Cette contribution est un hommage au feu le Professeur Majid Ait Habouche décédé en ce mois de septembre 2019, qui a été mon étudiant à l'université d'Oran et dont j'ai eu l'honneur de diriger sa thèse de magister en 1983 sur l'aménagement du territoire et qui depuis a mis en place un des plus grands laboratoires de recherches en Algérie dans ce domaine. Comme j'ai eu à le rappeler dans différentes contributions nationales et internationales, largement diffusées entre 1976/2018 afin de rapprocher l'Etat du citoyen se pose l'urgence d'une manière claire pour nos gouvernants de comprendre le fonctionnement de la société loin des bureaux climatisés. L'objet de cette contribution, au vu tant de la crise politique actuelle que les récentes inondations, ces dernières ayant montré le manque de management stratégique tant des Ministères ( la responsabilité étant intersectorielle) que des collectivités locales, est de poser la problématique stratégique de la décentralisation, inséparable de la bonne gouvernance et de l'efficacité des institutions avec de grands ministères homogènes et de 4/5 grands pôles régionaux . L'Algérie s'étend sur 2 380 000 km2 dont 2100 000 km2 d'espace saharien. La densité paraît faible, mais les 9/10e de la population sont concentrés sur les terres du Nord. Sa situation géographique est stratégique : en face de l'Europe, côtoyant la Tunisie, l'Atlantique Maroc/Mauritanie, la Libye, le Mali et le Niger comme point d'appui de l'Afrique sub-saharienne. L'objectif stratégique horizon 2020/2030 est d'éviter que plus de 95% de la population vive sur moins de 10% du territoire et avoir une autre vision de l'aménagement de l'espace. Nous assistons, hélas, à des constructions anarchiques avec le manque d'homogénéisation dans le mode architectural, un taux accéléré d'urbanisation avec des bidonvilles autour des grandes villes, avec le risque de l'extension de nouvelles formes de violence à travers le banditisme et de maux sociaux comme la drogue et la prostitution. Il suffit de visiter toutes les wilayas, sans exception, pour constater des routes, des infrastructures et des ouvrages d'art qui ont coûté à la collectivité nationale plusieurs dizaines de milliards de centimes inutilisables en cas d'intempéries, des routes éventrées à l'intérieur des villes où la plupart des autorités se complaisent uniquement aux axes principaux visités par les officiels, des ordures qui s'amoncellent depuis des années à travers la majorité des quartiers périphériques, des logements que les citoyens refont, surtout les secondes œuvres avec des VRD non finies, des espaces verts qui font place à du béton, la construction d'unités dangereuses et polluantes près des villes, des sites touristiques, près des côtes, contenant plusieurs centaines de lits et qui déversent à la mer leurs déchets sans compter le manque d'eau pour l'hygiène. Cela témoigne d'actions urgentes dont la responsabilité ne concerne pas seulement un département ministériel, mais à la fois plusieurs ainsi que les collectivités locales. Cette situation peut avoir des conséquences très graves, avec la «bidonvilisation» sur le plan sécuritaire qui a un cout, d'où l'importance de l'aménagement du territoire et d'une véritable régionalisation économique. 2- La notion de région est extrêmement variable : la régionalisation pouvant se réaliser au sein du pays ou bien par le regroupement d'un ensemble d'Etats dans une zone géographique particulière ou sur la base d'intérêts ressentis comme communs ce que les économistes qualifient d'intégration régionale. Aussi, la régionalisation peut prendre des formes très différentes selon les pays, allant de la décentralisation au quasi fédéralisme. Je définirai la régionalisation économique à ne pas confondre avec l'avatar néfaste du régionalisme, comme un mode d'organisation de l'Etat qui confère à la région un rôle et un statut économique propre, caractérisé par une autonomie relative mais non indépendant de l'Etat régulateur central pour les grandes orientations stratégiques tant politiques qu'économiques, cette autonomie étant donc encadrée par l'autorité nationale. Toute régionalisation appelle les questions fondamentales suivantes : compétences des régions ; règles de composition et de fonctionnement des assemblées et exécutifs régionaux ; ressources des régions ; relations avec le pouvoir central ; modalités de transfert aux pouvoirs régionaux et enfin concertation entre régions. D'une manière plus générale, la mise en place de la régionalisation doit avoir pour conséquence un meilleur gouvernement réel ressenti comme tel par la population, l'argument de base résidant dans la proximité géographique. Cela signifie qu'il existe une solution locale aux problèmes locaux et que celle-ci est nécessairement meilleure qu'une solution nationale. Selon les théories régionalistes, la diversité des situations locales impose une diversité de solution pour s'adapter aux conditions locales spécifiques. La régionalisation économique couplée avec une réelle décentralisation supposant une clarté dans l'orientation de la politique socio-économique évitant des tensions et conflits entre le pouvoir local et central et des concurrences entre le centre et la périphérie permettrait un nouveau cadre de pouvoir avec des nouveaux acteurs, de nouvelles règles et de nouveaux enjeux avec des nouvelles stratégies élaborées. Elle devrait favoriser un nouveau contrat social national afin d'optimaliser l'effet de la dépense publique et rendre moins coûteux et plus flexible le service public. La création d'un nouvel espace public génèrerait une nouvelle opinion publique, voire une nouvelle société civile. Le débat permet l'émergence de thématiques communes, des modes de propositions communs et donc déterminerait des choix collectifs