D'emblée une aura de lumière émerge sur la gauche, ambiance extatique, un peu martienne. Public serein et espace vaste pour une série de travaux estampillés «Alger, je te vois !» Avec pareil titre générique, comment ne pas deviner qu'il s'agit de ce gentilhomme aux favoris grisonnants qu'est Rachid Djemaï Sur plus de vingt travaux aux formats divers, entre sous-verres, toiles, objets montés et sculptures atypiques, le plasticien vient rencontrer son public dans une superbe galerie qui vient enrichir le paysage culturel algérien. A Dely-Brahim, dans une rue passante, pas très loin du Bois des Cars. Nous avons affaire dans cette exposition à un Rachid Djemaï en pleine forme artistique qui nous donne en pâture ses allants inspirés il y a longtemps de ses poussées impressionnistes, transfigurées ensuite en de vagues scènes bucoliques, urbaines, agrémentées de notes virulentes de couleurs, de personnages fantomatiques ou pas, de figures de fer, de céramique ou de lumières, tentatives de recherches qui se soldent par quelques attitudes plastiques intéressantes. Le plasticien dans ses élaborations, de bois, de fer et de feu a le mérite ultime de connaître même les formules chimiques des matières qu'il entreprend. Des scènes urbaines, on ressent des impressions fugaces de vitesse, la couleur est floutée sciemment, elle arpente des pistes techniques difficiles, Rachid réussit le pari de nous faire partager son talent sur des paysages urbains qu'il dessine avec une fantomatique inspiration impressionniste qui passe par le prisme d'un séjour américain entrepris il y a longtemps et qui transfigure cet héritage de Manet et les autres vers des compositions libres, provocantes par leur aspect iconoclaste, qui donne des motifs d'intérieurs, des natures mortes inédites où l'oiseau mythique El-Meqnine habite discrètement pour identifier l'algérianisé de la scène, la marquer du sceau algérois en appoint avec le chat et la dame en blanc qui peuple les différents «haïk» fait de toile, de fer et de minéraux, traduisant ainsi les différentes matières qui font de nos femmes non seulement des héroïnes au quotidien, mais qui les place ainsi dans un univers esthétique, en rendant hommage d'une manière aussi rugueuse que souple à ce qu'elles sont, des éléments essentiels inscrits dans l'humanité de chacun de nous. Rachid Djemaï assume sa grande influence des artistes américains découverts lors de son séjour à San Francisco, mais cette influence est établie puisqu'il n'y a pas de doute qu'il les a tout simplement côtoyés ces artistes. Cependant, Rachid Djemaï, nous «explique» dans ses dernières œuvres d'«Alger, je te vois !» ses compositions géométriques audacieuses, ses plans horizontaux à la limite gênants, ses structures et compositions à la limite du minimalisme japonais et ses suggestions dessinées qui vont à l'essentiel en évitant justement d'omettre cet essentiel. Entre brumes grisâtres et sfumatos subtils, il appuie un effet, laisse un autre se débrouiller seul. Colore, épure, compose, casse ses compositions, l'on se demande alors pourquoi et comment Rachid Djemaï, plasticien facétieux, aussi classique dans son esprit qu'il est contemporain dans ses travaux s'amuse à ne jamais nous dire la vérité dans ses propos !? Quand sa peinture - elle - est fondamentalement diseuse de bonne vérité... Il est probable alors que cet artiste attachant, toujours prolixe en bons mots et finesses verbales nous laisse sur le qui-vive d'une curiosité avide de bon sens et de logique discursive. Saurons-nous, un jour, le nom de cette femme emblématique qui se voile dans ses secrets ? Est-ce la mère, l'amante ou la copine jamais dénudée !? Qui peut le dire !? Même Rachid Djemaï n'a pas la réponse qui se trouve au fin-fond de ces masses souvent immenses qu'il peint dans un savoir-faire insolent. C'est donc à un jeu de piste que l'artiste nous convie, entre papier et toiles sur les îlots fabuleux que sont «Feuillus», «Punica Granatum», «Composition de 1 à 9», «Paysage», « La traversée», «HJ01», «La mère, l'enfant et le prédateur» ; «Silhouette horizontale »...toujours sur le fil du rasoir, il réussit dans un assemblage d'œuvres diverses à nous mener à bon port, vers des destinations artistiques de talent à découvrir à tout prix pour se régaler de bonnes ondes plastiques à la «Seen Art Gallery » jusqu'au 7 janvier prochain. * «Alger, je te vois », Exposition de Rachid Djemaï, peintures, sculptures, installations, du 9 décembre 2016 au 7 janvier 2017, à la « Seen Art Gallery », sise au 156 Lotissement El-Bina, Dely Brahim, Alger, Entrée libre, renseignements au O540 45 09 45.