Roland Barthes, grand sémiologue des faits sociaux, avait qualifié la voiture de mythe social. Il avait raison de qualifier ainsi un objet qui a fasciné des générations d'utilisateurs, pour ce qu'il a de rêve et de désir de brillance des individus face à une société matérialiste et utilitariste. Mais Barthes n'avait pas tout à fait raison de parler de mythe, car celui-ci, pour ce sémiologue de génie, n'était pas abstrait, puisqu'il a fini, avant de mourir, dans un hôpital après avoir été renversé par un chauffard. C'est ce côté sombre de la voiture qui, objet de désir et d'ascension sociale, est devenu un objet de mort, un cercueil à ciel ouvert pour des milliers de personnes chaque année. Une véritable guerre se mène entre Algériens, par véhicules interposés, des armes encore plus redoutables quand elles ont, pour adjuvant guerrier, la vitesse et l'indiscipline. Coercition et prévention ne semblent pas suffire à endiguer un phénomène qui n'en finit pas de moissonner sa part de victimes, dans un contexte où le parc algérien a connu un développement exponentiel. Que faut-il alors faire pour arrêter le massacre ? Il semble bien, l'Algérien n'étant pas moins réceptif à une politique de prévention et de coercition qu'un autre citoyen de la planète, qu'il faille que les acteurs de la sécurité et de la prévention routières se mettent en cause, se remettent en question et revoient leurs approches en vue de plus de proximité de leurs cibles, qu'il s'agisse de communication ou d'action sur le terrain. Quand une politique s'avère inopérante, ce n'est pas aux millions de conducteurs d'endosser la responsabilité, mais bien à celui qui a la charge de sa conception et de sa mise en œuvre.