L'Algérie inquiète. L'ambiance crépusculaire de fin de règne qui prévaut dans le pays est en effet alourdie par les difficultés que rencontre une économie «pétro-maniaque», avec sa dépendance aux exportations de brut et de gaz, alors que les cours ne finissent pas de rester bas. Pourtant l'expert international, et ancien ministre délégué chargé des privatisations, Abderrahmane Mebtoul veut rester optimiste. Etat des lieux de l'économie algérienne pour le Point Afrique. Le Point Afrique : Avec un Brent qui a pu passer de 100 dollars en juillet 2014 à moins de 35 dollars en janvier 2016, quels sont les impacts de la chute du prix du pétrole (et du gaz indexé) sur l'économie algérienne ? Abderrahmane Mebtoul : Un chiffre résume bien cet impact : une baisse en moyenne annuelle d'un dollar du cours du pétrole représente un manque à gagner d'environ 700/600 millions de dollars. Le pays est dépendant des hydrocarbures qui représentent 95% des exportations, et 98% si on inclut les dérivés d'hydrocarbures. Avec cette chute des cours, les exportations de ces matières ont été de 34 milliards de dollars en 2015 contre 57 en 2014. Les importations de biens et services dépassent les 60 milliards de dollars pour la même année. L'Algérie vit donc sur ses réserves de changes. Or celles-ci fondent comme neige au ciel : elles sont passées, selon le FMI, de 192 milliards de dollars à 143 milliards de dollars fin 2015. Si la situation perdure, du fait du déficit budgétaire important en 2016, (plus de 36 milliards de dollars), le Fonds de régulation des recettes risque de s'épuiser courant 2017 et les réserves de change entre 2018/2019. La Russie a par exemple besoin d'un baril à 110 dollars pour boucler son budget, l'Iran à 140 dollars et l'Algérie à 120 dollars. Mais à la différence de la crise de 1986 qui a conduit à la cessation de paiement en 1994, l'Algérie possède des réserves de change encore appréciables, et une dette extérieure inférieure à 4 milliards de dollars. Elle doit donc utiliser ce cours laps de temps pour faire les réformes nécessaires à son économie. Avant d'aborder ces réformes, comment expliquez-vous cette chute des prix ? Est-elle conjoncturelle, économique, géopolitique ? Sur le plan de la demande, nous assistons à une récession de l'économie mondiale, avec le ralentissement des pays émergents, Brésil, Inde, mais surtout la Chine. Il y a aussi le retour de l'Iran sur ce marché des hydrocarbures avec la levée de l'embargo. Une mutation du modèle mondial de consommation énergétique a lieu aussi dans la lignée de la Cop21. Ensuite la production augmente au plan mondial, avec notamment l'introduction du gaz et pétrole de schiste américain qui bouleverse la carte énergétique mondiale mais aussi avec la découverte d'immenses gisements en Méditerranée orientale. L'Afrique n'est pas en reste puisque un pays comme le Mozambique pourrait par exemple devenir le troisième réservoir d'or noir du continent début 2017. Des pays producteurs, tels la Libye ou l'Irak, sont aussi de retour sur le marché. Politiquement, la rivalité Arabie saoudite-Iran joue également au sein de l'OPEP. Ces rivalités géostratégiques mettent à mal certains pays, tels la Russie, l'Iran, mais également par ricochet l'Algérie. Pensez-vous que cette situation, et les mesures d'austérité qu'elle entraîne, pourrait aboutir à des heurts sociaux ? Les leçons du contre choc pétrolier de 1985 qui avait vu le pays sombrer dans de vives tensions sociales en 1988 semblent avoir été retenues. Les Algériens sont mieux armés pour faire face aux différentes augmentations décidées dans la Loi de Finances de 2016. L'épargne des foyers algériens par exemple n'a jamais été aussi importante, ce qui permet aux ménages de tenir face à ces augmentations. Je ne crois pas que le pays replongera dans des émeutes sociales comme en 1988. Mais il a un répit de trois années. L'Etat algérien prend des mesures aussi et lancera par exemple en avril un emprunt obligataire de l'Etat. Cet emprunt devrait être exclusivement dédié à l'investissement économique. Il a aussi pour but de combler le déficit budgétaire. Cette chute des prix ne remet-elle pas en question le modèle politique, social et économique algérien basé sur l'exportation « monomaniaque » d'hydrocarbures ? Oui, d'autant que cette manne énergétique n'est pas sans fin. On assiste véritablement à une crise qui marque la fin d'un certain