Les festivals culturels se suivent et ne se ressemblent pas. Certains, par leur ennui et les moyens qu'ils imposent frisent l'indécence. D'autres, par contre, naissent dans la douleur et le dénuement. Et pourtant, ils font tourner la culture et l'impose par leur qualité. Il est aussi, certainement, extrêmement émouvant de voir un de ces évènements naître et grandir. C'est ainsi que, dans les prémices d'un septembre prometteur, un curieux générique voit le jour pour un week-end festif intitulé «L'été en poésie et en musique» (Anevdu s tmedzayet duzawan) qui, le moins que l'on puisse dire, est qu'il a de par sa convivialité ému beaucoup de personnes, apporté à d'autres beaucoup de choses bien, apporté du baume, diverti, échangé et, attiré les regards sur un village optimiste, éclairé, coquet, accueillant, animé par une lueur indicible qui deviendra bientôt un immense feu régénérateur d'une culture qui cherche souvent ses mots et qui, assurément, n'aura aucune difficulté malgré le manque flagrant de sponsors ou d'aide matérielle a se réaliser, si ce n'est l'association et ce partenaire unique et inoubliable l'Onda. Du 30 août au 1er septembre 2018, le village de Boudjellil, au pied des piémonts des Ath-Irathen, dans la commune d'Irdjen, a fait la fête aux mots à travers un programme très ambitieux qui a montré ses talents divers dans un cadre vraiment féerique dans un petit village de montagne qui tutoie les aigles et les arbres centenaires. Boudjellil, le village avec la compagnie des braves de l'Association Amziav-N'Lehna, en collaboration avec l'Emev, qui est l'Entreprise d'Organisation, d'Evènements, Culturels et Scientifiques, animée et gérée par l'infatigable arpenteur de monts et de vaux, nous citons, Malek Amirouche, a durant trois jours pleins, été la capitale des mots, de la poésie, de galas artistiques musicaux, de montages poétiques, de chants, de contes, avec des tables rondes, des échanges littéraires, ventes dédicaces, découvertes de jeunes talents, et bien d'autres choses encore… Il faut dire qu'enchantés par l'idée de voir le village fleurir de ses plus belles pages, les habitants ont spontanément répondu à cet élan créatif en accueillant cette manifestation première par son originalité et par son caractère alternatif. L'ouverture s'est réalisée comme il se doit par le président de l'A.P.C de Boudjellil qui sera suivi par Karim Branis, membre de l'association Amziav-N'Lehna qui fera un topo sur la géographie, la richesse floristique (oliviers, figuiers…) de cette petite enclave riche aussi par ses fontaines si prolixes en eaux montagneuses que l'on croirait directement venues du paradis. Paroles de montagnes Fidèles à la tradition de ces «Isefra» aux maximes si poétiques et si enclines à la morale, les personnalités culturelles du cru se sont succédé entre les murs de la petite salle polyvalente comme ce cher Dda Belkacem, ou bien madame Keltoum Defous, pionniers de ce festival nouveau qui aura ensuite été dédié en part du lion aux nombreux cafés littéraires qui ont ponctué ces journées dédiées à la musique et à la littérature et aussi aux plaisirs de la déclamation et de la mise en parole publique, en usant d'ailleurs de la littérature pour aussi parler de choses actuelles, prégnantes comme la harga, l'exil, les kidnappings sous les auspices de la poétesse Akila Kadaoui, qui évoquera aussi les charmes subtils de son si beau village. Invité de marque, Nadjib Stambouli sera aussi de la partie et présentera trois de ses ouvrages, mais il axera son intervention sur «Le fils à maman» qui aura l'avantage de sa présence à Boudjellil tout en insistant sur ses portraits d'artistes qu'il a eu à côtoyer en racontant au passage des anecdotes savoureuses avec aussi «Le comédien». La présence du Docteur Ounouguene, musicologue, spécialiste en la matière sera fortement innovante en apportant ses lumières pour expliciter de nombreux points sur la musique dans une de ses interventions de niveau magistral. Fidèle aux montagnes et aux petits villages qui bougent, les airs de «Yemma Tedda hafi», émouvant à tirer des larmes résonnera doucement sous la voix de Belaïd Tagrawla qui s'en ira faire le troubadour avec quelques titres bien sentis. La légende viendra mettre son grain de sel ensuite à travers une de ces belles histoires d'amour immémoriales dont seuls les anciens ont le secret. La désormais légendaire «Hizia» contée par le célèbre Benguitoun et explicitée par le sémillant écrivain-poète Lazhari Labter qui avec l'éditrice d'El Ibriz, Samira Bendris, présenteront «Hiziya Princesse d'amour des Ziban» en allant familiariser les présents subjugués avec les secrètes arcanes de ce poème fleuve. Place aux films Ils laisseront tous deux, la place aux images de Louisa Lamri et de son court-métrage de 25mn intitulé «UNIQUE. Dz», traitant du thème des personnes qui revendiquent leurs droit a la différence dans une société intolérante qui accepte mal ceux et celles qui ne sont pas dans les schémas établis. Très belle rencontre aussi avec Akli Drouaz qui nous a beaucoup parlé de son très beau livre «Terre d'Exil» paru aux éditions «L'Odyssée» et qui, par sa force littéraire, fera date dans la littérature algérienne par la nouvelle approche des mémoires qu'il transmet au lecteur dans un style d'une pertinence absolue. Un peu plus tard