Le retour du club de Saint-Ouen au niveau professionnel marque le succès d'un club cosmopolite. Ce que certains pensaient trouver autour des Bleus de 1998, le Red Star le vit, au quotidien, à travers ceux qui l'animent. Vendredi soir, Bauer a basculé dans l'ivresse. En enfonçant le déjà condamné Istres (4-0), le Red Star a officialisé son retour en Ligue 2. Une fête à laquelle les gamins du club ont été conviés. Ils étaient plusieurs dizaines, main dans la main, réunis autour de leurs idoles, sur le synthétique audonien. La plupart d'entre eux n'étaient pas nés en 1998. «Et quand t'es pas né, t'es pas né...», a déclaré l'un des héros de ladite année. Au lendemain de son Mondial, la France s'inventait un effet : «Black, blanc, beur». L'illusion allait bientôt s'effondrer. Quasiment au même moment, le Red Star quittait le football professionnel. Mais l'étoile renait. Et ce dont l'Hexagone fantasmait, le club de Saint-Ouen le vit. «Sans slogan», certifie Patrice Haddad, son président. Et pourtant... En 1897, Jules Rimet, initiateur de la Coupe du monde, fonde le Red Star. Ses dirigeants partagent les idées du Sillon de Marc Sangnier : toucher les classes populaires et les sensibiliser à un rapprochement entre la République et le catholicisme, dans un climat alors franchement anticlérical. Ce mouvement démocratique toutefois se veut laïque. Le Red Star aussi. «Les statuts depuis sa création établissent le club comme laïque et apolitique», rappelle sa directrice générale, Pauline Gamerre. Le Red Star - dont le nom a été choisi par Miss Jenny, la gouvernante anglaise des Rimet et qui fait référence à la compagnie transatlantique Red Star Line - est devenu l'étendard du 93. Le Red Star Football Club est bien plus que le club d'un département, d'un mouvement, d'une communauté. Il incarne ce que le foot français peut faire de mieux. Sans (se) forcer. Haddad : «Prouver que c'est possible» Patrice Haddad n'aime pas les clichés. «Dire que le Red Star est mené par une femme au poste de DG, un directeur sportif black, un staff faisant preuve de diversité ? (Sébastien Robert est entouré de Manu Pires, Randy Fondelot, Fouazi Amzal et de Nicolas Flohic) Nous, la notion que nous valorisons et qui est aujourd'hui trop souvent oubliée, c'est l'humanisme.» N'empêche que son club se caractérise par son cosmopolitisme. «Sans rien imposer, martèle-t-il. Cette diversité que beaucoup constatent, on ne la remarque pas. Ce n'est pas recherché. Il n'y a rien de réfléchi, ni de limite aux choix. Mon rôle est de prouver que c'est possible.» Le patron de la première heure, société de production, a un attrait pour les défis. Il arrive à Bauer en 2006. A six journées de la fin d'une saison mouvementée, les joueurs sont en grève, suite au limogeage du coach, Jean Luc Girard. PH joue les médiateurs. Le club monte en CFA. Celui qui avait quelques billes à Sannois Saint-Gratien devient président du Red Star en 2008. Quatre ans plus tard, le retour en National. En 2012, il annonce : «La Ligue 2 pour 2015.» Ne croyez pas les chiffres, Haddad est bien en avance sur son temps... Gamerre, la «Redstarienne» Une femme à la tête d'un club de football. A Bauer, personne ne s'en étonne. L'intéressée non plus : «Au quotidien, on ne me fait pas ressentir que je suis une femme. Peut-être parce que je tiens le portefeuille !» Pauline Gamerre s'amuse qu'on s'en amuse. Mais son rôle de DG, la trentenaire le prend très au sérieux. Haddad ne s'est donc pas trompé : «Beaucoup prétendaient à ce poste mais Pauline prouve pourquoi elle a été choisie.» Ex-content manager chez Dailymotion, la Marseillaise de naissance s'est fondue dans le brassage audonien. «La diversité est notre quotidien, sourit-elle. C'est dans notre ADN. Il y a plus de 30 origines représentées au club. Mais on ne s'arrête pas à cela. On n'en tient pas compte. On est tous ensemble. Le Red Star est une nation. Redstarien une nationalité.» Marlet : «Redonner au club ce qu'il m'a donné» Le choix peut aujourd'hui paraître évident mais lorsque Steve Marlet avait décidé de rentrer à Saint-Ouen, le challenge n'avait rien d'évident. «Je voulais redonner au club ce qu'il m'a donné, commence l'international français (23 capes, 6 buts). Passer du monde pro au monde amateur, ça rendait l'histoire plus belle encore.» Le Martiniquais contribue à la renaissance d'un monument. Pendant qu'il faisait vibrer Auxerrois, Lyonnais, Cottagers (Fulham) ou Marseillais son Red Star se mourrait. L'ancien attaquant va remettre son club là où il l'avait laissé : en L2. Et son projet de reconstruction est déjà clair : «Se stabiliser. Etre, dans un premier temps, le deuxième club de la région. A terme, nous aimerions attirer, former des gamins de la région parisienne. Garder une partie de notre tradition, notre identité, tout en continuant de grandir. Mais, nous l'avons déjà vécu en National, il y a de la concurrence avec le Paris FC et Créteil...» Robert, «enfant du 93» La gorge nouée, Sébastien Robert ne cachait pas son émotion à l'issue du succès sur Istres, synonyme de montée. «Ça fait bizarre, glisse l'entraîneur du Red Star. J'ai participé à pas mal d'aventures en région parisienne mais je n'avais imaginé vivre ça.» Né à Livry-Gargan, Robert a évolué à Noisy-le-Sec, Aubervilliers ou Ivry. Au Red Star, il a porté plusieurs survêts avant de d'enfiler celui d'entraîneur principal en cours de saison dernière. Lolo Fournier était débarqué et Séb allait entamer la reconquête. «Le Red Star est à l'image de notre région : ouverte à tous, où tout le monde peut réussir.» A 41 ans, Robert se définit comme «un enfant du 93» : «J'y ai grandi. Ma mère est d'origine allemande, j'étais souvent le petit blond de l'équipe. Parfois, quand on se déplaçait en province, les gens venaient vers moi, presque étonnés, rigole-t-il. J'ai toujours vécu dans la diversité. J'éprouve aujourd'hui beaucoup de fierté.» Quel avenir ? Avec ce retour en Ligue 2, le Red Star doit gérer sa restructuration. Outre l'avenir de l'entraîneur, de celui de pas mal de joueurs, il y a la problématique du stade. Le mythique mais vétuste Bauer n'est pas aux normes. «La mairie de Saint-Ouen nous a fait savoir qu'elle ne souhaitait pas nous accompagner», déplore Haddad. Le spectre de Luzenac plane encore sur les clubs de National. Les Audoniens œuvrent en coulisses depuis un moment. «Il y a plusieurs ouvertures, explique le président. On vise un rayon de 50 km. Par sécurité, on s'est rapproché d'un stade privé, aux normes.» La MM Arena du Mans serait la solution de repli. Plusieurs enceintes ont été évoquées : Michel-Hidalgo (Sannois), le Stade de France - dont le parrain pour l'Euro 2016 sera... Marlet. Maintenant que l'ascension est officielle, les dossiers vont devoir avancer. Le conseil général du 93 s'en est saisi et a promis de réunir les parties concernées afin de trouver une issue.