Après le massacre de 21 coptes égyptiens par l'Etat islamique, Le Caire est intervenu dans le pays en bombardant lundi des positions jihadistes. Vingt-et-un coptes égyptiens en tenue orange marchent difficilement sur une plage de la Tripolitaine, région occidentale de la Libye, leurs mains attachées dans le dos. Vingt-et-un hommes entièrement vêtus de noir les dirigent avant de les aligner. Les bourreaux se placent alors derrière les victimes, puis les égorgent avec un couteau. Avant l'exécution, un homme explique en anglais les raisons de cette scène macabre : «Aujourd'hui, nous sommes au sud de Rome, sur la terre musulmane de la Libye [...], ces flots dans lesquels vous avez caché le corps du cheikh Oussama ben Laden, nous jurons devant Allah que nous allons les mêler à votre sang.» La dernière opération de l'Etat islamique (EI) en Libye provoque l'effroi. En représailles, l'Egypte a bombardé lundi matin des positions de l'organisation terroriste dans le pays. «Cette fois, j'en ai marre ! Je vais tout faire pour quitter le pays, c'est vraiment trop dangereux», s'exclame un ancien garde du corps de l'ambassadeur du Japon pourtant peu enclin à se faire intimider. Les chaînes de café et les grands hôtels de la capitale, Tripoli, sont délaissés, notamment par les étrangers, de peur d'un attentat. Dans le dernier numéro de Dabiq, son magazine anglophone, l'Etat islamique a déclaré la guerre au gouvernement de Tripoli – soutenu par les conservateurs religieux et une coalition de brigades nommée Aube libyenne – en qualifiant celui-ci d'«apostat» et promet d'autres attaques. Sur le terrain militaire, les brigades d'Aube libyenne font fi du storytelling de Tripoli. La Force nationale mobile explique qu'elle est prête à agir contre «les groupes étrangers se revendiquant de l'Etat islamique [...] et qui disent : «Nous sommes venus vous massacrer !» Si la capitale découvre depuis le début de l'année l'EI, plusieurs autres villes vivent déjà sous la férule des fondamentalistes. L'organisation est apparue le 30 octobre, à Derna, à 285 km à l'est de Benghazi, en Cyrénaïque (partie orientale du pays). Ce jour-là, les militants du Conseil de la Choura de la jeunesse islamiste paradent dans le centre-ville à bord de pick-up surmontés de mitrailleuses pour prêter serment au calife Abou Bakr al-Baghdadi, fondateur de l'EI. C'est la première allégeance en dehors de la zone irako-syrienne. Un mois après l'affiliation, l'ONG Human Rights Watch recensait dans la ville au moins trois exécutions sommaires, une dizaine de flagellations publiques et des repentances publiques pour ceux que les militants considèrent comme «infidèles». En février, le rythme s'accèlere : l'Etat islamique annonce coup sur coup la prise de la localité de Nofilia et le contrôle de plusieurs bâtiments stratégiques à Syrte, dont ceux des principaux médias qui diffusent depuis les discours d'Abou Bakr al-Baghdadi. Nofilia et Syrte sont deux villes côtières situées au centre du pays, à proximité des principales infrastructures pétrolières du pays. L'or noir, qui représente quasiment 90% du revenu libyen, pourrait être leur prochaine cible. A chaque attaque du groupe extrémiste, le même schéma se répète : des jeunes radicaux, fascinés par la force militaire et médiatique de l'EI, font régner la peur et imposent des règles strictes à travers une police des mœurs et des prêches. Pour cela, ils créent des groupes ad hoc – Conseil de la Choura de la jeunesse islamiste à Derna, Province de Tripoli pour l'attaque du Corinthia, Brigade al-Bittar al-Libi pour les Libyens partis combattre en Syrie et revenus depuis – et constituent des camps à proximité de leur bastion, notamment dans le djebel Akhdar, autour de Derna. Le Sud libyen, dont les frontières sont ouvertes, leur sert de porte d'entrée et de sortie ainsi que de source de financement. Cette expansion géographique et militaire pose la question des relations avec l'autre grand groupe jihadiste libyen, Ansar al-Charia, présent depuis la fin de la révolution en 2011. L'an dernier, l'ONU a inscrit ses branches de Benghazi et de Derna sur la liste des groupes terroristes – oubliant celle de Syrte. Mais, outre son djihadisme, l'organisation très bien structurée s'enorgueillit, contrairement à son nouveau rival, d'actions sociales : protection d'hôpitaux, distribution de nourriture aux plus pauvres, réparation de routes...Militairement, Ansar al-Charia est l'allié objectif d'Aube libyenne. Une alliance qui se cristallise contre un nom : Khalifa Haftar. L'ancien général du régime kadhafiste a lancé en mai l'opération «Dignité» pour se débarrasser des islamistes en Cyrénaïque. Il est même devenu le bras armé des institutions basées à Tobrouk et est pressenti pour devenir le prochain ministre de la Défense. Suivant le principe l'ennemi de ton ennemi est ton ami, Aube libyenne, bien que rejetant le dihadisme, et Ansar al-Charia font cause commune. La même logique pourrait-elle s'appliquer aux deux groupes djihadistes, surtout que de nombreux militants sont passés d'Ansar al-Charia à l'Etat islamique perçu comme plus moderne ? Mary Fitzgerald, spécialiste des mouvements islamistes en Libye, n'y croit pas : «L'Etat islamique et Ansar al-Charia ne sont pas affiliés en Libye. A Benghazi, Ansar al-Charia et l'EI combattent ensemble contre l'ennemi commun, Haftar. Mais à cause des différences idéologiques, Ansar al-Charia est plus proche d'Al-Qaïda, les deux groupes finiront probablement par se combattre.» Comme en Syrie, de quoi passer l'envie de rigoler.