«La monarchie est le seul facteur d'unité au Maroc», dit Hassan II. En 1907, c'était le seul facteur de division. Les deux armées des frères ennemis ratissaient le pays en le «mangeant» littéralement au sens propre, car leurs royaux commanditaires n'avaient pas de quoi nourrir leurs soldats. Alors on vidait les silos des villageois, on razziait leurs troupeaux, si bien que les fils des paysans terrorisés par leurs «sultans» gagnaient le maquis pour sauver au moins leurs vies et celles de leurs enfants, et la vertu de leurs femmes, à défaut de sauver leurs récoltes et leurs économies. Effectivement, les sultans faisaient l'union nationale contre eux. Mais les forces populaires étaient malheureusement atomisées, c'était la tâche essentielle des Alaouites depuis Moulay Ismail, le «grand homme» de la famille. Les citadins s'enfermaient frileusement derrière leurs murailles, quelque soit le sultan vainqueur militaire, l'on savait qui serait la victime. Cela durait depuis si longtemps C'est encore la riche bourgeoisie qui s'en tirait le moins mal, car elle pouvait acheter sa tranquillité. Le prolétariat des villes ne possédant rien que sa peau, n'avait rien à perdre. Les paysans seuls risquaient de tout perdre. Et ils le perdaient à chaque fois que le sultan partait en guerre contre des prétendants ou contre des sujets révoltés. Pillages, viols, moissons incendiées, arbres fruitiers coupés, maisons détruites, les sultans ont évidemment beaucoup fait pour désertifier le Maroc. Il faut trente seconde pour couper un amandier, quinze pour qu'il donne son maximum. Les sauterelles ne font pas mieux! En septembre 1907, Abdelaziz quitta donc avec 2 000 hommes Fèz : il voulait voir Lyautey et le consul Régnault à Rabat. «Il se remit entièrement entre leurs mains et les supplia de l'aider dans la lutte qu'il allait avoir contre son frère», écrit un contemporain. Pour Hassan II – dans son Défi – cette inqualifiable lâcheté devient : «Lorsqu'un pays (le Maroc) se trouve isolé, il doit éviter l'épreuve de force qui le ferait tomber dans une plus grande servitude». Se jeter dans les bras de l'occupant était évidemment pour Hassan II «le meilleur moyen d'échapper à la servitude». Alors que le pays tout entier n'attendait qu'un geste du sultan pour se soulever, en quelques semaines le Maroc aurait pu avoir 300.000 hommes en armes décidés à se battre pour leur juste cause. Au lieu de cela, ce traître sultan allait se jeter dans les bras de l'occupant pour demander des secours contre son propre frère et contre son pays. Les Français allaient, sans le vouloir, bien évidemment, donner un solide coup de main aux adversaires d'Abdelaziz. Les Français l'achevèrent en lui remettant en grande pompe le cordon français de Grand Officier de la Légion d'honneur. Les «hafidistes» exploitèrent à toute vitesse cet événement. C'est comme si les occupants juifs de la Palestine d'aujourd'hui se mettent à soutenir leur laquai Dahlan contre leurs protégé Mahmoud Abbas. Hafid n'était pas plus scrupuleux, mais il était plus rusé et plus discret pour alimenter sa guerre contre son frère, puisqu'il ne disposait pas des «bijoux de la couronne» comme son frère Abdelaziz et qu'il n'avait rien à porter au Mont de Piété, il se contenta des subsides fournis allègrement par une grosse famille de banquiers juifs sionistes d'Allemagne, les Mannesmann qui, eux, avaient parfaitement compris le jeux débile des deux frère et souhaitaient investir depuis longtemps. Ces juifs sionistes rusés soutinrent Hafid parce que les français soutenaient Abdelaziz. Si les Français avaient soutenu Hafid, ils auraient donné de l'or à Abdelaziz. Ces «investisseurs» juifs voulaient être les plus offrants. La