Tokyo et Séoul redoutent que le président républicain désengage son pays face à la Chine. En Asie, l'élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis est essentiellement vue à l'aune de possibles évolutions de la politique américaine dans la région face à la Chine. Dans ce pays existe, en effet, un paradoxe Trump. Plus le candidat républicain semblait s'en prendre à la Chine – pour «voler» les emplois américains –, plus il semblait populaire. Pour l'appareil de propagande chinois, Donald Trump a réussi à légitimer le discours en faveur d'un régime fort à force d'écorner l'image de la démocratie américaine. Les médias, dès mercredi 9 novembre, ont embrayé sur ce thème malgré la crainte, chez certains analystes, de «l'imprévisibilité» de Trump. Hillary Clinton, elle, était «lisible» pour la direction chinoise. Le phénomène Trump a aussi semblé assouvir un désir de populisme et de «parler vrai» dans le pays de la langue de bois. Mais dans certains segments de la population, il demeure le pire choix. Mme Clinton était celle sur qui comptait une mouvance prodémocratie brimée pour tenir tête au président Xi Jinping et à son régime liberticide. Elle l'avait prouvé dès son discours à Pékin sur les droits des femmes de 1995, qui fut un déclic pour nombre de militants puis, en 2012, en donnant son accord à l'exfiltration du dissident aveugle Chen Guangcheng. En septembre 2015, la candidate avait publié ce Tweet très applaudi : «Xi hôte d'une réunion sur les droits des femmes à l'ONU tout en persécutant des féministes ? Quelle honte !» A Tokyo comme à Séoul, c'est l'amertume teintée d'inquiétude. Les deux principaux alliés des Etats-Unis en Asie de l'est espéraient une victoire d'Hillary Clinton. La démocrate souhaitait poursuivre la diplomatie de Barack Obama, axée notamment sur le renforcement des liens sécuritaires avec eux, face au puissant voisin chinois et à la menace nord-coréenne. Dans ces deux pays, le taux de soutien à Donald Trump ne dépassait pas 10 %. «Etablir une relation de confiance» Sa victoire ouvre une «période d'incertitude», pour reprendre les propos de l'entourage du premier ministre japonais, Shinzo Abe, lequel a assuré, «les Etats-Unis [étant] le plus important allié du Japon», qu'il fallait «établir au plus vite une relation de confiance avec la nouvelle administration». Pendant la campagne, le candidat républicain a fortement remis en question les alliances militaires conclues par Washington. D'après lui, les alliés des Américains «ne paient quasi rien de ce que coûte» le soutien militaire de son pays. Or, le Japon verse chaque année près de 500 milliards de yens (4,5 milliards d'euros), environ 10 % de son budget de défense, en contribution au financement des bases américaines. Cette question se pose également en Corée du Sud, où la présidence a réuni son conseil de sécurité nationale pour discuter du résultat de l'élection américaine. Les réactions dans la région vont refléter la désunion traditionnelle des pays de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est. Avant l'élection, le seul dirigeant à avoir pris position était l'homme fort du Cambodge, le très autoritaire premier ministre, Hun Sen, à qui Barack Obama avait fait des leçons de démocratie dans le passé : « Si Trump gagne, a dit Hun Sen quelques jours avant le scrutin, le monde pourrait changer, et la situation [internationale] va s'améliorer parce que Trump est un homme d'affaires et, en tant qu'homme d'affaires, Trump ne voudra pas la guerre. » Inquiétude au Vietnam Tel ne sera évidemment pas l'avis d'Aung San Suu Kyi, l'ex-icône birmane de la démocratie, désormais de facto dirigeante du pays. Elle était devenue très proche d'Hillary Clinton, qui s'était rendue en visite officielle en Birmanie fin 2011, quand Mme Suu Kyi était encore chef de l'opposition. Enfin, une victoire de M. Trump n'arrange pas les Vietnamiens, qui ont accueilli Barack Obama dans l'allégresse en mai. Hanoï s'inquiète de la prise de contrôle par la Chine d'îlots contestés en mer de Chine méridionale et compte sur le rapprochement diplomatique avec les Etats-Unis pour contrebalancer la montée en puissance de Pékin dans la région. L'élection de Donald Trump va être un séisme pour le monde Le candidat républicain a fondé sa campagne sur la promesse de «rendre sa grandeur à l'Amérique». Quelles conséquences pour le reste du monde ? Si le vote pour le Brexit, le 23 juin, a été un séisme pour l'Union européenne, l'élection de Donald Trump à la tête des Etats-Unis, première puissance militaire, est un séisme pour le monde. Le candidat républicain a fondé sa campagne sur la promesse de «rendre sa grandeur à l'Amérique». Cette grandeur, cependant, ne s'entend pas par la projection de la puissance américaine à l'extérieur, mais plutôt sur une priorité donnée au retour du bien-être et de la prospérité des Américains chez eux. Le pays «est en ruines», dit M. Trump, il faut commencer par le reconstruire. Pour le reste du monde, cela donne un signal de repli et d'isolationnisme. On sait, en réalité, assez peu de chose sur le programme concret de Donald Trump en politique étrangère car ses conseillers dans ce domaine sont peu connus ; l'establishment washingtonien et le petit monde des think tanks spécialisés dans les relations internationales, qui conseillent habituellement les candidats en politique étrangère, se sont tenus à distance de lui et de ses vues peu orthodoxes.