Déjà doublement primés par la Palme d'or du Festival de Cannes, les cinéastes belges Jean-Pierre et Luc Dardenne ont été annoncés ce jeudi 16 juillet comme lauréats du 12e prix Lumière, distinction affichée par les organisateurs du festival Lumière à Lyon comme le «prix Nobel» du cinéma. À la question, si une troisième Palme d'or changeait quelque chose pour eux, les frères Dardenne nous ont répondu à l'unisson lors du dernier Festival de Cannes : «Non, je ne pense pas. Je crois qu'on est toujours restés nous-mêmes. On est très heureux d'avoir gagné ces deux Palmes. Après, c'est difficile à dire, parce qu'on a qu'une vie, on ne peut pas comparer avec une autre vie qu'on aurait eue si l'on n'a pas eu la Palme. En tous les cas, nos films témoignent quand même qu'on cherche toujours un peu dans la même veine, dans la même veine de charbon. On avance dans le même tunnel. Je ne crois pas qu'on ait fait tout d'un coup autre chose, parce qu'on a eu ces deux Palmes. Mais, cela vous fortifie. Cela vous dit : finalement, le travail qu'on fait, cela intéresse. Ce n'est pas pour rien.» Le prix Lumière, le «prix Nobel» du cinéma ? En 2019, une troisième Palme a échappé aux réalisateurs devenus mondialement célèbres avec Rosetta, ce drame d'une jeune femme qui a propulsé en 1999 l'inoubliable Emilie Dequenne sur le devant de la scène. En revanche, à l'occasion de la 12e édition du festival Lumière, organisée du 10 au 18 octobre, ils entrent dans la prestigieuse liste des lauréats du prix Lumière. Ainsi, les frères Dardenne succèdent à d'autres monuments du septième art comme Clint Eastwood, Jane Fonda, Quentin Tarantino, Gérard Depardieu, Martin Scorsese ou Catherine Deneuve… Depuis la création du prix Lumière en 2009 par Thierry Frémaux, directeur de l'Institut Lumière de Lyon et également délégué général du Festival de Cannes, cette récompense a l'ambition de devenir le «prix Nobel» du cinéma en honorant l'ensemble de l'œuvre d'un cinéaste et son influence dans l'histoire du cinéma. Les frères Dardenne et les frères Lumière La réaction des frères Dardenne après l'annonce du prix se situe à la hauteur de la dimension historique de cette distinction décernée dans la ville, et même dans le quartier, qui a vu naître le cinématographe en 1895 et où les frères Lumière ont tourné le premier film de l'histoire, La sortie de l'usine Lumière : «Pour nous, deux frères cinéastes, ce prix recèle une émotion particulière, déclarent Jean-Pierre et Luc Dardenne dans le communiqué de l'Institut Lumière. Il nous met en contact avec la fraternité originelle du cinéma, avec les deux frères qui ont filmé pour la première fois des corps, des visages d'hommes et de femmes, d'ouvriers et d'ouvrières sortant de leurs ateliers. Plus d'un siècle après, nous filmons des corps, des visages qui sont les descendants de ceux filmés par les frères Lumière et nous essayons chaque fois de les filmer comme si c'était la première fois.» La lutte des travailleurs Eux-mêmes ont grandi dans une banlieue industrielle de Liège, à Seraing. Une expérience ayant marqué à jamais l'œuvre cinématographique des deux frères fusionnels qui, sans être des jumeaux, réalisent tous leurs films ensemble. Au début de leur carrière, après des études en art dramatique pour Jean-Pierre, né en 1951, et des études de philosophie pour Luc, né en 1954, ils ont réalisé des vidéos dans les cités ouvrières pour documenter la lutte des travailleurs. Ce croisement entre l'art et la vie sera dorénavant la marque de fabrique de leur cinéma engagé. Pour assurer l'indépendance de leur cinéma social, ils ont depuis toujours apporté une attention particulière au fait d'être à la fois scénaristes, réalisateurs et producteurs de leurs films. Cela leur permet de donner à leurs idées une incroyable cohérence à l'écran. Leurs histoires percutantes renoncent au spectaculaire et aux effets spéciaux. En même temps, ce sont des histoires fortes, engagées, et surtout résolument humaines, sans pour autant trancher sur le bien et le mal des personnages vivant souvent des situations extrêmement complexes. Le courage de faire confiance au silence La carrière cannoise des frères Dardenne a commencé dans les années 1990, quand ils ont présenté La Promesse à la Quinzaine des réalisateurs. Cette histoire poignante contient toute la panoplie de leur registre cinématographique : des conflits entre les générations, souvent entre une jeunesse abandonnée et une société qui a perdu ses repères, dotée d'une morale ravagée par le capitalisme libéral ou d'autres idéologies néfastes. Avec leurs scénarii ciselés, leur courage de faire confiance aux plans-séquences et aux silences, les frères Dardenne transforment leurs acteurs en une tragédie humaine incarnée. Des récits installés à l'aide d'images à la fois esthétiques et épurées, plongées dans des environnements souvent banals. De la femme-courage à la fille inconnue Pour nous transporter dans leurs univers, ils font souvent appel à des jusque-là inconnus comme Emilie Dequenne dans Rosetta ou Idir Ben Addi dans Le jeune Ahmed. Mais leur art de garder un naturel et une fraîcheur à l'image fonctionne aussi avec les plus grands comédiens, magistralement filmés comme des anonymes : on pense à Cécile de France dans Le Gamin au vélo, à Marion Cotillard et son rôle de femme-courage affrontant Deux jours, une nuit ou Adèle Haenel dans La Fille inconnue. En octobre, Jean-Pierre et Luc Dardenne seront applaudis à Lyon, par les 200 000 visiteurs attendus au plus grand festival au monde consacré aux films classiques comme les nouveaux lauréats du prix Lumière.