Son exposition à Alger, début 2004, intitulée « Yamo, sculpteur de lumière » lui avait permis de se faire enfin connaître de ses compatriotes. Montée dans les salles splendides du Musée national des Beaux-arts, étalée sur deux mois, elle avait en outre disposé d'une envergure et d'une promotion digne des grandes expositions qui se tiennent dans le monde : inauguration par le président de la République, étalement sur deux mois, affichage public… Assurément un évènement, nouveau dans le paysage culturel bien désolé de l'époque, au point où certains avaient cru y percevoir du favoritisme quand le talent et le palmarès de l'artiste la justifiaient amplement. Aujourd'hui que le Musée d'art moderne et contemporain a engagé un programme de grandes expositions collectives et individuelles, on peut espérer que ce type de récriminations ne perdureront pas, la pénurie étant la mère des doutes. L'exposition avait souligné le parcours de Yamo mais elle avait aussi, en tant que première manifestation importante du design en Algérie, contribué à populariser une discipline et révélé l'existence de grandes signatures algériennes, toutes expatriées, faute de lieux de travail, de commandes et de moyens de diffusion. En l'occurrence, Yamo avait alors agi en tant que tête de pont de ses confrères et compatriotes, réputés à l'étranger, mais ignorés chez eux (Abdi, Chafik Gasmi, Chérif…). Il avait ainsi accompagné son exposition d'un atelier d'une semaine avec les étudiants de la section design des beaux-arts et surtout d'une rencontre avec les industriels sur les perspectives du design dans l'entreprise algérienne. Il espérait amorcer une véritable dynamique. Quatre ans plus tard, de passage à Alger, il jette un regard rétrospectif mi-figue, mi-raisin sur l'exposition et ses retombées. « C'était une immense satisfaction, dit-il. Tu rentres dans ton pays et tu fais quelque chose d'aussi important. C'était un cadeau pour moi, assez incroyable parce que j'étais parti, je revenais et je partageais avec les miens. Pour moi, c'est une expo partage. Est-c e que c'était bon ou pas ? C'est aux gens qui ont vu de répondre. Quand je revois les images de cette expo et l'esprit qui s'en est dégagé, franchement pour moi, c'est une des plus belles que j'ai faites. Elle était tendre. Il y avait de la justesse et un côté magnifique, parce que l'endroit l'est. Le lieu est extrêmement important. Si elle avait eu lieu ailleurs, je ne pense pas qu'elle aurait été aussi prenante ». Son itinéraire avait été bien rendu et grâce à l'exposition et son traitement médiatique, il avait pu se faire découvrir ou mieux connaître. Cet enfant de Bou Ismaïl (wilaya de Tipaza), né en 1958, diplômé en architecture intérieure à l'Ecole nationale des beaux-arts d'Alger (1982), puis en design industriel aux Arts Déco de Paris (1986), a brillamment achevé son cursus avec un troisième cycle en mobilier dans le même établissement (1988). De là, il a entamé une carrière internationale reconnue dans les milieux professionnels et par la presse généraliste ou spécialisée, l'hebdomadaire français L'Express le situant même parmi les « designers les plus prisés de Paris ». Multipliant les interventions et les expositions collectives et individuelles dans les lieux huppés du design (Paris, New-York, Ibiza, Vérone, Hong-Kong…), son palmarès s'honorait de plusieurs prix et distinctions. Il a ainsi été 1er et 2e prix du concours des jeunes créateurs de France en 1987, a reçu la bourse VIA (Valorisation de l'innovation en ameublement) à Paris en 1988, Médaille d'or au Salon international du meuble et Palme d'or de la jeune création en 1999, sans oublier la Lampe d'argent au Salon international du luminaire et l'oscar du Syndicat des architectes d'intérieur de France en 1992. Représenté par une vingtaine d'éditeurs de design en Italie, en France, en Tunisie et aux USA, on se souvient de sa joie et de sa fierté à faire