mètres, 200 à 300 mètres dans les cas extrêmes, ce qui exclut la possibilité d'une remontée du gaz vers les nappes phréatiques, souvent plus d'un millier de mètres plus haut. Un seul cas de ce type, controversé scientifiquement, a été documenté aux Etats-Unis, à Pavillion dans le Wyoming.
Fortes pressions En réalité, le risque principal vient de la partie supérieure du puits, celle qui traverse les nappes phréatiques, essentiellement à cause d'une mauvaise étanchéité de la couche de ciment qui entoure les tubes métalliques du forage. Cela peut venir soit des fluides qu'on injecte dans le tuyau, soit des fluides qui ressortent dans le tuyau, soit des fluides de l'aquifère (nappes d'eau) qui a été traversé par le forage, mais ça ne peut pas venir de quelque chose qui par définition est très profond, comme la roche-mère, résume Bruno Goffé, géologue et conseil scientifique au CNRS. Ce risque existe sur tout forage, mais la fracturation rajoute un risque supplémentaire parce qu'on met des très fortes pressions dans les tuyaux pour arriver à fracturer la roche en profondeur, et donc ces pressions sont très fortes près de la surface, et là il peut y avoir évidemment des fissures ou des accidents, souligne-t-il. Selon Susan Brantley, une géologue américaine, entre 1 et 3% des puits ont présenté ce type de défauts. Les études les plus alarmistes dépassent les 6%. L'autre particularité majeure des gaz et pétroles de schiste est la multiplicité des forages sur une zone réduite. Le risque (même faible) de fuite ou d'accident est donc multiplié par le nombre d'installations (plus de 10 000 puits d'hydrocarbures de schiste sont forés chaque année aux Etats-Unis), sans parler des dommages pour l'environnement crée par la construction des puits, notamment le trafic routier.
La question de l'eau Autre problème majeur: la question de l'eau. Chaque puits de gaz de schiste nécessite en effet entre 10 000 et 20 000 mètres cubes d'eau, soit 10 à 20 millions de litres, plus 500 tonnes de sable et environ 50 tonnes de produits chimiques, rappelle Thierry Froment, directeur général de la division Oil and Gas du géant français de l'eau Veolia. Au total, entre 60 à 80% du mélange est remonté, selon lui. Le reste, avec ses 0,5% de produits chimiques, demeure dans la couche fracturée. Dans tous les cas, cette eau est définitivement perdue, ce qui représente un problème dans des zones arides. Celle qui remonte polluée est aux Etats-Unis très fréquemment rejetée telle quelle dans des puits dits d'injection (ou encore puits-poubelles) et dans le meilleur des cas légèrement traitée pour être réutilisée pour d'autres fracturations. Rien n'empêche techniquement une solution plus propre, permettant de la réutiliser par exemple dans l'agriculture, mais le coût étant plus élevé (au moins 4 fois, selon Veolia), cette solution devra être imposée.
Produits chimiques, séismes et méthane Les produits chimiques nécessaires à la fracturation sont dénoncés par ses opposants. Dans un catalogue de plus de 500 produits, le mélange retenu va généralement de moins d'une dizaine à une trentaine de produits, selon le secteur. Certains ingrédients (mais pas tous) peuvent être remplacés par des équivalents biodégradables, comme la gomme de guar. Autre effet de la fracturation, les séismes: si ceux-ci sont infimes, avec des magnitudes que seuls les appareils peuvent enregistrer, le risque est de fracturer près d'une faille géologique active, comme au Royaume-Uni en 2011. Mais des études sismiques basiques permettent de l'éviter, selon les géologues. En revanche, une activité sismique beaucoup plus significative peut-être générée par les puits d'injection des eaux usées, où des quantités considérables sont poussées dans les profondeurs. Autre conséquence des forages, les fuites de méthane. C'est un gaz à effet de serre au moins 25 fois plus puissant que le CO2, ce qui signifie que si seulement 3 ou 4% s'échappe, le bilan carbone du gaz de schiste est équivalent à celui du charbon, l'énergie fossile la plus sale. Mais une toute récente étude de l'Université du Texas suggère que les nouveaux puits américains, soumis à des réglementations plus strictes, réduisent fortement cet effet. Il y en a toujours un peu, mais c'est comme de la plomberie: si vous avez un bon plombier, vous avez moins de fuites, résume M. Goffé.