Construire la ville d'aujourd'hui est essentiel, la dessiner est autrement plus important que de la concevoir comme nous le faisons depuis des lustres, un espace de déambulation chargé, clos et plus mort que vivant. La ville est présentement exsangue, vide de sens et sa « lecture » reste un exercice de style très difficile. De plus, créer la ville d'aujourd'hui, c'est la définir, mais la définir c'est définir qui nous sommes, d'où sommes-nous venus et où allons-nous, de quelle architecture et pour quelle capitale parlons-nous ! ? Et puis la question problématique de lecture, pourquoi l'esthétique, la conception proprement dite en dehors de l'utilitaire, reste absente ou si peu présente. Dans un projet appelé vivant qui s'intitule «Le Golden Palace», situé sur la périphérie de Ben-Aknoun qui va transformer ce quartier en une sorte de Ghotam Block version typiquement algérienne, le designer concepteur de la précédente image de Nedjma, devenue ensuite Ooredoo, et d'une villa à Sidi Bou-Saïd inscrite dans une colline, en structure autoportée d'une hauteur de plafond de 10 mètres, ferait vibrer n'importe quel architecte stalinien et faire perdre la tête à Google Earth, Mohamed Yahiaoui, plus connu sous le nom Yamo, ne cessera de nous surprendre. En face de cet être particulier, le propos gravite autour de ces rencontres avec les vieilles «tantes» que sont la Grande Poste et la Wilaya d'Alger, elles possèdent de vieilles tentures comme les vieux haïks de nos grands-mères, le concept de la tour de 50 étages «El-Maaradj», un élément de mall, hôtel, des appartements, bureaux probablement inscrits dans un futur proche à Chéraga est un condensé d'audace d'abord et ensuite d'un savoir-faire technique et esthétique qui remet à plat toutes les théories «confortables» des architectes soumis au mandarinat d'une architecture austère, placide qui ne garde de son aspect iconoclaste des scories vues et revues, place aujourd'hui, à la nouvelle translation, le concept collaboratif entre architectes, designers concepteurs sur cette nécessité d'accès aux nouveaux langages architecturaux qui parlent aux sens, qui donnent une âme à la nouvelle architecture, une identité visuelle, moderne mais qui ne tourne pas le dos à l'esthétique protéiforme algérienne. Contraintes... je ne connais pas ! En effet, par son sens inné de dépasser les contraintes, de les intégrer dans un savoir-faire éloquent, le concepteur prend le parti de créer des contraintes et de les transcender par une esthétique qui relève de la provocation, de l'audace et de l'effet de style ou de la fluidité d'une forme, l'inventivité esthétique mise au service du pratique ou de l'usuel nous laissent pantois par un travail permanent pour nous offrir in-fine des œuvres réalisées en collaboration avec des architectes d'une pureté de lignes qui frisent l'absolu. Juste pour exemple, ces façades effilées et cette forme fluide héritée de la canne à pêche qu'il intègre comme une signature formelle et qui fait grincer des dents les puristes du tout pratique pur et dur de l'architecture figée des années 1970...on notera aussi la fondamentale originalité de ses «gares à ascenseurs» sur le «Golden Palace» superbe hôtel de 1500 mètres carrés habillé par les soins de sieur Yamo qui fait disparaître les ascenseurs externes par une superbe invention esthétique, d'audacieuses formes effilées qui rejoignent le ciel dans un formidable pied de nez aux tenants de la forme rigide et pleine, ici, il n'est question pourtant que de paratonnerres référencés au ciel et à la mer. Priorité au design et à la jubilation partagée avec le public, il s'agit rappelons-le d'espaces urbains. Pour en revenir à la conception du designer Yamo, ces éléments architecturaux sont pour lui donc, un héritage qui aurait semblé discutable, mais cet héritage ne l'est pas, puisqu'il est reçu de nos formes originelles et de notre esthétique collective. Mais cet esprit collectif, c'est aussi les formes improbables de la Sagrada Famillia du surnaturel Gaudi, peut-on évoquer la digne Barcelone, sans y citer quelque part le parc Guell, la Sagrada Famillia ou la maison Mila, les fameuses tours de Central Park Ouest, Potzamaparc, Bofill ou même Gehry. Alger, une ville qui se cherche dans l'esthétique entre Occident voisin et Maghreb in-vivo, c'est aussi ces formes originales, c'est Ketchaoua, Maqam Echahid, la Grande Poste ou la Wilaya d'Alger avec ces regards pointés sur la Casbah, Notre Dame d'Afrique, les Galeries Algériennes, le Tantonville ou le Théâtre National Algérien...les travaux de Larbi Merhoum ou de Faïdi qui partagent aujourd'hui, la conception de ce concepteur designer au profil si singulier semblent apprécier cet apport de la novation qui donne du punch aux nouvelles constructions. Héritages anciens pour images futuristes Les vieilles tantes comme la Grande Poste, le Palais du Peuple