connaître ce parcours prestigieux auprès des siens, retenant ses larmes quand ses humbles parents vinrent contempler les merveilles de leur fils prodige. De ce point de vue, il garde un souvenir fort de la manifestation et du contact direct avec un public sans doute peu au fait du design, mais curieux, attentif et ouvert. Il avait surtout été marqué par les visites d'enfants : « Se dire que pour certains d'entre eux, c'est peut-être un commencement, que l'on peut comme çà susciter des vocations, c'est la chose la plus belle qui puisse arriver ». En revanche, il reste amer sur un fait précis qui remonte à l'inauguration officielle, le 15 janvier 2004 : « Le Président de la République a clairement dit qu'il fallait prendre toute l'expo. Tout le monde a assisté. Mais le reste n'a pas suivi. Tout est reparti. C'est stocké chez moi en Tunisie, emballé comme au départ vers Alger. Je ne comprends pas. Le Président a décidé. La ministre de la Culture a fait son travail. Le commissaire de l'exposition aussi. Et après, rien. On ne m'a pas pris une seule œuvre. Cela veut dire qu'il n'en restera rien en Algérie et que les enfants que j'ai rencontrés n'auront rien pour le futur. C'est triste. » Même si cet épisode le désole profondément, Yamo sait reconnaître que l'exposition de 2004 a ouvert ses retrouvailles avec le pays. Il avait été invité à la télévision et quand l'animateur de « Saraha Raha » lui avait demandé ce qu'il pensait du décor de l'émission, il l'avait critiqué sans ambages. « Il y a eu une petite joute verbale, raconte-t-il, et il m'a défié amicalement de faire mieux. Je ne remercierai jamais assez le producteur et l'équipe de cette émission qui m'ont mis le pied à l'étrier. J'ai conçu le mobilier et le plateau et je suis heureux que tous les Algériens voient ce travail, même ceux qui vivent à l'étranger. C'était un bon et premier prétexte pour revenir. » De cette intervention, sont venues quelques autres renforçant chez lui sa vieille ambition. En effet, quand il vivait encore à Paris, Le Nouvel Observateur avait mis en exergue une de ses phrases : « Un jour je construirai pour l'Algérie. Je le sais. Je le sens. » Ce n'est pas encore tout à fait le cas, du moins avec l'ampleur que Yamo envisage, ni aussi vite qu'il le souhaite, mais des projets concrets se sont enclenchés. Ainsi, la future chaîne d'hôtels Ibis en Algérie, managée par le groupe Mehri, ainsi que l'opérateur de téléphonie Nedjma ont fait appel à ses services. Pour l'hôtellerie, Yamo est déjà chargé de la décoration d'un établissement. « Ils ne veulent pas dupliquer bêtement, précise-t-il. Il y a une démarche pour entreprendre chaque site selon son environnement, le milieu architectural et les spécificités locales. Ils en ont conscience dans le groupe et c'est une excellente chose ». Il relève la même approche pour le second commanditaire qui lui a confié le nouveau design de son réseau de boutiques : « Nous avons convenu de tenir compte du milieu. Si la boutique est au bas d'un immeuble rococo, il faut respecter son style. Idem pour une bâtisse néo-mauresque. Mais respecter ne veut pas dire suivre. Il s'agit d'intégrer harmonieusement un concept par rapport aux façades existantes. Les intérieurs, bien sûr, doivent s'aligner sur l'univers de la marque ou de l'enseigne. Il faut protéger le style architectural des lieux. L'intervention extérieure ne peut être la même au centre-ville de la capitale avec ses beaux immeubles classiques ou à Akbou avec ses spécificités. Il y a une ligne visuelle globale puis des déclinaisons au cas par cas. » La charte d'aménagement proposée a été validée au début de l'année et la première boutique relookée devrait ouvrir fin avril prochain, dans le local de la pizzeria Victor Hugo, rue Didouche Mourad à Alger acquise par l'opérateur. Le designer en tire un grand motif de satisfaction : « A ma connaissance, aucune autre charte de ce secteur en