Ils sont six, comme... les cinq doigts d'une main plus un. Ils se sont attelés il y a près d'une année de cela à aller guetter les similitudes entre l'Algérie et Cuba, et celle-ci étaient si nombreuses, que dans certains cas, bien des photos prises à Cuba prêtaient à confusion pour le public nombreux venu voir une très belle exposition de photos et d'arts plastiques au Bardo Museum. Sous l'intitulé «Tropique du Cancer», cette exposition a été inaugurée le 5 mai 2016 et se tiendra jusqu'au 5 juin si elle n'est pas prolongée. Il faut dire que cet opus est l'acte II d'un premier opus avorté en décembre à la Villa Abdellatif pour des raisons éditoriales. Qu'à cela ne tienne. Cette fois le noyau principal de cette action mécène initiée par l'artiste photographe Karim Abdesselam propose au public le résultat d'un séjour organisé à Cuba et à Trinidad avec quelques escales à Cienfuegos. Le principe était d'aller sur la base d'un manifeste à observer la concomitance qui relie indéniablement les deux pays, et en un seul mot : Révolution. Avec trois questions posées, à quoi sert cet «héritage révolutionnaire» à l'heure actuelle ? Et aussi quelles sont les valeurs motrices de nos sociétés respectives ? Quelles sont les nouvelles tendances si elles existent ? Cela a été en substance le but de la démarche de ces artistes que sont Karim Abdesselam photographe voyageur, Amazigh Kateb chanteur musicien agitateur, Jaoudet Gassouma, écrivain et plasticien, Halim Zenati photographe voyageur aussi, Barbara Coello photographe et économiste, Souad Douibi, performeuse et plasticienne, Ariel Arias photographe témoin de son histoire. Cet aréopage d'artistes éclairés s'est constitué à l'origine l'année dernière, il ne s'agit pas de simples clowns agitateurs qui se mettent dans la tendance qui est de rejoindre le bataillon des curieux emplis d'images de cigares, de voitures brillantes, de mojitos et de belles pépées. La question est plus profonde, elle a d'ailleurs fait exploser en vol quelques artistes sollicités au début de l'aventure. La portée d'un manifeste artistique étant bien plus large que les simples ambitions plastiques de quelques laissés- pour compte de l'art... Il s'agit donc pour ce noyaux de porter des réflexions artistiques de l'époque à l'aune de ces bouleversements fondamentaux que l'on voit au nord du Tropique du Cancer, en Algérie, et au sud de ce même Tropique, à Cuba. Le résultat a d'abord été un travail ardu et sublime de la part d'Amazigh Kateb, en compagnie de musiciens cubains inscrits dans la tendance « Kongo music » et dont la continuité s'est faite sur Ivry en compagnie d'autres musiciens cubains et latinos. Cela a déjà donné ses fruits par un concert donné le 7 avril dernier sur Ivry et qui sera suivi par quelques bonnes dates en Algérie, d'ici quelques semaines. Inutile de dire au public algérien qu'il aura ensuite une perle entre les mains à travers «Kongo Gnawa» mené par Amazigh Kateb en compagnie de quelques magiciens des notes venus des Caraïbes. L'exposition inscrite au Bardo reste un exemple du genre par la sensationnelle générosité de la Conservatrice du Bardo Museum qui, en compagnie de son équipe entière, a laissé aux collectif les murs de cette superbe bâtisse pour une exposition de photos, de dessins et d'arts plastiques qui arrivent en fait au chiffre de quelques 210 travaux exposés. L'artiste Jaoudet Gassouma propose aux regards un questionnement sur quelques 44 travaux, en noir et blanc et en couleurs sur cette similitude entre Alger et la vieille Havane. Pour Karim Abdesselam, le voisin de box, il s'agit d'une poupée trouvée sur place et mise en scène par ses soins, constituant un fil rouge de cette aventure photo très pertinente qui laisse aussi place à un superbe mur d'images fortes, très colorées prises un peu sur le vif et d'une esthétisme omniprésent. Il faut dire que ce collectif s'est attelé sur le principe de créer son propre espace d'exposition sans altérer les espaces propres du musée, une scénographie assurée de main de maître par une fine équipe de techniciens, «Jimmy», Samir et Noureddine, menés par Mohamed Babaci, excellent scénographe. Pour cette fois, les cimaises se sont fait oublier au bénéfice d'une monstration efficace qui ne porte pas atteinte aux lieux par des box conçus et montés sur place. C'est donc un public nombreux et régulier qui visite cette exposition aussi portée par la plasticienne Souad Douibi qui a réalisé aussi une formidable performance grimée, le visage doré en cubaine avec cigare et costume original pour une déambulation au centre ville qui a fait sensation, elle présente une série de travaux peints et de photos très pertinentes, l'esthétique adossée à un message clair, miss Douibi reste une artiste d'une redoutable efficacité. Pour Halim Zenati dit le «Z'naïki», il s'agit d'une présentation de nombreux clichés pris in-vivo à la Havane avec force de photos brutes de décoffrage. Ce plasticien habitué aux latitudes latines laisse son talent se promener sur les aubes subtiles et les crépuscules secrets de la vieille Havane, le résultat est tout simplement très bon. Pour Ariel Arias, photographe cubain installé à Paris, il s'agit d'un ensemble de travaux d'une qualité exceptionnelle, fait de scènes du quotidien, d'instantanés qui fixent pour l'éternité cette Cuba si fantasmée. Arias connait son job, il sursature ses scènes et réalise ainsi des passerelles entre la technique et l'art qui gardent intactes tout son talent de photographe de l'humain en premier lieu. Intéressant personnage même dans son discours sur le quotidien, Barbara Coello, Espagnole, Française, installée à Washington, elle signe une très belle exposition glanée dans se pérégrinations latines et caribéennes, entre Cuba, Haïti, la Bolivie et tant d'autre étapes sud-américaines, elle est invitée par le collectif du Tropique après une rencontre à Cuba. Cette aventure photographique donne une très belle série de photos aux tonalités un peu tabac, kakis et marrons tendres pour des travaux d'une rare qualité à l'unité de valeurs qui donnent un style spécifique. Ses images, restent d'une qualité toute en force et en finesse en même temps, le tout très apprécié du public. «Tropique du Cancer» est donc un évènement original dans le paysage artistique algérien avec toujours de nouveaux questionnements d'ordre esthétique et socio-politique, avec la problématique du mécénat.Voilà un bel exemple de cette nouvelle Algérie qui bouge et qui fera germer inévitablement une «movida» à l'Algérienne, d'aucuns ont dit, une «moufida» à l'Algérienne, pourquoi-pas; la visite en tout cas au Bardo est impérative. Exposition, de photos et arts plastiques. «Tropique du Cancer», Bardo Museum, du 5 mai au 5 juin 2016, avec les artistes, Karim Abdesselam, Halim Zenati, Souad Douibi, Jaoudet Gassouma, Ariel Arias, Barbara Coello, coordination générale Nazim Allem.