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La déportation des anarchistes français à la ferme de Tazrout à Ténès
Publié dans La Nouvelle République le 18 - 06 - 2018

Lorsqu'il se rend en Algérie pour la première fois en 1885, Elisée Reclus est déjà célèbre comme géographe, auteur de la monumentale Nouvelle Géographie Universelle, dont le tome XI, consacré à l'Afrique du Nord, vient de paraître, mais aussi comme «pape des anarchistes», celui que la prison en Bretagne puis le bannissement en Suisse, après son arrestation, les armes à la main, lors d'une sortie de son bataillon à Châtillon en 1871, pendant la Commune, n'ont pas détourné, bien au contraire, de ses convictions libertaires.
Il va en effet les enrichir en fréquentant les «anciens» comme Bakounine, qui sera son ami jusqu'à sa mort, et les développer au contact des réfugiés politiques qu'il accueille et soutient sans compter dans son refuge helvétique, tel Kropotkine.
Elisée Reclus et le fait colonial
Tous ces anarchistes s'estiment, bien sûr, concernés par la colonisation qu'ils condamnent au nom des grands principes fondateurs : «Chaque peuple a le droit d'être lui-même et personne n'a celui de lui imposer son costume, ses coutumes, ses opinions, ses lois.» Cet arrêt formulé par Bakounine sera repris sans grands changements par Elisée Reclus dans sa préface du livre de Jean Graves, anarchiste lui aussi, «Patriotisme/Colonialisme», en 1903 : «La colonisation est une conséquence du patriotisme. De ce fait, le colonial n'a d'autre objectif que de prendre soit des trésors, soit des terres et les hommes qui les peuplent, soit le pouvoir et des titres à l'avancement.» Les groupes libertaires, déjà présents à Alger à l'époque, très actifs malgré leur peu d'adhérents et leurs faibles moyens financiers, partageaient ces avis métropolitains. On comptait en leur sein de nombreux «indigènes» que l'athéisme professé par les anarchistes ne paraissait pas effrayer. C'est dire combien Elisée Reclus, lors de ses nombreux séjours dans cette ville, à l'occasion de ses voyages scientifiques ou pour rendre visite à sa famille, se trouvait bien accueilli. On lui proposait des conférences qui avaient du succès.
La ferme de Tarzout, une approche anarchiste de la colonisation ?
Mais alors comment cet homme intransigeant, sans concession sur les principes, celui qui vient d'adhérer, l'année précédente, à l'Association des indigènes, comment cet anticolonialiste avant la lettre, va-t-il pouvoir encourager et même susciter l'installation de son gendre, Paul Régnier, et de sa fille aînée, Magali, en Algérie ? Et donc, qu'on le veuille ou non, favoriser l'essor de la colonisation !
Qui était ce gendre ? Il s'agissait du second fils d'un industriel nantais, sorti major de l'Ecole centrale, et qui compléta ses études d'ingénieur par un diplôme d'architecte. C'est au cours de ces études qu'il se lia étroitement à deux condisciples qui allaient entrer rapidement dans sa famille : par l'entremise d'un certain Paul Reclus, neveu du géographe anarchiste, qui leur présentait ses charmantes cousines et favorisait deux mariages concomitants. Paul Régnier va ouvrir peu après un cabinet d'architecte à la frontière suisse mais il le fermera rapidement, l'état de santé de Magali, son épouse, s'étant dégradé.
Elle toussait sans cesse et ce symptôme évoquant à l'époque, automatiquement, la tuberculose, véritable, il prit la décision de s'installer sous un climat plus propice. Son beau-père, probablement influencé par les conceptions médicales de l'époque, lui conseilla le climat sec et ensoleillé de l'Algérie. Après avoir ouvert à Alger un nouveau cabinet d'architecte et dessiné avec son associé Redon les esquisses d'un nouvel urbanisme de la ville, Paul Régnier va être enthousiasmé par le spectacle de la côte algérienne.