modèle économique et industriel. Selon les estimations officielles, les réserves de pétrole sont d'environ 10 milliards de barils et celle du gaz de 2 700 milliards de mètres cubes. La part du marché principal, l'Europe, est passée de 14% à 8% en 2014. L'Algérie est en effet fortement concurrencée par Gazprom et par le Qatar. Plus encore, à moins de découvertes de nouveaux gisements, avec son rythme d'exportation et sa forte consommation intérieure, le pays risque de se retrouver sans gaz et pétrole à l'horizon de 2030, date à laquelle le pays comptera 50 millions d'habitants. C'est dans ce cadre que l'Etat a décidé d'investir dans les énergies renouvelables qui doivent couvrir à l'horizon 2030 40% des besoins de la consommation intérieure d'électricité. Cette crise oblige à passer d'un modèle économique construit sur une énergie essentiellement fossile, polluante, abondante et peu chère à une énergie renouvelable, rare, chère et moins polluante. Il nous faut à terme remplacer ces énergies de stock (pétrole, gaz, uranium) par des énergies de flux (solaire et éolienne). L'Algérie doit relever le défi de l'énergie solaire avec des investissements adéquats au Sahara par exemple. L'énergie est une question économique mais aussi politique car elle est au cœur de la souveraineté des Etats et de la sécurité. Est-ce aussi la remise en question d'un système de rente et de redistribution par d'importantes subventions ? La question qui se pose avec la baisse des recettes de la Sonatrach (l'entreprise publique algérienne qui exploite les hydrocarbures et qui est aussi la première entreprise d'Afrique ndlr) est de savoir si l'Etat pourra continuer sa politique de subventions généralisées et non ciblées, source de gaspillage et d'injustice sociale. Le gouvernement achète ainsi la paix sociale mais sans que cela profite concrètement à l'économie algérienne. Les transferts sociaux représenteront, selon la loi de finances 2016, 23% du budget de l'Etat. Plus largement, en Algérie, le blocage est d'ordre systémique. Certains hommes d'affaires, très liés au pouvoir, vivent de cette économie de l'importation. Ils n'ont donc pas intérêt à ce que l'économie s'ouvre et se diversifie. Quels autres changements profonds préconisez-vous ? Les ajustements économiques et sociaux à venir seront douloureux, impliquant un discours de vérité. L'Algérie doit profiter de sa relative aisance financière, d'une dette faible pour optimaliser ses réserves de changes. Il faut transformer cela en richesses réelles et libérer les énergies créatrices. Il faut faire cette transition difficile d'une économie basée sur les exportations d'hydrocarbures à une économie hors hydrocarbures. C'est un court répit. Il faut mettre fin à ce cancer de l'économie de la rente qui se diffuse dans toute la société à coup de subventions généralisées qui décourage l'appareil productif. Il faut aussi que cesse cette concentration excessive du revenu national au profit d'une minorité rentière, une corruption socialisée qui menace la sécurité du pays. L'Algérie dispose d'une diaspora dynamique et entrepreneuse. Elle doit donc s'appuyer sur cette richesse humaine indéniable. Je plaide depuis des décennies, aussi pour une intégration régionale, avec par exemple une mutualisation des investissements militaires pour faire face aux défis sécuritaires qui menacent le Maghreb. Cette région pourrait être le pont entre l'Europe et l'Afrique, ce continent aux immenses potentialités et qui devrait tirer la croissance de l'économie mondiale à l'horizon 2030/2040. Pour cela, il faut dépasser les vieilles querelles entre Alger et Rabat par exemple. L'Algérie est un pays pivot : sa déstabilisation aurait une onde de choc qui toucherait tout le Maghreb, mas également l'Afrique et bien sûr l'Europe et en premier lieu la France. Si la crise syrienne a été une gageure pour l'Europe, elle n'est pourtant rien en comparaison de ce qui se passerait si l'Algérie sombrait, avec une masse potentielle de réfugiés autrement plus importante. Mais ce pays a les potentialités pour surmonter cette phase difficile. Cela suppose un réaménagement de la logique du pouvoir algérien au profit des couches réformistes, qui repose actuellement sur des couches rentières destructrices des richesses. A ces conditions, l'Algérie pourra contribuer à la stabilité de la région euro-méditerranéenne et africaine. Source afrique.lepoint.fr