Un câble secret et un représentant du gouvernement néerlandais confirment que la guerre menée par l'Arabie saoudite au Yémen est en partie motivée par l'illusion ambitieuse américaine d'un pipeline Les forces aériennes saoudiennes ont systématiquement bombardé des infrastructures civiles en violation flagrante des règles humanitaires internationales. La fuite d'un rapport officiel de l'ONU, destiné au Conseil de Sécurité, nous apprend que les Saoudiens « ont mené des frappes aériennes visant civils et bâtiments publics... y compris des camps de réfugiés et de déplacés, des rassemblements tels que des mariages ; des véhicules, bus, zones résidentielles, services médicaux, écoles, mosquées, marchés, usines, entrepôts alimentaires et autres infrastructures civiles, dont l'aéroport de Sanaa, le port de Al Hudaydah et les axes routiers.» Des bombes à fragmentation de fabrication américaine ont été lâchées sur des zones résidentielles – un acte dont le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a timidement admis qu'il « pourrait être assimilé à un crime de guerre. » Les gouvernements américain et britannique qui fournissent à l'Arabie saoudite des armes destinées à être déversées sur des civils yéménites font semblant de ne pas être impliqués dans la guerre, de ne pas être responsables des crimes de guerre de leur allié saoudien. Un porte-parole du ministère de la Défense britannique a insisté sur le fait que les forces engagées «ne dispensaient que des conseils techniques. Le personnel militaire britannique n'est pas directement impliqué dans les opérations menées par la coalition sous commandement saoudien.» Mais ce sont des paroles en l'air, étant donné la récente révélation du ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al-Jubeir, selon laquelle des militaires britanniques et américains travaillent «dans le centre de contrôle et de commandement pour les frappes aériennes saoudiennes au Yémen.» En tout état de cause, les dirigeants civilisés du monde libre ont une vue d'ensemble privilégiée des crimes de guerre systémiques de l'armée saoudienne au Yémen – et il semble qu'ils approuvent. Ainsi, les objectifs de la coalition menée par les Saoudiens sont obscurs. Il est largement reconnu que la guerre a principalement des dynamiques géopolitiques et sectaires. Les Saoudiens craignent que la montée des Houthis indique l'influence grandissante de l'Iran au Yémen. Avec l'Iran actif en Syrie, en Irak et au Liban, l'Arabie saoudite voit la rébellion houthi comme une autre composante de cette stratégie d'encerclement de forces mandatées par l'Iran. Cette situation est aggravée par l'accord sur le nucléaire iranien soutenu par les Etats-Unis, accord qui ouvre la voie à l'intégration de l'Iran aux marchés mondiaux, l'ouverture de ses secteurs pétroliers et gaziers sous-développés, et sa consolidation en tant que puissance régionale. Mais ce récit ne reflète que partiellement la situation. Quoique les contacts de l'Iran avec les Houthis sont incontestables, avant la campagne aérienne saoudienne, les Houthis ont acquis la plupart de leurs armes de deux sources: le marché noir et l'ex-président Ali Abdullah Saleh. Les officiers de renseignement américains confirment que l'Iran a explicitement averti les Houthis de ne pas attaquer la capitale du Yémen l'année dernière. «Notre évaluation demeure que l'Iran n'exerce pas de commandement ou de contrôle sur les Houthis au Yémen, » avait dit Bernadette Meehan, la porte-parole du Conseil National de Sécurité de la Maison-Blanche. Selon l'ancien envoyé spécial des Nations unies au Yémen, Jamal Benomar, les frappes aériennes saoudiennes sabotent l'accord de paix imminent qui aurait conduit à une entente pour le partage de pouvoir entre les 12 groupes tribaux et politiques rivaux. «Lorsque cette campagne a commencé, un élément important, mais passé inaperçu, est que les Yéménites étaient près de conclure un accord qui aurait institué un partage de pouvoir entre toutes les parties, y compris les Houthis, » a dit Benomar au Wall Street Journal. Il n'était pas question alors de l'Iran. Les Saoudiens, et semble-t-il les Américains et les Britanniques, ne voulaient pas voir une véritable transition vers un Yémen démocratique. En effet, les Etats-Unis sont ouvertement opposés à la démocratisation de la région du Golfe en son entier, déterminés à stabiliser le flux de pétrole du Golfe sur les marchés mondiaux. En mars 2015, le consultant Anthony Cordesman, spécialiste de l'armée américaine et de l'OTAN du Centre d'études stratégiques et internationales basé à Washington, expliquait que : «le Yémen a une importance stratégique pour les Etats-Unis, comme l'est la stabilité de l'Arabie saoudite pour tous les pays du Golfe. En dépit de tous les discours sur «l'indépendance» énergétique américaine, la réalité reste bien différente. L'augmentation des carburants dérivés du pétrole et alternatifs en dehors du Golfe n'a pas modifié son importance stratégique pour l'économie américaine et mondiale... Le Yémen n'a pas la même importance stratégique que le Golfe, mais il est toujours d'une grande importance pour la stabilité de l'Arabie saoudite et de la péninsule arabique. » En d'autres termes, la guerre au Yémen a pour objectif de protéger pour l'Occident son principal Etat voyou du Golfe, pour que le pétrole continue de couler à flots. Cordesman continue en notant : « Le territoire du Yémen et ses îles jouent un rôle crucial dans la sécurité d'un autre point de passage obligé à l'extrémité du sud-est de la mer Rouge appelé le Bab el-Mandab ou porte des lamentations.» Le détroit de Bab el-Mandeb est «un passage obligé entre la corne de l'Afrique et le Moyen-Orient, et c'est une connexion stratégique entre la mer méditerranée et l'océan Indien,» transportant plus d'exportations du golfe Persique que le canal de Suez et l'oléoduc Suez-Méditerranée (SUMED). «Toute présence maritime ou aérienne hostile au Yémen pourrait menacer l'ensemble du trafic par le canal de Suez,» ajoute Cordesman, «de même qu'un débit journalier de pétrole et produits pétroliers que l'EIA (Département de l'Energie des Etats-Unis) estime avoir augmenté de 2,9 millions de barils par jour à 3,8 en 2013».