Ces terres incultes, étendues aux pieds du Dahra, en une plaine étroite à égale distance de Tipasa à l'est et Mostaganem à l'ouest, sont traversées par l'oued Tarzout qui se jette dans la Méditerranée par un delta marécageux approvisionné très irrégulièrement : «oued secco» l'été, torrent ravageur lors des pluies diluviennes, imprévisibles et soudaines, fréquentes en Algérie. Les paysages lui rappelaient la Grèce visitée l'année précédente : c'était le coup de foudre. Son cabinet d'architecte fermé sans tarder il va se lancer dans l'agriculture, satisfaisant un vieux rêve. Autour d'un premier lot assez étendu vont se joindre des parcelles incultes négociées équitablement avec les indigènes alentour.
Mille cinquante hectares de terres en friche, désertes, isolées, à quarante kilomètres du port de Ténès. Un port seulement accessible par mer, les chemins broussailleux, simples sentiers muletiers escaladant les crêtes et franchissant les ravins à faible distance de la côte, n'étant pas carrossables. Paul Régnier sera conseillé amicalement par un compatriote normand installé dans les environs, prodigue en conseils judicieux qu'il allait mettre en application avec succès une fois que les éléments démontables de la maison préfabriquée eurent été assemblés après leur transport en balancelle depuis Ténès. La fameuse ferme de Tarzout était née.
La famille pouvait arriver et la vraie vie commencer. Paul Régnier n'était pas routinier. Il était au contraire enclin à expérimenter des cultures nouvelles : en plus des céréales «obligées» et de la vigne, il fit de nombreux essais heureux. La maison était accueillante et recevait de nombreux artistes, écrivains ou journalistes ce qui entretenait un climat d'émulation intellectuelle fructueux. I. Eberhardt, écrivaine réputée et surtout femme «libérée», avait séjourné à la ferme, le peintre Ary Renan, fils du célèbre philologue, aussi, comme bien d'autres : il ne s'agissait pas d'anarchistes mais nous dirions aujourd'hui d'intellectuels, pas nécessairement «de gauche», mais des esprits libres.
En vérité même s'il n'était pas un anarchiste militant Paul Régnier respectait les mêmes principes que son beau-père. La courte biographie écrite en 1936 par son gendre Théodore Lafon, nous décrit un homme qui «payait bien ses ouvriers sur lesquels il avait une autorité indiscutée qui venait autant de sa forte personnalité que de la bonté et de l'équité avec laquelle il les traitait». Artiste, il voyait grand et ne reculait devant aucun sacrifice pour embellir le cadre de son existence. Il développa ses activités agricoles par des plantations variées, mais aussi par des créations techniques modernes : - réalisation de six kilomètres de canaux pour détourner l'oued Tarzout et irriguer ses jardins potagers. - construction d'une cave modèle, équipée de cuves vitrifiées pour conserver le vin en attendant son expédition à Ténès. - mise en service de distillateurs pour le géranium, des séchoirs à piments, plantation de nombreux arbres d'agrément...La liste est longue ! Paul Régnier s'est éteint en 1938 après une vie de travail acharné. Malgré sa réussite il laissait à ses héritiers une fortune inférieure à celle que son père lui avait léguée ce qui témoigne de son désintéressement...
«L'anticolonialisme introuvable» d'Elisée Reclus
Le parcours de ce «colon modèle» que nous venons de retracer brièvement ne pouvait-il pas, sinon infléchir les jugements défavorables de son beau-père sur la «colonisation», du moins les nuancer et justifier les propos de certains qui le décriront comme le véritable initiateur d'un «courant Reclus de colonisation» ? Il semble en fait, sans que ces différences autorisent le moindre doute sur la constante honnêteté intellectuelle de l'anarchiste, qu'Elisée Reclus, en dehors de ses conférences parfois jugées outrancières, ait toujours émis des jugements mitigés sur la colonisation de l'Algérie. Templier, le directeur des éditions Hachette, probablement préoccupé par cette réputation «sulfureuse», lui rappelait avec insistance que cette Nouvelle Géographie Universelle était avant tout «une œuvre gographique et que l'auteur devait être très réservé en ce qui touchait toutes les questions religieuses, sociales, politiques dans lesquelles il était évident que ses opinions étaient opposées à celles de la majorité des lecteurs». (A suivre)


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