Ferme devant les médias étrangers, le président syrien enchaîne pourtant les revers militaires face à une rébellion islamiste dominée par Al-Qaïda Inébranlable la semaine dernière sur France 2, Bachar el-Assad masque à merveille ses défaites sur le front face à la rébellion syrienne. Pourtant, le maître de Damas a une nouvelle fois subi samedi un revers majeur en enregistrant la perte de la ville stratégique de Jisr al-Choughour, un mois après celle d'Idleb, dans le nord-ouest de la Syrie. «Il s'agit d'une avancée considérable pour les rebelles car la prise de Jisr al-Choughour leur ouvre la voie de Hama (centre) et surtout de Lattaquié», souligne Rami Abdel Rahmane, directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), ONG basée à Londres disposant d'un vaste réseau de militants et de médecins en Syrie. Située sur la côte méditerranéenne, la ville de Lattaquié est vitale pour le régime syrien. Fief de la communauté alaouite (secte issue du chiisme minoritaire en Syrie), à laquelle appartient Bachar el-Assad, elle fournit au pouvoir et à l'armée syrienne un grand nombre de ses cadres, et assure le ravitaillement en armes et en vivres de la capitale. «L'axe Lattaquié-Homs-Damas est la colonne vertébrale du régime qui reste aujourd'hui solide», rappelle Fabrice Balanche, maître de conférences à l'université Lyon-2 et directeur du Groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient. «Mais si leur fief était attaqué, les Alaouites pourraient délaisser la bataille de Damas, où le régime syrien possède toutes ses infrastructures.» Comme à son habitude, l'aviation syrienne a pilonné en représailles la ville perdue durant tout le week-end, tuant 73 civils dont 19 enfants et 11 femmes. Mais rien n'y a fait. Les rebelles ont poursuivi lundi matin leur offensive éclair en s'emparant d'une importante base de l'armée syrienne à al-Qarmid, faisant main basse sur un important arsenal d'armes lourdes et de tanks. Sur les réseaux sociaux, les combattants ont publié des photos d'explosions provoquées par leurs kamikazes. Samedi, ces mêmes combattants s'étaient photographiés en hissant sur les toits d'immeubles et de voitures les drapeaux noirs de Jabhat al-Nosra (Front de défense du peuple syrien). Al-Nosra, la branche syrienne d'Al-Qaïda Ce groupe djihadiste n'est autre que la branche syrienne d'Al-Qaïda, créée en avril 2011, après que Bachar el-Assad a décidé de libérer de la prison de Sednaya, au nord de Damas, des centaines de djihadistes syriens qui avaient combattu en Irak. À la différence de l'organisation Etat islamique (EI), qui a établi un «califat» à cheval sur l'est de la Syrie et l'ouest de l'Irak, le Front al-Nosra n'a pas, pour l'heure, l'ambition de créer un Etat. Composé en majorité de djihadistes syriens, auxquels se sont greffés des combattants étrangers, ce groupe expert en guérilla et en attaques suicides reste jusqu'ici focalisé sur la chute de Bachar el-Assad, ce qui explique sa popularité au cœur des zones rebelles. Classée «organisation terroriste» par les Etats-Unis et l'ONU, après son allégeance à la nébuleuse islamiste en 2013, Al-Nosra vient inexorablement conforter la rhétorique du président syrien qui s'emploie depuis quatre ans à discréditer ses opposants, pourtant tout d'abord pacifiques et démocratiques. Eclipsé en 2014 par l'essor de l'EI dans l'est de la Syrie, Jabhat al-Nosra est revenu sur le devant de la scène le 24 mars dernier en s'alliant à d'autres brigades islamistes, dont les salafistes d'Ahrar al-Cham, pour créer l'«Armée de la conquête» anti-Assad. Une coalition d'inspiration islamiste radicale dont la principale composante - le Front al-Nosra - avait déjà pris soin d'expulser en novembre 2014 de la province d'Idleb (Nord-Ouest) les deux principales formations modérées de l'opposition - le Front révolutionnaire syrien et le mouvement Hazem. Bombardés par la coalition internationale depuis septembre 2014 au même titre que l'EI, les djihadistes d'Al-Nosra ne leur ont jamais pardonné leurs liens étroits avec les Etats-Unis. «Une partie des groupes modérés ont été décimés, mais il reste quelques factions minoritaires se revendiquant de l'ASL dans la région», affirme toutefois Ignace Leverrier, ancien diplomate en poste à Damas. «Mais ils ne disposent clairement pas des mêmes moyens que les djihadistes et c'est la raison qui explique que de nombreux jeunes les délaissent». D'après Rami Abdul Rahmane, le directeur de l'OSDH, la coalition islamiste possèderait notamment des missiles anti-chars américains TOW qui lui auraient été livrés depuis la frontière turque, proche de la ville de Jisr al-Choughour.