Aimé Césaire était prédisposé au genre dramaturgique de par ses origines et sa culture universaliste et africaine. Ainsi, ses pièces théâtrales sont de parfaits témoignages d'un temps vécu dans la douleur. L'auteur a beaucoup subi comme afro-américain au point d'être marqué à vie par ces situations inhumaines qui ont jalonné l'histoire de l'Afrique et des Caraïbes. En tant que nègre, tout lui a été difficile comme citoyen et étudiant dans les écoles prestigieuses qui l'ont vu sortir avec des diplômes décrochés au mérite, après de brillantes études. Aimé Césaire a eu le mérite d'avoir émergé parmi des millions de Noirs descendants d'esclaves déracinés forcés de l'Afrique ancestrale puis transportés en Amérique pour servir de main d'œuvre gratuite dans la mise en valeur des richesses naturelles. C'est ce sort malheureux subi par les siens durant des siècles et sa maîtrise de la langue qui ont donné à Césaire l'envie d'écrire des tragédies. Il est devenu dramaturge malgré lui, face à l'esprit esclavagiste des Blancs. Le théâtre de Aimé Césaire se résume selon Kahiudi Claver Mabana, spécialiste de littérature africaine et caribéenne, à trois pièces : le roi Christophe, Caliban et Lumanba. Les trois titres successifs sont des références aux colonisations et à l'esclavage aux conséquences incommensurables dans l'Afrique d'aujourd'hui. Cette pièce est une tragédie dont la vocation politique est indiscutable. L'œuvre théâtrale porte essentiellement sur les séquelles de l'esclavage et de la colonisation. Que le roi agisse en despote ou en démocrate, on assiste à une résurgence des survivances africaines de pouvoir fondé sur la division dominant/dominé. C'est comme si les Noirs étaient poursuivis par le sort malheureux. Logiquement, lorsqu'un pays recouvre sa liberté, le souverain doit chercher à rendre au peuple sa dignité. Le héros de la tragédie appelé Christophe proclamé roi prend le pouvoir, mais dirige, selon le modèle français pour se valoriser aux yeux de l'ancien colonisateur. Il se fait aider dans sa tâche par des conseiller étrangers. Ainsi, l'Africain qui a connu la déportation, l'esclavage et le colonialisme se retrouve sous le régime d'un roi tyrannique. Ce que dit Césaire lui-même dans une interview à Françoise Verges et rapportée par Nabana : «Dans la tragédie du roi Christophe, je décris les difficultés d'un homme qui doit conduire son pays comme Haïti, pays très complexe et il y a certainement de cela aux Antilles». Plus loin, il ajoute : «J'ai voulu transpercer le grotesque pour trouver le tragique. La tragédie du roi Christophe n'est pas une comédie, c'est une tragédie très réelle, car c'est la nôtre. Que fait Christophe ? Il instaure une monarchie, il veut imiter le roi de France et s'entoure de ducs, de marquis, d'une cour. Tout cela est grotesque, mais, derrière ce décorum, derrière cet homme, il y a une tragédie qui pose des questions très profondes sur la rencontre des civilisations ». Le défi identitaire de Caliban Caliban doit être compris comme l'anagramme de Cannibal, appellation choisie par les Blancs pour désigner les Noirs et pour justifier leur mise en esclavage. Les Noirs ont dû, depuis les origines, malgré les épreuves subies que le sort leur a réservées, affronter le mythe nègre du défi qui brave les obstacles pour affirmer leur moi. Cannibal signifie mangeur d'homme, c'est-à-dire «anthrophage». Caliban est porteur de marques d'une longue histoire : celle de révolte, d'esclavage, d'opprimé à cause des origines africaines. Les oppresseurs sont venus fouler le sol africain après être venus d'un autre continent situé au loin, au-delà des mers et des océans. C'est dans son propre pays que Caliban affronte Prospéro, arrivé sous prétexte d'être porteur de civilisations sur fond de racisme, parce que pour le Blanc le Noir est un sauvage. C'est une agression, voire une transgression dont l'occupant étranger d'origine européenne, s'est rendu coupable en se rendant dans l'univers de l'autre. C'est une scène qui montre Caliban dans sa lutte contre un mythe, celui de tout Noir qui se considère comme inférieur par rapport au Blanc. Les colonisateurs ont réussi à inculquer aux opprimés ce comportement de dominés dont ils n'arrivent pas à se débarrasser. Les occupants étrangers ont réussi leur domination par le mensonge et sous couvert d'œuvre civilisationnelle. Avec Aimé Césaire, auteur de cette pièce théâtrale sur fond de mythe de la négritude, s'affrontent deux regards ! Celui de l'étranger venu de loin, celui du Nègre autochtone qui doit apprendre à casser ce mythe. La voyance du héros doit signifier les capacités de visionnaire de «Lumumba» que le monde entier connaît comme premier Président du Congo belge qui a été, de 1885 à 1909, la propriété du roi de Belgique puis une colonie jusqu'en 1960, année de l'indépendance de ce pays que Lumumba s'est engagé à redresser à la faveur de son intelligence, de son savoir et de son savoir-faire. En voulant trop bien faire, Lumumba rédigea un pamphlet anticolonial qui provoqua la colère des dominants colonisateurs et de leurs supports. Ce qui explique sa liquidation physique. Et tout le monde connaît les événements qui ont suivi depuis ce début, des années soixante et des décennies qui se sont succédé. Aimé Césaire aime beaucoup ce pays et semble avoir bien connu Lumumba pour lui consacrer une tragédie aussi belle que l'homme assassiné pour ses capacités à faire du Congo, un pays dynamique où chaque citoyen peut vivre dans le bonheur et la dignité. «Trahi par l'ONU et assassiné comme un holocauste de la guerre froide», dit Kahiusdi Claver Mabana, Lumumba reste dans les mémoires et l'histoire un visionnaire, «un prophète», ajoute l'auteur dans la pièce. Au lieu de parler de luttes tribales, il parle de nation et de continent africain. Que de mythes peut-on trouver dans cet univers de l'Afrique noire ! Celui du nègre trahi, de l'esclavage acceptant la soumission au nom des valeurs européennes.