prison et les pillages sont les pilliers du régime alaouite. Hafid alla se faire acclamer à Moulay Idriss, en évitant Rabat où se trouvait son frère, parce que la foule assemblée par Kittani croyait qu'il mènerait ses soldats à la guerre sainte. Abdelaziz, cette fois complètement dégrisé, reformait une armée à Rabat : 4.650 hommes, dont 2.000 fantassins. Le 10 août 1908, Abdelaziz atteignit la petite ville de Kelâat Sraghna totalement ruinée par Hafid, trois mois plus tôt. Tous les hommes étaient déjà en prison à Marrakech et toute la journée défilèrent les femmes venues réclamer la grâce de leurs maris, de leurs frères ou de leurs fils. Abdelaziz qui aurait fait exactement la même chose à la place de son frère, n'avait vraiment pas le temps de les recevoir. La prison a toujours été un des piliers du régime. Son armée comptait maintenant 6.000 hommes. Il fut pourtant battu en quelques minutes, une partie de ses alliés ayant brusquement déserté pour piller le camp d'Abdelaziz qu'ils étaient venus défendre, avant que les troupes d'Hafid ne le fassent. Les hommes d'Abdelaziz manifestaient une confiance bien mesurée dans les qualités de leur chef. On se tua férocement pour emporter les coffres et les mules du sultan, vainement. La première guerre de résistance du Rif éclata le 9 juillet 1909. L'insurrection armée étant la seule réponse adéquate possible à l'arrogance des occupants. Le superbe ambassadeur espagnole, Merry del Val avait poireauté six jours dans l'antichambre de la marionnette des occupants français Hafid avant de pouvoir exposer ses demandes. C'était, grâce à ses protecteurs français, le dernier plaisir régalien qui restait à Hafid, qui passait la majorité de son temps ivre et endormi dans son lit. Faire attendre les ambassadeurs étrangers jusqu'à l'extrême limite de la courtoisie internationale. Quelle poigne ! Que de fierté alaouite ! Mais les puissances pouvaient tout se permettre au Maroc à condition de traiter le sultan «avec égards», puisqu'une fois passée ses petites manifestations de paranoïa, le sultan cédait toujours et sur tout. Merry del Val, ravalant son humeur, s'inclina le plus allègrement possible devant le sultan et lui demanda d'avoir l'ineffable bonté de bien vouloir autoriser l'Espagne : 1. A occuper les montagnes entre Tanger l'internationale et Ceuta l'espagnole. L'équivalent de deux départements français. 2. A exploiter les concessions minières que Bou H'mara, lorsqu'il était sultan d'Oujda sous le nom de Sidi Mohammed, avait vendu et accordé du haut de sa toute puissance aux compagnies «Norte Africano» et «Minas del Rif». 3. A installer à Fèz une mission chrétienne franciscaine permanente. Précisons que ce Merry del Val était le frère du secrétaire d'Etat au Vatican, le Cardinal (depuis 1903) Raffaele Merry del Val « camérier secret » du Pape, et que dans l'entourage de Pie X, l'on se flattait fort d'évangéliser les infidèles, c'est-à-dire les musulmans. L'Afrique était alors devenue – pour le Vatican «terre de mission» pour y exterminer l'Islam. L'Espagne aurait volontiers voulu remplacer la France dans le rôle de fille aînée de l'Eglise et remplacer au Maroc le Croissant par la Croix. Le missionnaire ambassadeur Merry del Val avait même amené avec lui deux mules chargées d'eau «chrétiennement» bénite et, comme il n'avait sans doute pas de Franciscain sous la main, il avait amené deux capucins, petit échantillon de frères prêcheurs au froc brun identique pour convaincre sa majesté chérifienne. Hafid écouta sans broncher et fit répondre au «Croisé» qu'il allait y réfléchir. Mais Hafid est beaucoup plus séduit par l'or et l'argent juif et finit par se converti officiellement au judaïsme. (A suivre)