Les évacuations de centaines d'hommes d'Alep-Est, dans des camions arborant le portrait officiel d'Assad, rappellent la tragédie de Srebrenica, souligne l'écrivaine, réalisatrice et journaliste Sylvie Matton. Depuis des semaines, les commentaires médiatiques et politiques annoncent, à leur manière, le sacrifice inéluctable de la population d'Alep, martyrisée depuis cinq ans. Aux victimes syriennes depuis 2012, et notamment à celles d'Alep, affamées et torturées sous un déluge de feu depuis la mi-novembre, peu importe de savoir si ce que le pouvoir de Bachar Al-Assad leur fait subir est un génocide, un crime contre l'humanité ou un crime de guerre. C'est la même barbarie, les mêmes meurtres et terreurs, les mêmes pilonnages d'hôpitaux, les mêmes bombes incendiaires, largages de barils d'explosifs sur les habitations ou attaques au chlore — la fameuse ligne rouge à prétendument ne pas franchir, dixit Barack Obama — qui les anéantissent. Même refus de les évacuer, même blocage de convois humanitaires. La seule différence d'importance aurait concerné le génocide : si les crimes commis par Bachar Al-Assad contre sa population avaient été définis comme tels il y a presque cinq ans, les Etats membres des Nations unies (ONU) auraient eu l'obligation de l'empêcher d'agir par tous les moyens, dont la force. Mais les «rebelles», soit la population s'opposant au régime et visée par Assad, appartiennent à une catégorie qui n'intègre pas, dans la Convention onusienne de décembre 1948 pour «la prévention et la répression du génocide», la liste des groupes («national, ethnique, racial ou religieux») pouvant être reconnus comme agressés et menacés de destruction «en tout ou en partie» – le terme «politique» ayant été gommé du texte initial, à la demande de Staline. Sarajevo, Srebrenica, Guernica Il n'en demeure pas moins que les crimes perpétrés en Syrie depuis 2012 sur ordre du président syrien par les forces loyalistes sont bien des crimes contre l'humanité. Et, sans les vetos de la Russie et de la Chine au Conseil de sécurité de l'ONU, des résolutions proposées auraient été votées, contraignant Assad à ne plus s'accrocher au pouvoir au prix de l'extermination d'une partie de son peuple. Mais comment imaginer, dans ce contexte, que le président sanguinaire puisse un jour être jugé pour ses crimes par la Cour pénale internationale ou tout autre tribunal ayant compétence à le juger – de même que son complice russe qui, bombardant Alep avec ses chasseurs depuis la mi-novembre, use régulièrement de son droit de veto ? Le génocide bosniaque, perpétré en Europe entre 1992 et 1995 semble être devenu, vingt ans plus tard, une référence morale pour les politiques et les diplomates. Ainsi, certains d'entre eux exprimaient-ils déjà leurs craintes, en forme d'indignation, au début des attaques des forces loyalistes contre les «rebelles» dès le printemps 2012 : «Nous ne laisserons pas un nouveau Srebrenica se reproduire !» Alerte ou anticipation ? A présent que les populations d'Alep-Est, asphyxiées sous les bombardements, fuient vers les territoires tenus par les forces d'Assad, de nouveaux mots-chocs sont prononcés : le pilonnage sans répit de ces quartiers rappellerait celui de Sarajevo, et le massacre de la population celui de Guernica...