L'influence sur l'œuvre de Miguel de Cervantès (1547-1616) et sa vision du monde forgée par sa captivité à Alger a été au centre d'un colloque international clos dimanche à Alger après deux jours de débat sur le plus célèbre des écrivains ibériques. Spécialistes en littérature, historiens et autres universitaires ont évoqué le contexte historique, politique et religieux de la Méditerranée du XIe siècle à partir de l'expérience de la captivité de Cervantès, tout en décelant dans cette dernière les raisons de la «modernité» de son œuvre. Fait prisonnier en mer par des corsaires en 1575 avec son frère Rodrigo, Cervantès passera cinq années à Alger, alors sous la Régence ottomane. Il y fera quatre tentatives d'évasion dont une qui le conduira à se réfugier avec ses compagnons dans la célèbre grotte, située sur les hauteurs de l'actuel quartier de Belouizdad et qui porte toujours son nom. Cette condition de captif et les écrits qu'elle a inspirés à Cervantès a permis aux historiens d'analyser les particularités du pouvoir politique et militaire de la Régence d'Alger, le «cosmopolitisme» de sa population, ou encore les enjeux économiques de cette époque marquée par la guerre contre le Royaume d'Espagne et de conquête des Amériques. D'autres interventions, à l'exemple de celle d'Emilio Sola Castano (Espagne) ont fait le lien entre la «modernité» des écrits de Cervantès et la formation d'une «bourgeoisie»- incarnée par les «renégats», ou corsaires de diverses origines européennes convertis à l'Islam, et dont l'écrivain a été le témoin. Outre ces éclairages historiques, les intervenants à ce colloque, organisé par l'Institut Cervantès d'Alger et l'ambassade d'Espagne en Algérie, ont également proposé une approche de l'œuvre davantage centrée sur des aspects biographiques de la vie de Cervantès et sur «l'expérience humaine» de sa captivité, acquise auprès de diverses populations rencontrées à Alger. Analysant les différentes biographies de Cervantès écrites entre le XVIIIe et le XIXe siècle, le spécialiste en littérature médiévale, José Manuel Lucia Megias, a, par exemple, évoqué les «zones d'ombre» dans la vie de l'écrivain et la construction d'un «mythe Cervantès» dans ces biographies, notamment à cause de l'influence du succès de son œuvre littéraire sur leurs auteurs. L'universitaire chilienne Isabel Soler a, pour sa part, considéré que les années algéroises de Cervantès ont «changé sa vision du monde» à travers ses relations humaines et rencontres (Janissaires, populations maures ou juives expulsés d'Espagne après la chute de Grenade en 1492, compagnons de captivité, etc.).