optimaux. Une centralisation à outrance, favorise un mode opératoire de gestion autoritaire des affaires publiques, une gouvernance par décrets, c'est-à-dire une gouvernance qui s'impose par la force et l'autorité loin des besoins réels des populations et produit le blocage de la société. Les expériences historiques montrent clairement que si la centralisation a été nécessaire dans une première phase, elle a atteint vite ses limites et que ce sont les pays qui ont développé des décentralisations réelles et non des déconcentrations, synchronisant gouvernance centrale et locale, qui ont le mieux réussi leur développement. Une réorganisation du pouvoir local dont la base est l'APC, pour une société plus participative et citoyenne s'impose, réorganisation fonction de la revalorisation de la ressource humaine renvoyant à l'urgence de la révision du statut de la fonction publique. Après «le tout Etat, l'heure est au partenariat entre les différents acteurs de la vie économique et sociale, à la solidarité, à la recherche de toutes formes de synergie et à l'ingénierie territoriale. C'est dans ce contexte, que l'APC doit apparaître comme un élément fédérateur de toutes les initiatives qui participent à l'amélioration du cadre de vie du citoyen, à la valorisation et au marketing d'un espace. C'est à l'APC que reviendra ainsi la charge de promouvoir son espace pour l'accueil des entreprises et de l'investissement devant se constituer en centre d'apprentissage de la démocratie de proximité qui la tiendra comptable de l'accomplissement de ses missions. Actuellement les présidents d'APC ont peu de prérogatives de gestion tout étant centralisé au niveau des Walis alors qu'il y a lieu de penser un autre mode de gestion, de passer du stade de collectivités locales providences à celui de collectivités locales entreprises et citoyennes responsables de l'aménagement du développement et du marketing de son territoire. Pour l'Algérie, il s'agit de procéder à une autre organisation institutionnelle, qui ne sera efficace que sous réserve d‘objectifs précis, d'opérer un nécessaire changement qui passe par une approche basée sur une identification claire des missions et responsabilités et une restructuration des fonctions et des services chargés de la conduite de toutes les activités administratives, financières, techniques et économiques. Cette organisation institutionnelle implique d'avoir une autre organisation tant des Ministères que des wilayas par des regroupements évitant les micros institutions, l'éparpillement des ministères et également des wilayas étant budgétivores devant être regroupées en adéquation avec ceux des ministères. Les règles d'organisation et d'administration du territoire dans le cadre d'une vision stratégique s'imposent en urgence ,incluant la protection de l'environnement, souple dans son organisation, dont le rôle essentiel est la prospective du territoire en évitant le centralisme administratif, afin de construire un socle productif sur plus d'individus et davantage d'espace. Il convient de prendre le soin de ne pas confondre l'espace géographique avec l'espace économique qui, intègre le temps, l'espace étant conçu comme surface, distance et comme ensemble de lieux. La recomposition du territoire s'inscrit dans un vaste projet inséparable des réformes structurelles à, tous les niveaux en cours. La conception volontariste étatiste de l'aménagement du territoire en Algérie, fondée sur la fameuse théorie des pôles de développement ou de croissance entraînant, a été un leurre et n'a pas eu les effets escomptés. L'aménagement du territoire ne peut être conçu d'une manière autoritaire, interventionniste, conception du passé, mais doit être basé sur la concertation et la participation effective de tous les acteurs sociaux. Il doit dépasser cette vision distributive à l'image des programmes spéciaux mais doit concourir à optimaliser la fonction du bien être collectif. L'aménagement du territoire devra répondre aux besoins des populations en quelque lieu qu'elles se trouvent et assurer la mise en valeur de chaque portion de l'espace où elles sont installées. Il ne s'agira pas d'opposer le rural à l'urbain, les métropoles aux provinces, les grandes villes aux petites mais d'organiser leurs solidarités. Pour cela, il s'agira de favoriser une armature aubaine souple à travers les réseaux, la fluidité des échanges, la circulation des hommes et des biens, les infrastructures, les réseaux de communication étant le pilier. Cela implique une nouvelle architecture des villes, des sous systèmes de réseaux mieux articulés, plus interdépendants bien que autonomes dans leurs décisions (voir l'ouvrage collectif pluridisciplinaire regroupant économistes, sociologues, politologues, sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul «réformes et démocratie Casbah 2 volumes Editions (2004 Alger 500 pages) avec un chapitre a ce sujet) L'efficacité de ces mesures d'aménagement du territoire pour favoriser les activités productives, impliquent la refonte des finances locales et des taxes parafiscales sans laquelle la politique d'aménagement du territoire aurait une portée limitée devant s'appuyer sur le système de péréquation entre les régions pauvres et riches qui doit être prise en compte par les pouvoirs publics évitant l'esprit centralisateur jacobin largement dépassé. La structure qui me semble la plus appropriée pour créer ce dynamisme, ce sont les chambres de commerce régionales qui regrouperaient l'Etat, les entreprises publiques/privées, les banques, les centres de formation professionnelle, et les universités/centres de recherche autour de quatre à cinq pôles régionaux tenant compte du Sud/Est et du Sud Ouest. (A suivre) Professeur des universités, Dr Abderrahmane Mebtoul ancien haut magistrat