Les Tunisiens sont appelés aujourd'hui à élire leur président de la République. Il s'agit de la première consultation démocratique présidentielle dans le cadre de la nouvelle Constitution. Ce scrutin s'inscrit dans le processus de construction d'institutions démocratiquement élues. Ce pays demeure pratiquement une exception politique dans le monde arabe, notamment après les bouleversements nommés «Printemps arabe» qui ont vu la majorité des pays sombrer dans le chaos ou la répression. Vingt-six personnalités sont en lice, dont le président sortant Moncef Marzouki, la figure de proue de la gauche tunisienne Hamma Hammami, l'opposant à Ben Ali, Mustapha Ben Jaâfar et l'homme d'affaires Slim Riahi. Cependant après une campagne particulièrement animée, le favori de ce grand rendez-vous demeure Béji Caïd Essebsi. Son parti Nidaa Tounès ayant remporté les législatives ambitionne de rester dans cette dynamique victorieuse. Cinq des candidats ont jeté l'éponge au cours de la campagne, mais restent inscrits sur les bulletins de vote. Très attendu par les observateurs, le parti islamiste Ennahda, au pouvoir de fin 2011 jusqu'à début 2014 et deuxième aux législatives d'octobre, n'a pas présenté de candidat ni donné de consigne de vote. Pour la première fois, les Tunisiens pourront voter librement pour leur chef d'Etat. Depuis l'indépendance en 1956 jusqu'à la révolution de 2011, la Tunisie n'a en effet connu que le système autoritaire avec deux présidents : d'abord Habib Bourguiba, déposé en novembre 1987 par son Premier ministre, Ben Ali. Ce dernier occupera ensuite le Palais de Carthage jusqu'à sa chute en 2011. La nouvelle Constitution a certes délesté de certaines prérogatives le poste de chef de l'Etat au profit du Premier ministre, mais lui aura laissé tout de même d'autres pouvoirs régaliens comme l'orientation de la politique internationale du pays. Par ailleurs, il dispose d'un droit de dissolution si la classe politique ne parvient pas à former une majorité. Le favori du scrutin, malgré son âge avancé (87 ans), Caïd Essebsi, a axé sa campagne sur la restauration du «prestige de l'Etat», le pays ayant traversé des soubresauts depuis la révolution, avec l'essor de groupes djihadistes terroristes, les assassinats de deux opposants et de profondes difficultés économiques. Sa victoire faciliterait la tâche de son parti en vue de la formation d'un gouvernement de coalition. Malgré sa victoire aux législatives Nidaa Tounès ne peut former une majorité. D'un autre côté, une éventuelle victoire d'Essebsi pourrait être considérée comme une véritable régression pour un processus censé exprimer la pluralité des tendances politiques en Tunisie. L'histoire retiendra que Caïd Essebsi fut président du Parlement sous Ben Ali, au début des années 1990, et plusieurs fois ministre à l'époque de Bourguiba. Ce qui fait dire à certains sceptiques qu'une éventuelle victoire du candidat de Nidaa Tounès constituerait une véritable régression. De son côté le président sortant, Moncef Marzouki, autre favori à la présidentielle, aura fait campagne en se posant en candidat à même d'empêcher la «contre-révolution», Nidaa Tounès étant connu pour abriter nombre d'anciens partisans de l'ancien régime. Ainsi un face-à-face Marzouki-Essebsi n'est pas à écarter. Des dizaines de milliers de policiers et militaires sont déployés dans tout le pays pour assurer la sécurité du scrutin et des électeurs. Pour les Tunisiens c'est l'heure du choix. M. B./Agences