ou le Bardo, et ce projet énigmatique salle polyvalente, «Dar El-Djazaïr», il en parle avec emphase toujours avec un sens du décalage qui met l'explication à la fin, il s'agit d'abord de sensations, d'images, de formes, de lumières et enfin de ces voyages que l'on fait d'abord dans l'esthétique pour ensuite aller dans le trivial du quotidien. La rencontre avec ce personnage est déjà un concept en soi, la conversation avec lui est proprement hallucinante quand on lui rend visite dans les bureaux couleur sable qu'il loue sur les hauteurs d'Alger, les éléments ici bougent sans cesse, des ordres fusent doucement, toujours avec didactisme, tranquillité et bonne humeur, l'aménagement est sobre, génialement agencé, mobilité, bon goût et aisance dans la distribution de l'espace. Pourtant, chez «Yamo Concept», la rigueur est de mise malgré l'esprit souvent potache que notre ami lance dans ses phrasés imagés. Remise sur rail régulière et sans cesse au rendez-vous avec la collaboratrice principale, l'essentielle partenaire dévouée, la compagne de toujours, Corinne. Lunettes en bandoulière et mise sérieuse sur un sourire spontané, elle est celle qui retient les énergies, qui connaît les budgets et qui sait où mettre les pieds quand un projet semble aller de travers et quand il s'agit de mettre sa réputation en jeu pour aller au fond des choses. Yamo est synonyme de Design, avec un nom qui claque, en deux syllabes, comme un logo facilement identifiable qu'à cela ne tienne, dans une logique implacable, il n'hésitera nullement à vous créer un luminaire avec un artisan constantinois, une cuillère originale ou encore plus étonnant, une Frite destinée exclusivement à un restaurant précis, il l'a tout simplement déjà fait. Tricherie impossible, chacun son rôle La discussion ne reste jamais statique, elle parle de mouettes, de plages, d'embruns et de poissons, mais il s'agit aussi d'évoquer un restaurant en création les pieds dans l'eau et les yeux dans le large, ici un «Chebec» regardant vaillamment vers l'horizon, qui se décline restaurant high-tech assis sur un chemin de pierres menant vers les tables, de l'eau chuintant dans les travées aux accès facilités par le parquet et la corde qui donnent le ton à ces luminaires de verre qui taquinent l'eau de mer par leur aspect mordoré volé aux embruns et au vent du large. Une référence à notre passé corsaire glorieux qui, de l'esthétique guerrière, rejoint l'esthétique de la mer dédiée tout simplement à la beauté. Il est comme ça, ce créateur d'objets, d'espaces et aussi d'idées avec une nouvelle vision esthétique un peu poil à gratter pour les puristes de la ligne dure et les architectes mandarins qui s'estiment plus légitimes à donner une identité à une ville. Alger New-York par le «66» Pourtant quand on voit la nouvelle direction que prend New-York avec les tours géantes qui prennent place sur la bordure de Central Park, Londres avec ses audacieuses constructions multicolores, Paris avec son architecture verte en devenir, Dubaï avec ses nouvelles directions urbaines, Shanghai et sa grandiloquence High-tech et bien d'autres capitales du monde, on ne peut que s'interroger sur la nécessité d'avoir des designers créateurs de nouveaux espaces et d'une nouvelle vision pour la ville de demain ; qu'elle soit en fait Alger, Oran, Annaba ou Sétif. Le «Golden Palace» revient à la vie après de longues tergiversations procédurières, dans l'esprit du concepteur, il s'habille aujourd'hui de ses dernières parures architecturales et s'apprête à rayonner dans ce quartier très fréquenté. Le restaurant effilé qui s'empresse de voguer dans une ambiance emphatique laisse une belle notion de plaisir et d'esthétique et ne manquera pas de flatter les sens et de les titiller par une mise en forme très généreuse du sieur Yahiaoui Mohamed, enfant de la mer, adopté par les mouettes et les baleines qui, de par ses formes inouïes, laisse encore sa marque sur une nouvelle création inscrite dans l'urbanité perturbée de l'artère Sidi-Yahia, dans laquelle il conçoit un hôtel de six étages près d'une grande enseigne de la téléphonie, encore une audacieuse et pertinente création nommée pour l'instant «Le 66» pour des raisons de clin d'oeil à la fameuse route qui traverse les Etats-Unis d'Amérique. Yamo nous offre ainsi dans cette nouvelle vision un regard d'enfant terrible qui mérite encore plus de projets, car la surprise, le dépassement de la contrainte technique au service de l'esthétique pure, la magie de la nouveauté et la jubilation restent en permanence au rendez-vous. Entre conception architecturale, nouveauté créatrice et originalité sans jamais perdre l'âme de nos aïeux, il reste un enfant prodige de cette nouvelle Algérie qui fait de ses héritages un legs rendu de bonne grâce à ceux qui nous ont offert notre passé pour que nous puissions à notre tour leur offrir l'avenir.