dans la soirée, une table ronde sur la thématique, «Regards sur la chanson vue par les poètes et les chanteurs», a eu lieu avec les artistes Belaïd Tagrawla, Hocine Ouahioune, Tahar Bessaha, Rabah Ouferhat en compagnie des poètes Fahima Sediri, Mbarek Gamar et Slimane Belharet. Une des idées maîtresses de cette rencontre inédite était qu'en fait la chanson avait grandement besoin d'une étroite collaboration entre les poètes, les compositeurs et aussi les interprètes pour aboutir à une production de qualité. Par ailleurs, selon les participants, il a été précisé à l'unanimité : «que la chanson kabyle se portait bien, contrairement à ce que pensent beaucoup. Preuve en est comme il a été dit, le nombre très appréciable de jeunes qui apportent un nouveau souffle à cette chanson…» Trois jours pleins Pour ce qui est de la troisième journée, elle donna lieu à la présence matinale de votre Jaoudet Gassouma, plasticien, écrivain, professeur qui, dans un voyage au sein de la fiction a, semble- t-il, tenu en haleine les participants par une incursion dans la littérature et les voyage, en présentant au passage son livre «Cubaniya», paru chez Chihab et qui est nominé, en short list, au Prix Assia Djebbar, au prix Mohammed Dib et aussi au prix Escale littéraire avec, en sus, des présentations poétiques comme celles de cheikh Ahcene, ou Amel Djenidi...etc Dans cette rencontre, se sont aussi relayés à l'estrade quelques jeunes talenteux écrivains comme Mohammed Aziz avec son très beau récit «J'accuse la France», paru aux Editions El-Amel, qui évoque de larges pans de la lutte armée algérienne dans les maquis du Mizrana et alentours. Abderahmane Yefsah présentera aussi «Souviens- toi o Algérie» de Smaîl Yefsah, un essai poignant avec également «Tamda Lablatt et Taourga ou la légende d'Ahmed Omar Mahieddine» parus à compte d'auteur et évoquant d'une manière originale l'histoire locale en s'inspirant comme base de départ d'un poème anonyme qui sera la trame basique de son essai sur les événements du 19ième siècle en Kabylie. Cela sera suivi par une très belle prestation poétique de l'auteur prolifique Rachid Rezzagui, maniant à souhait la prose dans une force d'évocation et de diction sans pareille, il aura aussi présenté trois de ses ouvrages avec aussi un clip entrainant en hommage à la grande pédagogue écrivaine, Djouher Amhis. Le conte, enfant gâté du festival Dès le début de ce festival, les nuits ont été ponctuées de bonnes vibrations par les interventions poétiques et narratives des conteurs et poètes que sont Mohand Abdellah, Idir Bellali, Keltoum Deffous, Faiza Acitani, Fouzia Laradi, Ouarda Baziz Cherifi, Meziane Djouder, Hocine Kheloufi,Said Abdelli, Ahcene Mariche et ses multiples ouvrages en dédicaces, et la très connue conteuse Hnifa Hamouche qui a marqué son espace d'histoires magnifiquement racontées avec des intermèdes de respiration offerts par le jeune Malik Kazoui. La problématique de l'édition en tamazight a aussi été posée en fin de parcours de ce festival avec les propositions de sortie de crise sur des débats émis par un aréopage d'écrivains et d'éditeurs comme Hacene Halouane, Hamid Bilek, Hocine Haroun, Mohand Arkat ainsi qu'Omar Kerdja. Animations tout azimuts En sus de cette trilogie de jours heureux en culture, on aura aussi noté la présence d'artistes volontaires habitués des lieux et curieux des nouvelles demandes en manifestation de la part d'un public qui aujourd'hui veut autre chose qui veut du sens et de l'esthétique sans folklore ni agitation gratuite, c'est ainsi que nous avons rencontré aussi in-situ des personnages comme Younes Adli, Tarek Ouamer créateur di site Founoune.com, mais aussi le très volontaire peintre amateur de montagnes et de belles couleurs l'Artiste plasticien Noureddine Hamouche qui a réalisé une fresque murale «Tatouages berbères» avec une vente de colliers de sa fabrication. Le village a été aussi animé par Djamel Dehar, artiste en récup art, qui a animé un atelier avec les enfants. Quant à Salima Miri, elle a exposé des tableaux de peintures sur verre accompagnés de la monstration de poupées en tenues traditionnelles. Pour Louiza Belamri,, c'était aussi une présentation de tableaux de peintures avec Soraya Mellouk qui, elle a exposé ses toiles. Les arts à l'honneur pour Boudjellil transfiguré en œuvre d'art dèja par les très belles sculptures, cascades et aménagements divers qui font de ce village un des plus beaux de Kabylie. Le festival a donc tiré élégamment sa révérence en promettant de revenir l'été prochain sur des notes musicales de Rabah Oufarhat, Hocine Ouahioune, Amirouche Hamdani, Arezki Ouali, Takfarinas Ferhat,Fella Bellali, Belaïd Tagrawla, Malik Kazoui qui ont donné le meilleur de leur inspiration pour honorer l'hospitalité des villageois de ce magnifique petit bourg de la montagne des Irathen, qui a pour fille la coquette Irdjen, embellie par l'onde divine qui gicle en sources cristallines comme un cadeau de Dieu. Etait-il alors étonnant que ce village accueille tout naturellement de la musique et de la poésie, qu'il en fasse une fête !? Festival «l'été en poésie et en musique», «Tafaska anebdu s tmedyezt d uzawan», sous le slogan, pour une musique et une poésie raffinées. Du 30 août au 1er septembre 2018, village Boudjellil, commune d'Irdjen, Larbaâ Nath Irathen.