Algérie n'a été conçue par des Algériens. J'en ressens un vrai bonheur ». Yamo, qui travaille en tandem avec son épouse, Corinne, a conçu l'ensemble des éléments structurels ainsi que le mobilier. Pour cela, ils ont combiné la mise en valeur de la marque et la rentabilisation maximale des espaces. L'identité des devantures intègre des écrans plasma pour que, de l'extérieur déjà, l'information et la communication soient accessibles. Le mobilier a été envisagé pour mêler élégance, utilité et robustesse. Installé à Tunis depuis plusieurs années, Yamo espère accroître son intervention et sa présence en Algérie, en dépit des difficultés dans un pays où l'esthétique et la fonctionnalité ne sont plus des références et où il a vu avec amertume plusieurs de ses projets péricliter avant réalisation. C'est le cas de deux interventions pour des promotions immobilières d'importance dont il montre avec autant d'enthousiasme que de tristesse les plans et croquis. Pour l'instant, c'est à Tunis où on le comprend mieux, et où il donne la pleine mesure de ses capacités. Il suit actuellement la construction d'une grande demeure (photo à la une) qu'il a conçue en expérimentant de nouvelles approches. Quand on lui demande s'il travaille avec des architectes, il répond : « L'architecture est d'abord une connaissance universelle. Bien sûr, je travaille avec des spécialistes de tous les domaines. Mais j'ai entièrement conçu la maison. Le Japonais Tadoa Ando, un des plus grands architectes au monde, n'est jamais entré dans une école d'architecture. C'est un parfait autodidacte. Ceux qui ont fait Babylone ne sont pas sortis de l'EPAU que je sache, avec tout mon respect pour les éléments de valeur qui en sont sortis et que l'on ignore. » Pour la maison qu'il réalise, il s'est efforcé d'apporter une réponse exceptionnelle au site exceptionnel sur lequel elle se trouve, près de Sidi Bou-Saïd. Il est parfaitement conscient également, de la qualité de son commanditaire, un particulier tunisien « qui a une conscience du futur et veut laisser quelque chose ». De ce duo, souvent si terrible en Algérie où les maîtres d'ouvrages, publics ou privés, sont souvent désespérants pour les architectes, Yamo retient : « Il ne faut pas que le concepteur soit trop prétentieux. Mon client vit déjà en esprit dans sa maison. Quand je lui parle, je sens qu'il pétille. C'est aussi le commanditaire qui apporte une attente et une réactivité à un projet. Au départ, il voulait seulement une belle maison puis il est entré dans le challenge de faire une maison, non seulement belle, mais nouvelle, originale, intelligente ». Ainsi est née l'idée de cette maison aux formes élancées, toute en légèreté et mouvement, empreinte de l'inspiration fondamentale de Yamo—dans ses décors, ses mobiliers ou objets—, pour le monde maritime où il a grandi, toujours passionné de pêche sous-marine. De ses courbes en coque de barque renversée, il s'amuse : « J'ai bien envie de la nommer furtive house, car même avec Google Earth, on ne la verra pas. Du sol, elle est visible mais avec élégance et discrétion. Le fait d'être un peu cachée la rend plus désirable à voir, comme une femme qui sait se mettre en valeur. Elle va entrainer la séduction et susciter la réflexion. » Ce jeu de formes et de beauté, cette fantaisie même, s'appuient sur une approche très sérieuse de maison passive, d'économie d'énergie, de connivence avec la nature. En se concentrant sur les formes, « morphologiques, puisées de la nature », Yamo a étudié les phénomènes de déperdition et de compensation d'énergies, l'isolation par le végétal et l'aérodynamisme qui, en hiver, fait glisser sur les façades les vents du nord et leur froidure et en été les remontées d'air chaud. Une véritable œuvre qui combine l'art et ses beautés, la science et ses savoirs, la culture et ses valeurs et les techniques et leurs utilités. En somme, toute la définition du design.